Étiquettes

Juan Guaido, président autoproclamé du Venezuela Photo: Reuters / Stringer .
Plus le temps passe et plus Juan Guaido, le président « alternatif » nommé en janvier par l’Assemblée nationale du Venezuela – et reconnu depuis par une cinquantaine de capitales dans le monde – apparaît impuissant à changer l’état des choses dans son propre pays.
Le dernier épisode de ce drame interminable, les 30 avril et 1er mai, a représenté pour Guaido et pour l’opposition vénézuélienne, qui rêve d’en finir avec le régime de Nicolas Maduro, un nouvel échec cuisant après les tentatives avortées de février et de mars.
Cette impuissance, teintée d’amateurisme et d’improvisation, permet à un régime discrédité à maints égards de se maintenir au pouvoir. Par la force, la ruse et par une stratégie de l’épuisement, contre lesquelles l’opposition n’arrive pas à trouver de réponse adéquate.
Le régime Maduro est régulièrement accusé d’être impopulaire, illégitime, brutal et incompétent. Selon des sondages crédibles, il obtiendrait moins de 20 % d’appuis populaires. Il figure sur les listes noires d’Amnistie internationale et de Reporters sans frontières.
Sans oublier que cet État a vécu l’une des plus grandes catastrophes économiques de l’histoire moderne : un PIB qui a chuté de 50 % en quelques années à peine. Du jamais vu dans un pays qui n’est pas en guerre.
Dans ces conditions, pourquoi l’opposition ne parvient-elle pas à ses fins? Pourquoi, ce 1er mai, y a-t-il eu une participation si faible aux « plus grandes manifestations de l’histoire du Venezuela », que Juan Guaido avait imprudemment annoncées la veille?
Pourquoi l’armée, courtisée de façon constante par Guaido et ses amis – avec les États-Unis derrière –, semble-t-elle maintenir sa loyauté à Maduro contre vents et marées?
Le 30 avril, l’opposition présentait comme irréversible et imminent un basculement spectaculaire, avec le peuple dans la rue et l’armée qui, unis, allaient bientôt faire tomber le régime.
Une scène surréaliste
On a vu cette vidéo un brin surréaliste de Juan Guaido, accompagné du célèbre opposant Léopold Lopez qu’on venait de libérer de sa demeure où il était en résidence surveillée.
Ils se sont présentés ensemble à la caméra, avec quelques dizaines de soldats sans grade, sur une autoroute, non loin d’une base militaire aérienne. Ils ont déclaré que « l’armée est en train de basculer », appelé à la mobilisation du peuple dans la rue, en disant qu’on y est presque, que la tyrannie va bientôt tomber.
Arrivent des forces fidèles à Maduro. Les « rebelles » se rallient ou disparaissent dans la nature. Leopoldo Lopez court vite se réfugier à l’ambassade du Chili, puis à celle d’Espagne. Juan Guaido se retrouve seul, s’interrogeant sur la suite des choses. Le gouvernement ne se donne même pas la peine de l’arrêter, faisant sans doute le calcul qu’il est en train de se déconsidérer dans l’opinion publique.
D’ailleurs, les sondages du début de mars, qui le plaçaient à 80 % d’appuis populaires, auraient fondu à 60 % au cours des dernières semaines.
Pourquoi cette impuissance de l’opposition?
Le peuple épuisé ne voit pas le changement arriver, et n’y croit plus, tandis que le régime, lui, n’a qu’un seul but : se maintenir à tout prix.
Il y a donc l’épuisement pur et simple – physique et psychologique – des Vénézuéliens. Cette crise ne dure pas depuis des jours ou des semaines, mais bien depuis des années : Hugo Chavez est mort il y a maintenant six ans.
Le manque de forces physiques pour se mobiliser, pour aller marcher, s’explique par la malnutrition, la maladie et la disette généralisée.
Quand on a passé la journée à se battre pour avoir de l’eau, de l’électricité, de la nourriture ou des médicaments, quelle énergie reste-t-il pour aller manifester, même si vous détestez ce régime?
Il y a aussi le fait que, dans cet affrontement, un camp a le monopole de la capacité de réprimer, le monopole des armes. Il n’y a pas – pas encore, ou pas de façon visible – de fractures dans l’armée, même si les rumeurs sont constantes.
Ingérences étrangères et dimension géopolitique
Y a-t-il dans la crise vénézuélienne une intervention des puissances étrangères? Bien sûr. Cette crise a une dimension géopolitique. Des rivalités internationales s’y croisent et s’y affrontent.
Plusieurs pays sont impliqués dans ce drame, à commencer par trois principaux.
D’abord Cuba, le voisin, allié et inspirateur du régime chaviste, qui a disposé sur le terrain, outre les fameux médecins, des « conseillers » par milliers. Ils ont une forte influence sur l’État, l’idéologie, les services de renseignement et de sécurité de Caracas. Une sorte de tutelle de l’appareil répressif.
La Russie a des intérêts et des investissements dans le pétrole vénézuélien et fournit une couverture diplomatique très utile au régime Maduro. Un régime que Moscou soutient mordicus, avec des déclarations, de l’argent et des armes.
Et puis la crise est également suivie de près par Washington. On peut légitimement présumer que les services secrets américains s’activent. Les hauts responsables – le président, le vice-président, le secrétaire d’État et le conseiller à la sécurité – ont multiplié depuis un an les déclarations ouvertement hostiles au régime Maduro.
Cette semaine, John Bolton, le conseiller à la sécurité de Donald Trump, a déclaré que Maduro est entouré de « scorpions dans une bouteille ». Il soutient que des personnalités de l’entourage de Maduro, y compris le ministre de la Défense et chef de la garde présidentielle, auraient entrepris des pourparlers avec l’opposition.
Washington a également diffusé une version selon laquelle, mardi, Maduro aurait été sur le point de s’envoler vers Cuba. Mais les Russes l’en auraient dissuadé au dernier moment, lui disant : « Tu restes là, tu ne prends pas cet avion! »
Moscou a immédiatement nié, criant à la désinformation américaine. Cela est tout à fait possible! Il faut dire aussi que les Russes en connaissent un brin en matière de désinformation et qu’une bonne « intox », ils savent ce que c’est!
« Une intervention militaire américaine est possible »
Autre « intox » probable : le secrétaire d’État Mike Pompeo a déclaré au matin du 1er mai que le président Trump se tenait prêt, si nécessaire, à faire intervenir l’armée américaine au Venezuela.
« Une intervention militaire, a dit Pompeo, est possible. Si c’est nécessaire, c’est ce que feront les États-Unis. Nous préférerions une transition pacifique, avec le départ de Maduro et la tenue d’une nouvelle élection. Mais selon le président, à un certain moment, il faut savoir prendre des décisions. »
Pour l’instant, ce ne sont toujours que des menaces verbales, qui ne signifient pas que des préparatifs d’intervention militaire soient vraiment en cours. La guerre psychologique n’est pas terminée.
Le chef du renseignement fait dissidence
À Caracas, il y a eu tout de même eu cette semaine une bonne nouvelle pour l’opposition : la défection d’un haut placé de l’entourage de Maduro. Cette dissidence est celle du grand patron des services de renseignements, les redoutables Services bolivariens du renseignement national.
Manuel Ricardo Figueira a été remercié à la fin d’avril par Nicolas Maduro. Sa femme serait déjà partie aux États-Unis.
Le Washington Post et l’Associated Press ont obtenu la copie (qu’ils ont authentifiée) d’une lettre où il exprime sa dissidence par rapport à la ligne Maduro. Signe que certains éléments du pouvoir ne sont pas pour la « ligne dure » du président et de son numéro deux Diosdado Cabello.
Dans cette lettre, Figueira s’adresse directement à Maduro : « J’ai réalisé que bien des gens à qui vous faites confiance négocient dans votre dos […] Il est temps de reconstruire le pays. L’heure est venue de changer notre manière de faire de la politique […] La corruption est si endémique que les hauts gradés la pratiquent comme un sport. Il serait irresponsable de ne blâmer que l’Empire américain pour tout ça. »


