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Jordan Bardella

Jordan Bardella, tête de liste du Rassemblement national aux élections européennes  Alain Robert/ Sipa

Une enfance dans une cité HLM du « 9-3 », pratique l’aïkido pendant sept ans, plus jeune conseiller régional d’Ile-de-France, engagé auprès de Marine Le Pen depuis ses 16 ans… Sur sa bio officielle, Jordan Bardella, la tête de liste du Rassemblement national aux élections européennes, multiplie les gages de militantisme et d’authenticité. Dans ce long CV à tout juste 23 ans, il a toutefois omis une ligne : du 16 février au 30 juin 2015, il a été l’assistant parlementaire de l’eurodéputé RN, Jean-François Jalkh, à mi-temps pour un coût total de 10.444 euros aux frais des contribuables européens.

Un oubli ? La crainte d’être éclaboussé par l’affaire dite des « emplois fictifs » où Marine Le Pen est accusée de détournement de fonds publics et a encore été entendue par les juges d’instruction le 17 avril ? « Le Parlement européen n’a jamais émis le moindre doute ni effectué la moindre demande de précision sur ma mission, par ailleurs de courte durée et de notoriété publique », répond le candidat à Challenges, qui n’est de fait pas poursuivi dans le cadre de l’enquête menée depuis deux ans par les juges anti-corruption Claire Thépaut et Renaud Van Ruymbeke.

« Usage irrégulier de l’indemnité »

Il n’empêche, le Parlement européen l’a dans son radar. Son nom apparaît sur un listing daté du 25 avril 2017, que Challenges a pu consulter, où l’institution recense les assistants des eurodéputés RN pour lesquels il soupçonne « un usage irrégulier de l’indemnité ». Un document qui a été transmis à la justice française et répertorie 54 contrats d’assistants parlementaires pour un préjudice total estimé à 6,8 millions d’euros. Le Parlement tiquait en particulier sur le fait que l’assistant était aussi secrétaire départemental du FN en Seine-Saint-Denis et « chargé de mission » au pôle veille et prospective du Front national, devenu Rassemblement national. Or, le règlement de l’hémicycle européen est strict : les frais d’assistance parlementaire ne peuvent pas financer « directement ou indirectement » un parti politique national.

A l’époque, Jordan Bardella était une jeune pousse dans l’ombre de Florian Philippot, l’ex-numéro 2 du FN aujourd’hui leader des Patriotes. « Il faisait partie de ces gens qui ne ménageaient pas leur peine et à qui il fallait trouver une place », souffle l’ex-eurodéputée FN, Sophie Montel, désormais en conflit avec son ancien parti. Le 28 mars 2017, le député européen Aymeric Chauprade, interrogé dans le cadre de l’enquête judiciaire sur les emplois fictifs des eurodéputés FN, avait mis les policiers sur la piste. « Concernant Jean-François Jalkh, M. Jordan Bardella a-t-il réellement exercé des fonctions d’assistant parlementaire local ? », avait questionné l’officier de police judiciaire. « Pour moi, non, avait répondu l’élu. Il s’agit d’une personne s’occupant de la communication de M. Philippot, il n’est pas dans l’environnement de M. Jalkh et n’est pas sur des activités parlementaires mais plutôt dans les réseaux sociaux. » A ce jour, le Parlement européen n’a pas réclamé à Jean-François Jalkh le remboursement des salaires versés à son ex-assistant.

Autre fait troublant : début 2015, le supérieur hiérarchique direct de Jordan Bardella sur l’organigramme du parti n’est autre que Loup Viallet, lui-même suspecté d’avoir été un emploi fictif du Parlement européen et poursuivi pour recel d’abus de confiance depuis l’été 2017. A la fois assistant de l’eurodéputée Dominique Bilde et délégué national à la prospective du FN, ce dernier a reconnu devant les policiers « une ambiguïté » entre ses deux fonctions et qu’il travaillait aussi « pour le parti ». Il faut dire que la plongée des enquêteurs dans son ordinateur a montré que la quasi-totalité de ses mails étaient signés « délégué à la prospective » et ne faisait jamais référence à sa fonction d’assistant.

La secrétaire de Marine Le Pen visée

Et Jordan Bardella n’est pas le seul candidat du RN à être un ex-assistant européen. En dixième position, avec toutes les chances d’être élue, Catherine Griset, la secrétaire de Marine Le Pen depuis vingt-cinq ans, est, elle, directement visée par la justice. De décembre 2010 à février 2016, elle jouissait du confortable statut d’assistante « accréditée » de l’eurodéputée Marine Le Pen, très avantageux fiscalement. Problème, alors qu’elle était censée habiter à proximité du Parlement européen, les enquêteurs détiennent plusieurs preuves qu’elle résidait en réalité en région parisienne.

Catherine Griset n’était d’ailleurs guère assidue à Bruxelles et Strasbourg. D’après le décompte de la badgeuse du Parlement, elle n’a passé que douze heures et trente minutes à l’intérieur des bâtiments entre septembre 2014 et août 2015. Face aux policiers, elle a soutenu qu’elle avait l’habitude d’entrer avec Marine Le Pen sans présenter son badge. Manque de chance, dans le contexte des attentats de 2015, les consignes de sécurité imposaient précisément de « badger » à tous les personnels. « Je considère que la justice n’a pas à interférer dans l’organisation par le député de ses activités politiques », s’est-elle défendu. Ce qui n’a pas empêché le Parlement européen de réclamer à Marine Le Pen le remboursement des 298.500 euros de salaires versés en six ans. Pas de quoi arranger les finances du RN et de sa présidente.

Contactés le 15 avril, Marine Le Pen, Catherine Griset, Jean-François Jalkh et Loup Viallet n’ont pas souhaité répondre aux questions de Challenges.

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