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Edouard Husson

Au lendemain de la décision de report de la date du Brexit au 31 octobre prochain, Wolfgang Munchau, éditorialiste du Financial Times déclarait sur twitter: « La chose la plus importante qui s’est produite hier soir n’est pas l’extension du Brexit, mais la rupture de l’unité franco-allemande. ». Alors que la position allemande semblait correspondre à la défense des intérêts du pays, peut-on en réellement voir la position d’Emmanuel Macron comme ayant pour objectif la défense des intérêts européens ?

Edouard Husson : Munchau a raison. En tout cas, la divergence franco-allemande est devenue très visible. Elle est plus ancienne – Macron n’a rien obtenu de Merkel depuis qu’il est à l’Elysée, le Traité d’Aix-la-Chapelle n’étant pris au sérieux par personne en Allemagne. Mais les deux partenaires ne jouent même plus la comédie. Jusqu’à récemment, il y aurait eu une concertation en amont pour ne pas afficher de différends. C’est bel et bien fini. La cacophonie est d’autant plus évidente que les deux pays ont complètement raté la négociation du Brexit. Angela Merkel a définitivement confirmé qu’elle était une Chancelière pour temps calme et eaux tranquilles. L’intérêt de l’Allemagne était, bien évidemment, d’arriver à un accord équilibré avec la Grande-Bretagne. Mais la Chancelière n’a pas voulu trancher entre l’obsession allemande du respect des normes – et donc la peur que trop de concessions à la Grande-Bretagne donne envie aux uns et aux autres au sein de l’UE de reconstruire une Europe à la carte – et les intérêts commerciaux de l’Allemagne, largement excédentaire vis-à-vis de la Grande-Bretagne. Quant à Emmanuel Macron, il avait la chance stratégique de son quinquennat: se poser en médiateur entre la Grande-Bretagne et l’Union Européenne. Or il a fait exactement le contraire, par idéologie européenne plutôt que par défense des intérêts européens.

Selon les informations relayées, notamment par Libération, la décision française aurait motivée par la crainte de voir les Britanniques interférer dans les prochaines décisions européennes, de la nomination du remplacement de Mario Draghi, ou du prochain président de la Commission. Cependant, au regard de cette perte d’unité franco-allemande, peut-on réellement voir ce contexte comme ouvrant une capacité de nuisance renforcée pour le Royaume Uni ? Cette capacité de nuisance ne vient-elle pas d’avoir son effet le plus important envers Paris et Berlin ? 

Edouard Husson : Comme idéologue, Macron est cohérent. Il veut maintenir la pureté de son idéal européen. Surtout pas d’interférence avec le réel. Or les Britanniques sont, constitutivement, les porteurs d’un principe de réalité, depuis toujours dans l’UE. Ils ont d’ailleurs voulu quitter celle-ci à partir du moment où elle abandonnait le réalisme – à commencer par la politique d’immigration d’Angela Merkel. Et l’on peut compter sur eux, si leur gouvernement actuel met le doigt dans l’engrenage d’un ou plusieurs retards, pour être des empêcheurs de tourner en rond. Mais dans ce cas, Emmanuel Macron est incohérent: il aurait mieux valu négocier de manière équilibrée pour rendre le texte d’accord acceptable et donc voir partir la Grande-Bretagne en temps et en heure. En l’occurrence, le raisonnement de Macron est auto-réalisant: l’intransigeance vis-à-vis de la Grande-Bretagne retarde le Brexit et fait que les Britanniques restent dans l’Union. En fait, comme le dit bien Jean Quatremer dans un article paru le 11 avril, les Européens ont réimporté dans l’UE les disputes du Parlement britannique. J’ajouterai que c’est en fait un effet boomerang puisque c’est largement l’intransigeance unioniste qui a causé les divisions au sein de la Chambre des Communes.

En fait, il ne faut pas partir des intentions des acteurs pour comprendre le point d’aboutissement. Les protagonistes du Brexit arrivent régulièrement à l’effet inverse de celui qu’ils ont recherché.

Dans de telles conditions, comment envisager la suite ? Quelles sont les cartes à jouer, aussi bien pour Londres, Paris, et Berlin ? 

Edouard Husson : Il y aurait la voix de la raison, celle d’Annegret Kramp-Karrenbauer: on renégocie sur le backstop pour que le Parlement britannique puisse voter l’accord de retrait. Mais Angela Merkel n’aura jamais le courage de passer à l’offensive pour inverser le cours des choses. La Chancelière ne sait que suivre une ligne de plus grande pente; et quelquefois la dévaler, comme dans le cas de la crise ukrainienne, de la sortie du nucléaire ou de l’ouverture des frontières aux migrants. Comme Emmanuel Macron est incapable d’autre chose que la stratégie du chaos, au sein duquel il entend prospérer, il n’y a pas grand chose à attendre. Theresa May est devenue, depuis le 29 mars, un zombie politique à la tête d’un gouvernement de plus en plus sujet à des démissions collectives. Il va falloir attendre son remplacement, sans doute inéluctable ce mois de mai – sans mauvais jeu de mot – pour voir si une personnalité est capable de recoller les morceaux éclatés. En attendant, la Chambre des Communes va rester aussi divisée. Et elle réexportera ses divisions dans l’UE.

Il est très difficile d’imaginer, dans ces conditions, une issue de négociation apaisée.

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