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Dans le Baromètre des Territoires, les Français font le récit d’une vie privée heureuse, mais d’un pouvoir d’achat sous pression et d’un sentiment désormais majoritaire de vivre dans une société produisant relégation et exclusion. Malgré ces tensions, leur espace personnel agit comme un bouclier protecteur face aux difficultés économiques et sociales.
– Chez les « gilets jaunes », la vie privée est moins à même d’offrir ce sentiment de protection : ils sont moins nombreux que la moyenne des Français à se déclarer heureux (64 % contre 73 %) et à partager le sentiment d’avoir choisi la vie qu’ils mènent (50 % contre 60 %), ils sont plus nombreux (60 % + 6) à avoir une vie sociale réduite ou nulle et ils sont moins nombreux à avoir le sentiment de pouvoir compter sur quelqu’un de leur entourage en cas de problèmes graves (69 %, -5).
Cette tension est d’autant plus forte que les « gilets jaunes » vivent de manière quasi-permanente une véritable crise du pouvoir d’achat :
– 65 % des « gilets jaunes » ont des fins de mois difficiles (+17 points par rapport à la moyenne des Français) ;
– 69 % ont retardé ou renoncé à des soins de santé lors des douze derniers mois (+18) ;
– 51 % ont été à découvert régulièrement lors des douze derniers mois (+13) et ceux qui le sont le sont en moyenne le 17 du mois ;
– 55 % ont le sentiment que leur situation financière s’est dégradée lors des douze derniers mois (+12).
Par ailleurs, la moitié des « gilets jaunes » cherche systématiquement les prix les plus bas lors de ses courses alimentaires et les deux tiers lors de l’achat de vêtements et de chaussures, ce qui est dans les deux cas fortement supérieur à la moyenne des Français (+15 points). Un peu plus d’un tiers des « gilets jaunes » a régulièrement du mal à payer ses factures d’électricité (+15), son loyer ou prêt immobilier (+13), et ses impôts et taxes (+14). Mais la crise du pouvoir d’achat chez les « gilets jaunes » s’exprime encore plus vigoureusement sur la question des frais de transports et du carburant : la moitié d’entre eux a régulièrement du mal à payer ses frais de transports alors que cela n’est le cas que pour un quart des Français. Ceci confirme la place centrale qu’occupe l’utilisation de véhicules motorisés (voiture, moto, scooter) pour les « gilets jaunes » : les trois quarts les utilisent tous les jours (75 %, +9), et presque la moitié plusieurs fois par jour (46 %, +9). Le pouvoir d’achat est de loin le sujet qui les préoccupe le plus (50 %, +10), devant les retraites (30 %, +4), l’emploi (28 %, +3) et l’immigration (27 %, +4).
Cette croissante fragilité économique nourrit un sentiment presque unanime au sein des « gilets jaunes » de vivre dans une société injuste (87 %, +9) et renforce l’idée selon laquelle la réussite sociale est jouée d’avance (68 %, +5). Ils expriment un profond sentiment de déclassement : 69 % (+17) estiment que leurs parents vivaient mieux qu’eux au même âge. Cette violence sociale ressentie affaiblit le consentement à l’impôt : la moitié des « gilets jaunes » considère que les impôts et les taxes qu’elle paye sont inutiles (51 %, +16). Leur colère sociale se perçoit aussi dans les sujets qui indignent le plus les « gilets jaunes », qui ne sont que des sujets économiques et sociaux : écarts entre hauts et bas salaires (46 %, +8) et inégalités sociales (35 %, +5), mais aussi fraude fiscale (26 %, +1), précarité de l’emploi (26 %, +4), corruption (25 %, +5) et fraude aux aides sociales (24 %, -3). On observe que seulement 7 % (-1) des « gilets jaunes » s’indignent des inégalités territoriales, preuve de la prédominance des fractures sociales sur les fractures territoriales dans la colère exprimée.
Cette pression économique nourrit non seulement un sentiment d’injustice, mais aussi une défiance très prononcée vis-à-vis des acteurs politiques et institutionnels. Le seul acteur en qui presque une majorité des « gilets jaunes » a confiance est les gens qui vivent autour de soi (47 %). Ce résultat est révélateur d’une crise généralisée de la confiance envers les acteurs de la démocratie représentative et sociale. Le président de la République et les partis politiques sont les principaux réceptacles de cette défiance : respectivement 80 % et 75 % des « gilets jaunes » ne leur font pas confiance. Si pour les partis politiques ce niveau de défiance est proche de celui exprimé par l’ensemble des Français qui est de 69 %, pour le président de la République celui-ci est beaucoup plus marqué chez les « gilets jaunes » (+20 points). Les autres acteurs institutionnels, comme les présidents de région et de département et le député de sa circonscription, ne sont pas rejetés aussi massivement, mais peinent à être perçus comme des acteurs de confiance : la moitié des « gilets jaunes » ne leur fait pas confiance, un tiers est indifférent et seulement un « gilet jaune » sur 6 déclare leur faire confiance. Les seuls acteurs institutionnels, mais aussi de la société civile, en qui une majorité relative de « gilets jaunes » a confiance sont les acteurs de proximité et du quotidien que sont le maire de sa commune (38 %) et les associations (37 %).
De la même manière, les « gilets jaunes » considèrent que ce sont les acteurs de la société civile et de proximité, comme les entreprises (54 %, -8), le maire de sa commune (48 %, -6) et les associations (46 %, -3), qui ont le plus le pouvoir de faire évoluer le monde dans lequel on vit. La principale différence entre les réponses des « gilets jaunes » et de l’ensemble des Français sur cette question est le pouvoir imputé au Président de la République : pour les premiers un tiers d’entre eux estime qu’il a le pouvoir de faire évoluer les choses (36 %) alors que pour les seconds la moitié le pense (50 %). Ainsi, non seulement les « gilets jaunes » n’ont pas confiance dans le président de la République actuel, mais ils lui font aussi un procès en incapacité à agir sur le réel et le quotidien des Français.
Ce tableau, combinant crise du pouvoir d’achat, sentiment d’injustice et défiance diffuse vis-à-vis des acteurs de la société, aboutit à un pessimisme prononcé. Une majorité de « gilets jaunes » est pessimiste au sujet de leur avenir personnel (58 %, +14) et de celui de leurs enfants (57 % pensent que quand ils auront leur âge leurs enfants vivront moins bien qu’eux, +11), et presque unanimement au sujet de l’avenir de la société française (83 %, +8).
Les « Gilets jaunes » : la partie émergée de la crise sociale française ?