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Boris Johnson entre en fonction sous la menace d’une motion de défiance brandie par l’opposition travailliste.
Photo: Niklas HALLE’N Agence France-Presse Boris Johnson entre en fonction sous la menace d’une motion de défiance brandie par l’opposition travailliste.

Il en rêvait depuis près de 40 ans. En prenant la direction du gouvernement britannique mardi, le nouveau chef élu du Parti conservateur, Boris Johnson, se prépare toutefois à faire son entrée au 10 Downing Street loin de l’environnement politique et social qu’il avait espéré.

À la tête d’un parti profondément divisé, sans majorité au Parlement et au sommet de la hiérarchie d’un pays en crise après l’échec à répétition d’un Brexit qu’il a pourtant promis de livrer coûte que coûte d’ici le 31 octobre prochain, l’homme entre en fonction sous la menace d’une motion de défiance brandie par l’opposition travailliste et au son des talons qui se tournent sur son passage au sein de sa propre formation politique, frappée depuis les derniers jours par une vague de démissions. Un couronnement sur fond de chaos qui annonce déjà une mise à l’épreuve du populiste flamboyant à la tête d’un gouvernement dont les jours sont finalement déjà comptés.

Les 160 000 membres du Parti conservateur qui ont voté pour faire de Boris Johnson le nouveau premier ministre du Royaume-Uni ne représentent que 1 % de l’électorat britannique, fait remarquer Miranda Green, du Financial Times, dans une chronique publiée mardi. Tout en se demandant comment les 99 % restants vont accepter l’ascension de ce personnage controversé. « Cela va dépendre de la réponse à deux questions, écrit-elle. Va-t-il conduire les Britanniques hors de l’Union européenne, menant la première étape du Brexit à son terme là où sa prédécesseure [Theresa May] a échoué ? Peut-il offrir ce nouveau départ tant attendu par les conservateurs en respectant la date limite du Brexit, fixée au 31 octobre, chose qu’il a présentée comme un acte de foi lors de sa course au leadership ? »

Ces deux choses sont loin d’être certaines, alors que le début de mandat de l’ancien maire de Londres et figure de proue de la campagne du Brexit en 2016 s’amorce sous les critiques émanant de son propre camp. « Je suis très inquiet à l’idée que Boris Johnson improvise et je pense qu’il va droit vers une crise gouvernementale », a indiqué Alan Duncan, ministre d’État aux Affaires étrangères, après avoir démissionné avec fracas lundi en réclamant au passage un débat d’urgence en chambre sur la direction radicale qu’annonce l’ère Johnson.

Dimanche, le ministre de l’Économie et des Finances, Philip Hammond, a ouvert le bal d’une série de départs en annonçant son retrait du gouvernement conservateur si Boris Johnson était nommé premier ministre. Dans les circonstances, sa menace va être mise à exécution mercredi.

Depuis 24 heures, David Gauke, ministre de la Justice, Anne Miton, à l’Éducation, et Rory Stewart, responsable du développement international et candidat déchu à la succession de Theresa May, ont claqué la porte du gouvernement. Ils ont préféré ne pas accompagner M. Johnson dans son exercice du pouvoir, qui s’annonce plus que difficile avec un Parlement qui, tout comme cela a été le cas pour Mme May, ne lui sera pas plus favorable. En effet, les conservateurs n’ont plus de majorité à Westminster depuis le déclenchement d’élections anticipées en 2017, ce qui ne changera pas tant qu’il n’y aura pas de nouvelles élections législatives.

Pis, la semaine prochaine, deux élections partielles, dans les comtés de Brecon et de Radnorshire, détenus par les conservateurs depuis 2015, se préparent à soustraire deux députés conservateurs de plus au profit des libéraux-démocrates, qui mènent dans la course. « Les Britanniques méritent mieux que Boris Johnson », a d’ailleurs indiqué lundi la nouvelle chef de cette formation politique, Jo Swinson, tout en promettant de s’opposer à lui sur le terrain législatif. Elle fait ainsi écho à Alan Duncan qui, comme une poignée de députés conservateurs, doute, à voix haute et en public, de la capacité de M. Johnson à diriger le pays.

« Le nouveau premier ministre doit choisir s’il veut être le porte-parole d’une faction d’ultrabrexiters ou s’il veut se mettre au service du pays qu’il dirige, a résumé l’ex-premier ministre John Major (de 1990 à 1997) dans une lettre ouverte. Il ne peut pas être les deux en même temps, et le choix qu’il va faire déterminera la tonalité de son mandat dès la première minute. » En moins de 24 heures, trois ex-premiers ministres, dont Gordon Brown et Tony Blair, ont pris la plume pour mettre en garde le nouveau chef du gouvernement contre un populisme qui pourrait hypothéquer l’avenir du pays.

Du côté des travaillistes de Jeremy Corbyn, la menace d’une motion de défiance, formulée dans les derniers jours, a été reportée à l’automne, afin d’augmenter les chances de convaincre les conservateurs opposés à Boris Johnson de l’appuyer et donc de défaire rapidement le gouvernement du nouveau premier ministre, résume The Guardian,qui évoque même le début de conversations entre ces conservateurs « rebelles » et l’opposition en vue de former un gouvernement d’unité nationale qui aurait le mandat de mettre fin à la crise du Brexit par la tenue d’un nouveau référendum sur la séparation du pays d’avec l’Union européenne. Keir Starmer, figure respectée de la politique britannique et porte-parole de l’opposition en ce qui concerne le Brexit, serait même courtisée pour en prendre les commandes.

Selon un récent coup de sonde de l’organisme YouGov, 57 % des Britanniques sont désormais favorables à l’arrêt des procédures du Brexit, contre 29 % qui souhaitent rester sur cette voie. 14 % des personnes sondées en juin dernier sont par ailleurs indécises quant à l’issue à préconiser.

La promesse de Boris Johnson de livrer le Brexit dans les temps pourrait faire changer ces perceptions. Mais elle pourrait également placer le nouveau premier ministre sur une trajectoire balisée à une autre époque par James Callaghan, premier ministre travailliste, à la fin des années 1970, qui a ouvert le chemin aux années Thatcher. Il avait alors hérité d’un pouvoir fragile, tout comme M. Johnson, avec une minorité parlementaire et une crise sociale qui l’ont handicapé durant toute la durée de son mandat avant de le faire sombrer au terme d’un vote de confiance trois ans après son arrivée en poste.

« D’une certaine façon, la situation de Boris Johnson est pire, écrit Leo McKinstry dans les pages du Telegraph. Parce qu’il n’a que quelques mois avant la date limite du départ du Royaume-Uni de l’Union européenne, en octobre. Et durant cette période, il va devoir composer avec une phalange de quelque 30 députés [conservateurs pro-européens] conduits par les ex-ministres Philip Hammond et David Gauke, qui ont fait le serment de bloquer toute tentative de sortie de l’Union sans accord négocié. » Ce que Boris Johnson a promis de faire.

Si l’on se fie au monde des preneurs aux livres, une institution au Royaume-Uni, où le pari sur les sports, comme sur la politique ou les enjeux sociaux, est très populaire, cette promesse risque toutefois de rester lettre morte. En effet, la victoire de Boris Johnson a fait grimper à 71 % les chances que le Brexit ne se fasse pas comme prévu le 31 octobre prochain, avec ou sans accord. Elle a aussi fait remonter à 45 % celles de voir le déclenchement d’élections générales avant la fin de 2019, ajoutant ainsi à l’incertitude ambiante que le nouveau premier ministre, malgré ses intentions, risque surtout d’entretenir.

Source: Le Devoir