Étiquettes
Par
Les négociations entre chefs d’État européens ont été l’occasion, pour Emmanuel Macron, d’une véritable offensive communicante. Arnaud Benedetti, rédacteur en chef de la revue politique et parlementaire, décrypte les ressorts du storytelling jupitérien.
Arnaud Benedetti est professeur associé à l’Université Paris-Sorbonne. Il est rédacteur en chef de la revue politique et parlementaire. Il a publié Le coup de com’ permanent (éd. du Cerf, 2017) dans lequel il détaille les stratégies de communication d’Emmanuel Macron.
Le «Macron show» est de retour. Ainsi va la com’ sous Emmanuel Macron. Elle ne saurait cadenasser la nature profonde du Prince. En quelques clichés postés sur le compte Twitter de l’Élysée, la machine spectaculaire s’est remise en marche. Quelques soubresauts dans les sondages, une non-défaite aux élections européennes transformée – miracle communicant! – en quasi victoire… auront suffi pour réamorcer la pompe à la théâtralisation.
La campagne de Bruxelles pour désigner les futurs maréchaux de l’Union aura servi de prétexte à une mise en scène où, in fine, tout laisse transpirer l’ego-système qui nous gouverne. Tout d’abord au plus fort du creux des négociations, à l’heure où tout semblait encalminé dans les affres d’une Europe qui se débat dans ses contradictions, une première photo d’un Macron enfoncé dans un fauteuil, tête levée en l’air, yeux fixement ouverts et concentrés de manière presque exaspérée, vient nous signifier la détermination et la froide colère du souverain. À coups de zooms se dessine la légende de celui qui ne renonce jamais, arc-bouté sur sa mission, prêt à rebondir – les mains en appui sur les rebords du fauteuil – alors que tout autour, hors champ, l’Union désunie se cherche ses feudataires .
En macronie, l’image détourne le réel.
Vingt-quatre heures de la vie d’un chef d’État ont passé et le tweet élyséen, nouvel hosanna numérique, crépite sur les réseaux. Quelques caractères et trois nouveaux clichés: Macron et Merkel sur un canapé, le premier négligemment assis sur le bord et surplombant avec décontraction la chancelière qui, souriante, pianote sur son mobile ; Macron, de dos et entrant dans une pièce où l’attendent quelques-uns de ses homologues ; Macron, en bras de chemise, face à un paperboard avec d’autres de ses pairs, à la recherche de la martingale qui dénouera la crise…
En macronie, l’image détourne le réel. C’est là que tout se joue, car le récit se grave dans ces instantanés qui relatent la marche du monarque qui décide, qui s’extrait des situations les plus inconfortables, qui jette son corps dans un imaginaire de l’immédiat dont la fonction est de fabriquer du «Waouh», de l’hébétude admirative, du commentaire laudateur. Après la tension dramatisée d’un conseil dans l’impasse vient le temps de l’ouverture des eaux où se suggère l’habileté combattive d’un deus ex machina qui aura tranché le noeud gordien d’une situation inextricable. Le casting est prêt, la team de l’UE est composée, la «belle histoire» a vaincu tous les suspens.
La France de Macron est celle où le Prince fait de l’amour de son image le ressort de son mouvement.
On l’aura compris, pour qui sait voir au-delà des apparences communicantes: la France de Macron est celle où le Prince fait de l’amour de son image le ressort de son mouvement. Les temps nauséeux du scandale Benalla et les fièvres jaunes se dissipent. La fabrique du pouvoir se virtualise à nouveau, dissociant toujours plus le réel de la narration, boursouflant sa «story» pour disséminer un étrange halo où le jeu iconique des riches heures a pour mission de subvenir aux besoins insatiables d’optimisme du peuple des «insiders». Ceux pour lesquels Macron est la fin de l’histoire, car il est leur histoire.
Source: Le Figaro