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Un esprit taquin remarquerait que les présidents français sont toujours très à l’aise sur la scène internationale, tant l’universalisme hérité des Lumières porte l’esprit français vers les déclarations dont le lyrisme le dispute souvent au volontarisme.
Ce serait non pas excessif à l’égard d’Emmanuel Macron, mais largement réducteur. Certes, on ne se pâmera pas devant l’organisation du G7 et ses intéressants « coups » diplomatiques. On ne parlera pas, comme Christine Ockrent – toujours merveilleuse de liberté à l’égard des puissants –, de « triomphe ». Mais on constatera que le président français porte une vision géopolitique d’inspiration gaullienne dont il serait bien inspiré de tirer les conséquences sur les scènes française et européenne.
Depuis une semaine, Emmanuel Macron parle d’« audace »
face à la crise d’un « capitalisme accumulatif » produisant des « inégalités insupportables » et qui nécessiterait de bousculer la bien-pensance diplomatique actuelle pour éviter la domination de deux impérialismes, américain et chinois. Le président, comme le notait Jean-Dominique Merchet dans l’Opinion, évoque même un « Etat profond » dont il faudrait éviter les réflexes et les dogmes. On se réjouira qu’il rejoigne ainsi les analyses de Marianne, qui dénonçait récemment la mainmise de la technostructure sur les décisions politiques et des néoconservateurs atlantistes sur le Quai d’Orsay… Encore faut-il que cet humanisme appuyé sur une véritable indépendance européenne que prône Emmanuel Macron se décline dans des arbitrages concrets en France même.
Un exemple ? La violente crise diplomatique avec le Brésil en offre un. Emmanuel Macron a raison de pointer que « l’ensauvagement du monde est reparti ». La vulgarité d’un président brésilien s’abaissant à insulter la femme de son homologue en affichant la sienne comme un trophée a quelque chose de répugnant, mais surtout d’inquiétant. Cependant, en rester au constat, c’est-à-dire au naufrage d’un Bolsonaro qui avait annoncé la couleur pendant sa campagne, tandis que ses nervis authentiquement fascistes agressaient les homosexuels et les militants de gauche, serait un peu léger.
Premier point, la communauté internationale, et notamment l’Union européenne, est restée de marbre face au coup d’Etat judiciaire qu’a constitué l’éviction de Lula de la course présidentielle pour une corruption dont le moins qu’on puisse dire est qu’elle gangrène l’ensemble de la classe politique… et judiciaire. Lula avait le tort d’être un peu trop socialiste, un peu trop protectionniste, quand Bolsonaro, plébiscité pour cela par les puissances financières brésiliennes, prouve, comme souvent dans l’histoire, qu’on peut être néolibéral et autoritaire.
Et c’est bien le néolibéralisme de Jair Bolsonaro qui explique la multiplication par quatre de la déforestation en Amazonie. Ce qu’Emmanuel Macron a fait mine de découvrir en expliquant que le président brésilien lui aurait « menti » sur ses bonnes intentions écologiques. M. Bolsonaro n’est pas un gentleman… A deux ou trois détails près. Emmanuel Macron ministre de l’Economie ne semblait pas traumatisé par la destruction de la forêt amazonienne quand il signait des permis d’extraction minière en Guyane. Et le rôle des multinationales françaises dans la région laisse rêveur. Surtout, l’agro-industrie forcenée pratiquée au Brésil, comme en Argentine, au Canada ou aux Etats-Unis, est depuis des années acceptée par une Union européenne qui tue sans états d’âme ce qui lui reste d’agriculture paysanne. La France importe 45 % de son soja (l’Union européenne, 65 %) pour nourrir des bêtes qu’il faut engraisser rapidement pour faire baisser les coûts. Une vache nourrie à l’herbe de pâturage, avec le foin et les céréales produits par la ferme, coûte évidemment plus cher et n’a ni les subsides de la PAC ni les bonnes grâces de la FNSEA ou de ses relais au ministère de l’Agriculture. Mais la sauvegarde de la planète passe par ce « moins mais mieux » que défend Marianne depuis des années. La volte-face du président sur le traité de libre-échange avec le Mercosur ne peut que réjouir (y compris les nombreux députés LREM qui n’en voulaient pas), mais ce n’est qu’un élément ponctuel.
Source : Marianne