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Denis Clerc

Les cahiers de doléance issus des nombreux « grands débats » prônent une taxation plus forte des mieux lotis. Ce qui, évidemment, ne leur plaît que modérément. Dans LesEchos du 4 février, Dominique Seux écrit : « Le discours dominant […] oublie que 10 % des ménages paient 70 % de l’impôt sur le revenu. » Le lendemain, dans le même quotidien, Jean-Francis Pécresse réitère : « La véritable équité fiscale commande non pas de s’attaquer à ceux qui bénéficient de compensations à due proportion de leurs contributions, mais de résorber cette exception française par laquelle 40 % des ménages seulement paient l’impôt sur le revenu. »

Salauds de pauvres

Pour ceux de nos lecteurs qui ne parleraient pas le Pécresse dans le texte, les « compensations » en question désignent les déductions fiscales récompensant pour leur civisme les personnes ayant acheté des appartements qu’elles loueront, participé au financement d’un film, ou investissant dans les départements d’Outre-mer (DOM). En revanche, ces salauds de pauvres ne dépensent presque rien, alors taxons-les. Le 14 février, Daniel Fortin, toujours dans Les Echos, dénonce la « grosse ficelle démagogique consistant à faire les poches aux catégories les plus aisées de la population – celles qui paient déjà l’essentiel de l’impôt sur le revenu – pour calmer la rue ». Le 15, Eric Le Boucher dénonce « ces députés de la majorité qui ne trouvent rien de mieux qu’inlassablement ressasser les vieilleries socialistes du “tax and spend” (taxer et dépenser). »

Alors remettons quelques pendules à l’heure. Le dixième le plus riche de la population ne paye pas 70 % de l’impôt sur le revenu, mais 61 %. Son revenu disponible (après impôt) est de 270 milliards (2016), autant à lui tout seul que celui de la moitié la plus modeste des ménages (273 milliards). Si l’impôt sur le revenu était majoré de 5 milliards au détriment de ce seul dixième le plus favorisé, son revenu disponible passerait de 270 à 265 milliards, soit une perte de 1,8 %. Moins que son argent de poche.

Démagogie

Ensuite, des dépenses publiques trop lourdes, un Etat dépensier, voilà l’ennemi. Vraiment ? Un travail de France Stratégie nous éclaire. Comparant le niveau et la structure de la dépense publique en France et dans dix autres pays comparables de l’Union européenne, voici le résultat : nous dépensons moins que ces pays – notamment nordiques – pour l’éducation et l’accueil des personnes âgées, un peu plus qu’eux pour l’administration générale, assez nettement plus qu’eux pour l’aide sociale et les retraites, et beaucoup plus pour le soutien à l’économie. Quelque chose me pousse à penser que nos contempteurs de la dépense publique ont dans leur viseur les retraites et l’aide sociale plutôt que les aides à l’économie. Avec pour conséquence l’accentuation des inégalités. Les donneurs de leçon seraient-ils démagogues en n’en disant mot ?

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