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Marshall Billingslea reçu, le 23 septembre 2019, par le président du Parlement, Nabih Berry, à Beyrouth. Lebanese Parliament Press Office/HO/AFPMarshall Billingslea reçu, le 23 septembre 2019, par le président du Parlement, Nabih Berry, à Beyrouth. Lebanese Parliament Press Office/HO/AFP
Scarlett HADDAD

Les responsables américains se succèdent au Liban, avec un seul objectif : affaiblir le Hezbollah au point d’annuler son influence sur le pays. Tous… sauf un seul, dont la visite est restée secrète et qui était surtout soucieux de tisser des liens de confiance avec certains responsables, dont le directeur de la Sûreté générale, le général Abbas Ibrahim. Il s’agit de Robert O’Brien, en visite au Liban en août dernier, pour remercier le général Ibrahim, qui avait réussi à obtenir la libération de trois otages (Nizar Zakka, Kristian Lee Parker et Sam Goodwin) en peu de temps. À l’époque, M. O’Brien n’était alors qu’un envoyé spécial présidentiel américain chargé des affaires des otages. Aujourd’hui, il est le remplaçant probable de John Bolton en tant que conseiller à la Sécurité nationale.

Le responsable américain dont la visite à Beyrouth était placée sous le signe de l’ouverture et de la reconnaissance du rôle positif du Liban dans certaines questions concernant les États-Unis est de l’avis de ceux qui l’ont rencontré le contraire du « faucon » Bolton. C’est un homme discret et totalement dévoué au président américain Donald Trump. Il préfère les négociations à la guerre et c’est sans doute un peu pour cette raison qu’il serait pressenti pour prendre la tête du conseil de la Sécurité nationale, après notamment l’échec de la politique offensive de Bolton au Venezuela.

Indépendamment des considérations purement américaines et de ce que ce choix sous-entend au niveau de la politique internationale des États-Unis, cela signifie, selon une source diplomatique libanaise, que la politique actuelle américaine à l’égard du Liban reste nuancée, malgré les apparences. Officiellement et ouvertement, elle est clairement hostile au Hezbollah et vise à l’affaiblir à n’importe quel prix. Mais en même temps, elle reste soucieuse de ne pas mettre en danger la stabilité du pays et d’empêcher son effondrement, tout en gardant un moyen de contact indirect avec ceux qu’elle veut combattre.

Selon la source précitée, il est clair en tout cas que le Liban est actuellement important pour les États-Unis, puisque les responsables de l’administration Trump s’y succèdent depuis plusieurs mois. Rien que depuis le début de 2019, six personnalités américaines sont déjà venues à Beyrouth, certaines même plusieurs fois.

C’est David Hale qui a ouvert le bal en janvier 2019, suivi du secrétaire d’État Mike Pompeo en mars qui a passé le relais à David Satterfield, lequel a effectué plusieurs visites, avant de céder la fonction à David Schenker qui est venu à Beyrouth au début du mois, quelques semaines après la visite de Robert O’Brien et juste avant celle du secrétaire adjoint au Trésor chargé de la lutte contre le financement du terrorisme, Marshall Billingslea.Ce dernier a été le plus clair, dans ses rencontres avec les différents responsables, notamment le président de la Chambre et le Premier ministre, ainsi qu’avec les responsables financiers et ceux du secteur bancaire. Selon des sources proches de Aïn el-Tiné, M. Billingslea aurait ainsi déclaré à ses interlocuteurs libanais que ceux qui veulent utiliser le dollar américain doivent respecter les conditions mises pour cela. Il a aussi clairement affiché la détermination de son administration à mettre le Hezbollah en faillite financière et économique pour l’affaiblir et éliminer son influence sur la scène politique libanaise.

Face aux critiques de certains Libanais qui lui ont précisé que les sanctions américaines sont en train de toucher l’ensemble du secteur bancaire libanais et tous les citoyens en général, l’émissaire américain s’est voulu rassurant en précisant que, pour l’instant, il n’y a pas de nouvelles sanctions contre d’autres banques après celles visant la Jammal Trust, ni contre des personnalités ayant des liens politiques avec le Hezbollah. Les États-Unis veulent donc, pour le moment, sanctionner ceux qui aident financièrement cette formation, sans toucher aux relations politiques ou institutionnelles. Selon les sources précitées, l’émissaire américain se serait toutefois contenté d’écouter sans faire de commentaire les interlocuteurs qui lui ont dit que jusqu’à présent, les sanctions sont restées sans effet concret. Pendant une courte période, le Hezbollah a réduit de moitié les salaires de ceux qui travaillent dans ses institutions médiatiques et « jihadistes ». Mais au bout de quelques mois, il est revenu à son rythme d’avant, assurant le paiement des salaires complets et préférant faire des économies au niveau des locaux et des bâtiments loués dans plusieurs régions du Liban. Ainsi, la justification des sanctions par l’argument selon lequel elles créent des difficultés financières qui, à la longue, pourraient pousser l’environnement et la base populaire du Hezbollah à se retourner contre lui ne tient plus la route. Et finalement, ces sanctions nuisent plus à l’économie libanaise qu’à la popularité du Hezbollah et à son influence politique.

Toutefois, les interlocuteurs libanais de Marshall Billingslea confient qu’ils n’ont pas eu le sentiment que le responsable était sensible à cet argument, assurant qu’il faut attendre un peu pour constater les effets des sanctions américaines, sachant que le Liban est un pays fortement « dollarisé ». Par conséquent, les effets des conditions américaines posées en contrepartie de l’utilisation de cette monnaie ne peuvent que se faire sentir. Dans ce contexte complexe, où les pressions officielles sont atténuées par des messages discrets d’attachement à la stabilité du Liban, le pays reste tiraillé entre la position française qui exige des réformes pour débloquer les fonds du programme CEDRE et celle de Washington qui exige un affaiblissement du Hezbollah pour lever les sanctions économiques.

Source; OLJ