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Il n’y a pas eu d’incidents majeurs pour le 19ème épisode des manifestations de « gilets jaunes » mais une mobilisation continue avec néanmoins de nombreux affrontements dans plusieurs villes de France.
Toulouse (Haute-Garonne), de notre correspondant.- « Enlève ton masque, tout de suite ! Et tu restes pas derrière nous ! » Il est 17h30 et à l’angle du métro Jean Jaurès et du boulevard de Strasbourg à Toulouse, un CRS se retourne vers le porte-parole du DAL, le plaque contre un mur, lui casse ses lunettes de piscine et lui arrache son petit masque de chantier. Malgré ses protestations, celles des manifestants autour et sans aucune autre raison que de décharger sa colère. Répression gratuite, en « modé véner », commente un jeune.
On a pu assister à de nombreux autres épisodes de ce type, cet après-midi dans les rues de Toulouse.
Vendredi 22 mars, se conformant aux instructions énoncées lundi par Édouard Philippe, la préfecture de la Haute-Garonne avait annoncé une « interdiction de manifestation ou de rassemblement revendicatif du mouvement des Gilets jaunes sur la place du Capitole à Toulouse de 12h à 21h » ce samedi. Interrogée sur le rôle éventuellement attribué à l’armée, la Préfecture nous avait assuré que le « dispositif de sécurisation » Sentinelle et ses militaires demeurerait « inchangé ».
De fait, on n’a pas vu un militaire ce samedi dans les rues de Toulouse et la place du Capitole n’a pas été investie par les manifestants comme c’est le cas depuis plusieurs mois. Le même scénario s’est produit à Paris.
À 12H45, plus d’une heure avant le début annoncé de la manifestation, quinze fourgons de CRS et un camion équipé d’un canon à eau étaient stationnés rue du Poids de l’huile, donnant accès à la place. Plusieurs autres fourgons étaient déployés dans les rues adjacentes et une dizaine de camions de la gendarmerie attendaient sur la place Esquirol à quelques centaines de mètres. Un dispositif renforcé « par d’importants moyens complémentaires », a communiqué la préfecture : CRS, gendarmes mobiles et policiers dont, comme d’habitude des unités de la bac et des voltigeurs, sont présents en masse.
Trois quarts d’heure plus tard, alors que les manifestants commencent à affluer au rendez-vous habituel, métro Jean Jaurès, un policier vient réitérer au mégaphone l’interdiction de Capitole. La réponse fuse : « La place du Capitole appartient aux Toulousains, le Préfet prend une mesure antidémocratique, vous lui transmettrez ! »
Très vite, le refrain qui va être repris à plein poumon tout l’après midi est entonné par la foule, sous un gros soleil de printemps : « On est là, on est là ! Et même si Macron ne le veut pas, nous on est là ! Pour l’honneur des travailleurs et pour une monde meilleur, nous, on est là ! »
Dans le cortège qui file sur les boulevards, se sont greffés comme tous les samedis quelques centaines de militants syndicalistes CGT. Dont Cédric Caubère, secrétaire général de l’union départementale : « Le droit de manifester est attaqué de manière très préoccupante et la répression ne cesse de monter. Ça fait quelques années qu’on le voit dans les entreprises, là ça gagne la rue. On est en train d’essayer de faire accepter à l’opinion publique qu’un pays comme la France est fondé à apporter ce type de réponse à des mobilisations sociales. Sous prétexte de chasser les casseurs, on s’en prend à tous les manifestants. Ça ne peut que faire monter la tension. »
Il est 15H lorsqu’une première charge très violente de policiers fractionne une première fois le cortège au moment où celui-ci passe à hauteur de la Préfecture. Aucun projectile n’a été lancé, aucune vitrine endommagée. La stupéfaction passée, l’info remonte : ils ont pris une banderole déployée en tête et estampillée « Pouvoir au peuple » sur fond noir.
« Ils prétendent qu’elle sert de paravent à des black blocs », assure un manifestant. À ses côtés, un autre explose : « Ils foncent comme ça en plein milieu, ils tapent, ils gazent, alors qu’il ne s’est rien passé !? Pour prendre une banderole ? Démocratie, mon cul ! » Aux abords de la manifestation, les membres de l’observatoire des violences policières ne chôment pas. Les street médics non plus : on a pu voir plusieurs personnes en état de détresse respiratoire dans la journée.
Dans son bilan provisoire de 18H30, la Préfecture, qui s’en tient généralement à décompter les blessés « au sein des forces de l’ordre », dénombrait « 3 blessés en urgence relative ». Parmi eux, au moins un manifestant a pris un tir tendu, probablement de LBD, dans le front, vers 17H.
L’heure autour de laquelle, alors que CRS et policiers avaient réussi à éparpiller la manif et à saisir d’autres banderoles – semble-t-il un de leurs objectifs de la journée –, les affrontements les plus violents se sont produits. Au dessus du canal du midi, au début de l’avenue Camille Pujol : interpellations très musclées, barricades en feu, cortège disloqué, policiers méprisants, brutaux et, retour des choses, agonis d’insultes.
Dans les parages, une fois la tension un peu retombée, des « bacqueux » attrapent Laurent, le long du canal et lui vident son sac. « Ils m’ont pris le casque, mes lunettes de piscine et le masque à gaz, je venais de l’acheter, 28 €, je suis dégouté. Ils sont insultants, ils m’ont mais la main aux couilles…» Laurent est dans la manif pour chercher sa fille de 18 ans qui, raconte-t-il, depuis qu’elle s’est fait gazer le 1er décembre, est « hors d’elle » et revient manifester tous les samedis. Il craint pour sa sécurité. « Je leur ai dit mais il s’en foutent… », lâche-t-il, dépité. Avant de repartir, « essayer de récupérer mon matériel ».
Depuis le début du mouvement, régulièrement les forces de police saisissent le matériel de protection des manifestants sans jamais, ou très rarement, dresser de PV de saisie, alors qu’ils en ont l’obligation légale.
À 17H30, en haut de l’allée Jean-Jaurès, des bribes de cortège se recomposent, ça redescend vers le centre. Où les policiers nassent, gazent, interpellent. Protègent le Capitole. Autour du caddie de l’Ago’rap, qui, depuis quelques semaines, est l’un des animateurs des samedis toulousains, un manifestant a pris le micro et sur l’air de « la Semaine sanglante » entonne quelques couplets « c’est une colère / révolutionnaire / nous les gilets jaunes / c’est pas de l’aumône ».
Des CRS arrivent au petit trot. Dans son bilan de 18H30, la Préfecture fait état de 11 interpellations en centre-ville.
Sur le reste du territoire, la mobilisation s’est poursuivie, atteignant plus de 40.000 personnes selon le décompte du ministère de l’intérieur et plus de 125.000 selon « Nombre Jaune », un collectif de Gilets jaunes qui effectue son propre recensement. La police et la gendarmerie, de leur côté, avaient déployé 65.000 agents.
À Paris, le cortège de plusieurs milliers de personne a tracé son chemin de la place Denfert-Rochereau, dans le Sud de la capitale, jusqu’à la Butte Montmartre, dans le Nord, sans aucun incident. Une fois rendus à leur destination, les Gilets jaunes y ont déployé des banderoles dans une ambiance festive. La manifestation, qui avait été déclarée en Préfecture, a été découragée de s’approcher des Champs-Élysées, épicentre des confrontations de la semaine passée. La police avait mis de gros moyens pour parer à de nouveaux incidents dans ce quartier : tous les passants se dirigeant vers l’avenue des Champs-Élysées étaient fouillés et contrôlés.
En fin de journée, la préfecture de police de Paris a annoncé avoir procédé à 8 545 contrôles préventifs, 96 interpellations et 53 verbalisations.
Les manifestations ont généralement suivi le même schéma : marche dans le calme, parfois sur plusieurs kilomètres, puis dispersion des cortèges qui a parfois dégénérée en affrontements avec les forces de l’ordre. À Lyon, Lille, Montpellier, Rouen, Toulouse, la police a eu recours aux gaz lacrymogènes et parfois à des charges. En fin de journée, le ministère de l’intérieur a annoncé un total de 233 interpellations, 172 gardes à vue et 107 verbalisations pour participation à des manifestations non autorisées.
À Montpellier, où plusieurs milliers de manifestants ont défilé, des heurts violents ont explosé place de la Comédie vers 16H : nombreux tirs de gaz lacrymogènes contre jets de canettes et de bouteilles. Ils ont fait au moins un blessé au visage du côté des gilets jaunes, et deux policiers blessés.En plus des Champs-Élysées à Paris qui avaient été interdits, plusieurs villes de France avaient restreint l’accès à certains périmètres. Cela n’a pas empêché certains protestataires de tenter de s’y rendre, provoquant de multiples affrontements avec la police. À Nice, une personne âgée a été blessée après avoir été bousculée dans un mouvement de foule provoqué par une charge policière alors que plusieurs centaines de manifestants essayaient de pénétrer dans le périmètre interdit, vers le Parc Impérial. Au total 75 personnes ont été interpellées
À Bordeaux où le centre-ville était interdit d’accès, les manifestants étaient moins nombreux que les samedi précédents. Mais, en milieu d’après-midi, des militants des « black blocks » sont arrivés, déclenchant des affrontements, avec la police.
Au final, pour ce 19ème épisode de manifestation des gilets jaunes, le gouvernement peut s’estimer satisfait que les violences parisiennes ultra-médiatisées de la semaine passée ne se soient pas réitérées, mais la mobilisation dans les rues, samedi après-midi, ne faiblissent pas vraiment, et rares sont les cortèges qui ne se terminent pas par des affrontements avec les forces de l’ordre. Comme si les événements fluctuaient mais n’évoluaient pas vraiment.