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Sandra Muller, ici avec son avocat Francis Szpiner, a été condamnée pour diffamation par le tribunal de grande instance de Paris.
Sandra Muller, ici avec son avocat Francis Szpiner, a été condamnée pour diffamation par le tribunal de grande instance de Paris. | JACQUES DEMARTHON – AFP

Dans un jugement rendu mercredi 25 septembre, le tribunal de grande instance de Paris a condamné Sandra Muller, journaliste et initiatrice du mouvement #balancetonporc, pour diffamation envers l’homme qu’elle avait accusé nommément de harcèlement, une décision dont elle va faire appel. On vous explique comment les juges ont motivé leur décision.

Retweeté plus de 2 500 fois depuis sa publication en octobre 2017, le message de Sandra Muller avait participé à la vague de libération de la parole des femmes, à travers le monde. Deux ans plus tard, le tribunal de grande instance (TGI) de Paris ordonne sa suppression. Dans un jugement rendu ce mercredi 25 septembre, la juridiction condamne Sandra Muller pour diffamation, et lui demande de verser 15 000 € de dommages et intérêts au titre du préjudice moral qu’elle aurait causé à Éric Brion, l’homme qu’elle accusait de harcèlement.

Faisant référence à l’affaire Harvey Weinstein qui éclatait alors aux États-Unis, la journaliste française avait demandé aux utilisateurs de Twitter de raconter, « en donnant le nom et les détails », un fait de harcèlement sexuel vécu au travail. Avant de partager, elle-même, sa propre expérience en nommant, dans un second tweet, l’ancien directeur de la chaîne de télévision Equidia, et les propos graveleux qu’il lui aurait tenus. Toujours avec le hashtag #balancetonporc, devenu viral.

Les arguments des parties

Mais selon le tribunal, Éric Brion considère que la teneur des propos qui lui sont prêtés « n’est pas établie » et qu’aucun harcèlement sexuel n’est caractérisé. Le plaignant « fonde sa demande de dommages et intérêts sur l’atteinte à sa réputation, ajoute le TGI, compte tenu de son activité professionnelle, de la médiatisation du mouvement et des conséquences professionnelles engendrées par le tweet, ainsi que sur l’impact du tweet sur sa santé psychique ».

Sandra Muller, quant à elle, maintient les propos attribués à Éric Brion. Sa défense précise aussi que « le terme harcèlement doit être compris dans son acception courante, et non dans un sens juridique ».

Pas de harcèlement

Or, dans son jugement, le tribunal explique pourquoi, selon lui, le harcèlement ne peut ici pas être caractérisé. Il rappelle notamment que ce délit se constitue par « le fait d’imposer à une personne, de façon répétée, des propos ou comportements à connotation sexuelle qui, soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante ».

Le harcèlement peut aussi se constituer par « le fait, même non répété, d’user de toute forme de pression grave dans le but réel ou apparent d’obtenir un acte de nature sexuelle, que celui-ci soit recherché au profit de l’auteur des faits ou au profit d’un tiers ». Mais les juges ne constatent l’existence d’aucune de ces deux hypothèses.

La diffamation caractérisée

Dès lors, le tribunal s’en tient à l’article 29 alinéa 1 de la loi du 29 juillet 1881, qui définit la diffamation comme « toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé ».

Sandra Muller aurait toutefois pu éviter la condamnation si les juges avaient estimé que les preuves qu’elle avait apportées permettaient d’établir la vérité des faits diffamatoires. Mais selon le TGI, « l’offre de preuve ne comporte aucun jugement pénal définitif condamnant Éric Brion pour harcèlement sexuel envers Sandra Muller ». La véracité des faits ne peut, dès lors, pas être prouvée selon les juges.

Absence de bonne foi

« Les imputations diffamatoires sont réputées, de droit, faites avec intention de nuire, mais elles peuvent être justifiées lorsque leur auteur établit sa bonne foi, précise ensuite le tribunal, en prouvant qu’il a poursuivi un but légitime, étranger à toute animosité personnelle, et qu’il s’est conformé à un certain nombre d’exigences, en particulier de sérieux de l’enquête, ainsi que de prudence dans l’expression. »

Et d’ajouter : « Ces critères s’apprécient également à la lumière des notions « d’intérêt général » s’attachant au sujet de l’information, susceptible de légitimer les propos au regard de la proportionnalité et de la nécessité que doit revêtir toute restriction à la liberté d’expression. »

Si les juges avaient estimé que la défense de Sandra Muller remplissait l’ensemble de ces conditions, l’initiatrice de #balancetonporc aurait donc, là encore, pu éviter la condamnation. Ainsi, le TGI considère bien que « la question des rapports entre hommes et femmes, et plus particulièrement des violences sous toutes leurs formes infligées aux femmes par des hommes, constitue à l’évidence un sujet d’intérêt général ». Il exclut également toute « animosité personnelle » de la part de Sandra Muller.

Manque de prudence

Mais les juges pensent que cette dernière a manqué à l’un des impératifs nécessaires pour caractériser la bonne foi : la « prudence ». Après avoir détaillé la teneur des échanges entre les deux protagonistes, le tribunal note que « la base factuelle » dont disposait Sandra Muller « était insuffisante pour tenir les propos litigieux accusant publiquement le demandeur d’un fait aussi grave que celui du délit de harcèlement sexuel ». L’initiatrice du hashtag #balancetonporc a donc « manqué de prudence dans son tweet […] », et elle a « dépassé les limites admissibles de la liberté d’expression, ses propos dégénérant en attaque personnelle », selon le tribunal.

Qui conclut : « En conséquence, elle ne peut bénéficier de l’excuse de bonne foi. » Caractérisant donc la diffamation, le TGI condamne également Sandra Muller à verser 5 000 € au titre des frais de justice, et à publier un communiqué judiciaire sur son compte Twitter ainsi que dans deux organes de presse.

La journaliste, désignée parmi les « Personnalités de l’année » 2017 selon le magazine Time, entend néanmoins faire appel de cette décision qu’elle estime « lourde, punitive, décevante, incompréhensible ». Éric Brion, quant à lui, « attend sereinement le procès en appel, une voie de recours à laquelle il n’a pas eu droit quand il a été condamné par le tribunal de Twitter », a commenté son avocat.

Source : Ouest France