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élections européennes 2019, Europe, gouvernement, La république en Marche, LREM, Nathalie Loiseau
Les macronistes ont conclu leur douloureuse campagne, vendredi 24 mai au soir, à Paris. Pendant trois semaines, l’ensemble des ministres, poussés par un président de la République lui-même omniprésent, se sont mobilisés pour tenter de sauver la candidature de Nathalie Loiseau. Et leur place au gouvernement.
Le public est debout, drapeaux européens et tricolores à la main. Déjà, quelques voix s’élèvent pour scander : « Édouard ! Édouard ! » Sur scène, la députée MoDem Sarah El Haïry vient d’annoncer l’arrivée du premier ministre dans la salle de la Mutualité, à Paris, où se tient, ce vendredi 24 mai au soir, le dernier meeting de campagne européenne de la liste « Renaissance », conduite par Nathalie Loiseau. Pendant quelques secondes, les applaudissements couvrent difficilement le malaise qui gagne l’assistance.
François Bayrou, le patron du parti centriste allié à Emmanuel Macron, et Stanislas Guerini, le délégué général de La République en marche (LREM), tous deux installés au premier rang, se lèvent pour dissiper le malentendu : Édouard Philippe ne viendra pas. Un peu plus tôt dans la soirée, une explosion est survenue dans le centre-ville de Lyon (Rhône), faisant treize blessés légers. Le chef du gouvernement est donc retenu à Matignon.
« Il y a eu une attaque à Lyon », avait pourtant annoncé le président de la République au début de son entretien avec le youtubeur Hugo Travers, diffusé en direct et sur grand écran à la Mutualité, avant que le meeting ne commence. Mais à ce moment-là, dans le brouhaha général, personne n’écoutait. La députée comprend son erreur. Quelqu’un relance la musique de campagne pour casser le silence. C’est reparti. Pendant plus de deux heures, une quinzaine d’intervenants se succèdent sur scène pour décliner leur vision de l’Europe et le fameux clivage progressistes/nationalistes qui, selon eux, la résume, dans une ambiance mollassonne.
En l’absence d’Édouard Philippe, le seul membre du gouvernement à prendre la parole est Jean-Yves Le Drian. À la tribune, il rappelle sous les applaudissements qu’il est « un homme de gauche », en écho au « je suis un homme de droite » régulièrement énoncé par le premier ministre. Le chef de la diplomatie fait face à ses collègues, venus en renfort pour ce dernier grand raout de campagne. Mais au fil de la soirée et des discours, la plupart des ministres s’éclipseront discrètement, sans même attendre que Nathalie Loiseau monte à son tour sur scène. Qu’importe : vendredi comme depuis trois semaines, l’essentiel était de se montrer.
Des réunions publiques un peu partout en France, des entretiens dans la presse, une opération de « phoning » pour convaincre les électeurs indécis… Pendant un petit mois, tous les membres du gouvernement se sont mobilisés derrière la liste « Renaissance », dans l’espoir qu’elle arrive en tête dimanche 26 mai. Il faut dire qu’Emmanuel Macron, lui-même omniprésent dans la campagne des européennes, avait trouvé de quoi les motiver en agitant le spectre d’un remaniement en cas de défaite électorale – c’est-à-dire si la liste LREM finit par se retrouver derrière celle du Rassemblement national (RN).
« Normalement, je devrais être presque mort, et vous, vous devriez être complètement morts, avait-il lancé à ses ministres, le 30 avril. Avant de prévenir : « Je peux tout changer, et surtout la configuration autour de cette table. » Édouard Philippe a donc participé à neuf meetings, le plus souvent dans des villes dirigées par des élus de droite qui, comme lui, se sont éloignés de Les Républicains (LR), sans pour autant rejoindre LREM. Une façon de marginaliser le soutien de certains autres de ses amis Macron-compatibles, comme le maire de Reims (Marne) Arnaud Robinet, à la liste conduite par François-Xavier Bellamy.
La menace du chamboule-tout brandie, les regards se sont tournés tout naturellement vers le premier ministre, dont l’une des fonctions sous la Ve République est de servir de « fusible ». Dans une interview accordée le 20 mai à la presse quotidienne régionale, le chef de l’État a préféré balayer la question, en expliquant n’avoir « jamais fait de politique-fiction ». « J’ai toute confiance en Édouard Philippe qui s’engage sans compter auprès des proeuropéens », a-t-il ajouté. À dire vrai, le sujet des personnes ne revêt guère d’intérêt au regard des choix politiques de l’exécutif. Or ce dernier est très clair sur le sujet : si la « méthode » peut être revue, le « cap », lui, ne bougera pas.
En installant le clivage entre « progressistes » et « nationalistes », Emmanuel Macron a très tôt fait de la première place de la liste « Renaissance » l’unique enjeu des européennes. Mais depuis quelques jours, ses soutiens – qui ont les yeux rivés sur les courbes de sondages – nuançaient cet objectif, expliquant que dans tous les cas de figure, le président de la République resterait « le seul leader en Europe », selon les mots de Nathalie Loiseau. « Si le RN est en tête, ça n’entachera pas plus que ça son leadership en Europe. Le seul capable [de faire évoluer l’Union – ndlr], c’est Emmanuel Macron », a aussi expliqué Pieyre-Alexandre Anglade, porte-parole de la campagne, le 24 mai.
Dans l’entourage du chef de l’État, certains reconnaissent toutefois qu’une seconde place le 26 mai poserait inévitablement « un problème politique », sans pour autant s’aventurer à imaginer la façon de résoudre celui-ci. Au sein des cabinets, d’autres soulignent qu’il serait plus judicieux de penser l’avenir en s’intéressant aux contours des portefeuilles ministériels plutôt qu’aux personnalités qui les occupent. « Il faudrait un gouvernement qui corresponde à la deuxième étape du quinquennat, estime un ministre. Pourquoi ne pas créer un ministère de la décentralisation, par exemple ? »
« Tout dépendra de l’écart entre notre liste et celle du RN »
En Macronie, nombreux sont ceux à penser que la crise des gilets jaunes et le « grand débat » qui s’est ensuivi rendent inévitable un changement profond. Tout le monde échafaude des scénarios. Et tout le monde finit invariablement par hausser les épaules. « Ça peut être ça ou ça ou ça, mais en fait, personne n’en sait rien. Même pas le président, j’en suis sûr. Tout dépendra de l’écart entre notre liste et celle du RN », glisse un conseiller ministériel. Alors en attendant dimanche, le gouvernement a choisi la Mutualité pour donner un dernier coup de pouce à la liste « Renaissance ».
« À la liste, plus qu’à celle qui la conduit », souffle un cadre influent de LREM, qui a du mal à cacher à quel point la candidate l’a agacé au cours des trois dernières semaines. Si chacun a pris soin de lui afficher son soutien en public, Nathalie Loiseau n’a clairement pas fait l’unanimité dans son camp, où beaucoup précisent qu’ils votent « Macron, pas Loiseau ». Après la révélation, par Mediapart, de sa présence sur une liste d’extrême droite lorsqu’elle était étudiante à Sciences-Po, l’ancienne ministre en charge des affaires européennes a enchaîné les polémiques et les erreurs de communication, sans réussir à reprendre la main sur la campagne.
Dans les différents rendez-vous qui ont ponctué cette dernière, elle n’est jamais parvenue à émerger. À plusieurs reprises, elle s’est même embourbée dans ses contradictions, incapable de conjuguer un discours censément « progressiste » avec les politiques menées depuis deux ans par Emmanuel Macron. Lors du dernier débat télévisé, organisé le 23 mai sur BFM-TV, elle assurait encore que la France accueillerait l’Aquarius s’il était « proche des côtes françaises, ce qui n’a jamais été le cas », oubliant un peu vite que la Corse, qui se proposait d’ouvrir l’un de ses ports au bateau de SOS Méditerranée, est encore française.
Ceux qui avaient poussé la candidature de Nathalie Loiseau auprès d’Emmanuel Macron, qui lui préférait alors celle d’Agnès Buzyn, ne cachent pas leur déception. Certains parlent d’« erreur de casting », d’autres se contentent de faire la moue en disant qu’« elle n’a rien imprimé ». Quelques connaisseurs des questions européennes vont même jusqu’à souligner son « incompétence » sur les dossiers. Et parmi ceux qui continuent à la soutenir du bout des lèvres, tous reconnaissent qu’il était temps que cette campagne se termine. « Elle nous avait dit qu’elle voulait aller convaincre les gens… Finalement, elle aura vécu tout ça comme un chemin de croix », glisse le cadre LREM cité plus haut.
Aussi pénible qu’il a pu être pour la tête de liste de « Renaissance », le chemin jusqu’au scrutin du 26 mai n’a pourtant pas été très long. Emmanuel Macron ayant fait traîner en longueur son « grand débat », la campagne des européennes n’a en réalité démarré que le 6 mai, avec l’organisation simultanée de huit meetings à travers toute la France. Avant que le programme ne soit officiellement dévoilé deux jours plus tard, seule la tribune du président de la République, publiée début mars, faisait office de projet.
Fin mars, le dévoilement des trente premiers noms de la liste de la majorité avait déjà pris un tour tragi-comique, qui aurait pu être interprété comme un signe avant-coureur. Ce jour-là, le directeur de campagne Stéphane Séjourné, également candidat en position éligible, ne semblait même pas connaître ses colistiers, dont il écorchait le patronyme. La photo de famille réalisée en fin de séance avait quant à elle donné lieu à une image dévastatrice, puisqu’au moment de prendre le cliché, le banc du dernier rang s’était effondré, faisant tomber plusieurs candidats.
À ce moment-là, la plupart d’entre eux ne s’étaient jamais rencontrés. L’eurodéputé EELV Pascal Durand, débauché par LREM avec l’ex-directeur général du WWF Pascal Canfin, n’avait même pas discuté du programme avec l’équipe de campagne avant d’intégrer la liste. Il ne rencontrera la responsable du projet, Garance Pineau, que deux semaines après l’officialisation de son ralliement. Et ce n’est que le 8 avril, à Bruxelles, qu’il fera la connaissance de son colistier Jérémy Decerle, ex-président des Jeunes agriculteurs (JA).
Avant qu’ils ne mènent campagne ensemble pour tenter d’incarner « la réconciliation de l’écologie et de l’agriculture », les deux hommes n’avaient pas grand-chose en commun. Jérémy Decerle était par exemple du genre à déclarer que l’« on doit cogner sans réserve, sans retenue, sur les Greenpeace, sur les L214 », une association œuvrant pour le bien-être animal. « Il ne faudrait rien s’interdire. Interdire la recherche sur les OGM, c’est dommage », expliquait-il encore récemment à Mediapart, de façon tout aussi décomplexée.
Afin d’essayer de convaincre qu’elle était vraiment écolo et que son projet était le meilleur en la matière, la majorité a mis en avant Pascal Canfin, caution verte et no 2 de la liste. Face à une gauche certes éparpillée, mais résolument tournée vers la transition écologique, « Renaissance » n’a pas réussi à se défaire du décalage qui persiste entre les discours et les politiques conduites par Emmanuel Macron – sur la biodiversité par exemple. Ni à paraître crédible sur ce que Nathalie Loiseau qualifie d’« écologie de solutions ».
En ultime recours, c’est Daniel Cohn-Bendit qui a été appelé à la rescousse. Le cofondateur d’EELV a ainsi participé à plusieurs réunions publiques comme caution écolo-libertaire pour tenter de rééquilibrer un mouvement penchant fortement à droite. Vendredi soir, il a de nouveau rempli sa mission, poussant le « en même temps » jusqu’à qualifier le général de Gaulle et François Mitterrand de « premiers marcheurs ». Au grand plaisir d’une salle sans repères qui, quelques minutes plus tard, se mettait à scander à son invitation l’un des slogans de Mai-68 : « Ce n’est qu’un début, continuons le combat ! »
Pour attirer les foules, l’équipe de « Renaissance » a voulu battre des records. Ainsi a-t-elle organisé, le 19 mai, un Facebook Live de 12 heures, durant lequel toute la Macronie a défilé. Le directeur de campagne, Stéphane Séjourné, s’est ensuite félicité du succès de l’opération, expliquant qu’il s’agissait de « la plus longue discussion politique de l’histoire des élections » et assurant qu’elle avait attiré plus de 200 000 internautes – un chiffre largement revu à la baisse par le site CheckNews de Libération. Comme un symbole de cette campagne en trompe l’œil qui n’aura finalement enthousiasmé que très peu de monde, y compris chez LREM.
À la Mutualité, Nathalie Loiseau a pourtant essayé de donner une dernière fois le change. « Cette campagne, on en reprendrait bien pour une semaine ou deux. Cette campagne, on y a pris goût », a-t-elle assuré sans convaincre personne, avant de se lancer dans des jeux de mots gênants sur son propre nom : « Comme l’oiseau, rien ne nous empêche d’aller plus haut. » Ce soir-là, dans la salle parisienne, les seuls à refuser de partir étaient les chants d’encouragement. Un peu plus tôt dans la journée, le porte-parole Pieyre-Alexandre Anglade avait lui aussi tenté l’auto-conviction en expliquant que « Renaissance » avait fait « la meilleure campagne possible ». La meilleure possible, peut-être, mais certainement pas la meilleure qu’ils avaient imaginée.
https://www.mediapart.fr/journal/france