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Jacques Chirac s’est éteint à 86 ans. L’essayiste Arnaud Benedetti évoque l’homme indissociable de la vie politique française pendant près d’un demi-siècle.
Professeur associé à la Sorbonne, Arnaud Benedetti est spécialiste en communication, il a notamment publié Le Coup de com’ permanent (Éd. du Cerf, 2017).
Une France des cantons et des marchés, une France du «cursus honorum» républicain et des poignées de mains, une façon virile et cordiale de procéder à l’exercice politique. Chirac dont il est trop tôt pour établir un bilan politique était une synthèse: son ambition était le pouvoir ; son ambition au pouvoir était de s’y maintenir ; son pouvoir était la sympathie qui émanait du personnage.
Pompidolien par son goût de la simplicité, travailliste par nostalgie progressiste de jeunesse, gaulliste par socialisation militante, Chirac était d’abord un radical-socialiste. Il respirait une république des terroirs avant la France des périphéries.
Jacques Chirac respirait le pays, il en était le reflet.
Rien en lui n’allergisait. Il respirait le pays, il en était le reflet: opportuniste quand il le fallait, velléitaire parfois quand – au bord de la réforme et de ses précipices d’opinion – il se cabrait au moindre souffle d’une opinion qu’il jugeait rétive pour mieux reculer et se réserver, incantatoire quand il s’agissait de dénoncer «le parti de l’étranger» ou de vouloir défier la «fracture sociale», retors aussi quand il s’agissait d’éliminer un concurrent, inspiré enfin lorsqu’il opposa le refus du «vieux pays» à suivre les boys de l’US army dans un raid irakien dont on n’a pas fini de solder dans la souffrance les conséquences.
Les Français aimèrent Chirac pour l’imaginaire de contradictions et parfois de faiblesses qu’il incarnait, pour l’énergie à la hussarde qu’il déployait quasi physiquement. Cet athlète de la politique, qui avait traversé les déserts de l’impopularité aussi, qui avait échoué souvent dans son irrépressible envie du pouvoir, qui s’était mu de jeune loup carnassier de la chose publique en vieux fauve des rings électoraux, ne portait pas une idée à l’instar d’un De Gaulle mais une intuition. L’intuition d’un pays blessé qui n’était plus ce qu’il fut, d’un pays qui avait sédimenté tant de traumas qu’il ne fallait pas bousculer au-delà du nécessaire, ni blesser par une sémantique excessive.
Chirac habita la France comme on habite une vieille maison dont la façade dissimule l’usure des temps.
Chirac sentait le pays, ne le transforma pas fondamentalement, l’accompagna dans des changements imposés plus par le cours des événements que par volontarisme personnel, l’habita comme on habite une vieille maison dont la façade dissimule l’usure des temps. Chirac fut de son temps, de son peuple, et des hésitations de ce dernier. En ce sens il fut l’homme du destin de son époque. C’est à cela que l’on reconnaît l’animal démocratique. Chirac en fut un: sans conteste, avec ses aspérités, ses spontanéités également, et cette infatigable capacité à ne jamais renoncer, à «tarauder les planches de bois dur» dont Max Weber fait la matrice de celui qui a «la vocation» de la politique .
Source : Le Figaro Vox