
Le moins qu’on puisse dire, c’est que Jean-Yves Le Drian a tenu, la semaine dernière lors de son audition au Sénat, des propos peu diplomatiques vis-à-vis des États-Unis sur son attitude face à l’offensive turque au Kurdistan. « J’ai vécu, dans des fonctions différentes, deux renoncements américains, le 31 août 2013 [renoncement à un bombardement du régime syrien après une attaque chimique massive dans la banlieue de Damas, ndlr] et le 13 octobre 2019. À deux reprises, les Américains ont renoncé à assurer la sécurité collective. Cela pose la question du lien transatlantique », a jugé le ministre des Affaires étrangères. Cette offensive turque met la sécurité de la France et de l’Europe en jeu, a-t-il rappelé.
« Concernant le manque d’anticipation par les Européens et la France de cette évolution, il faut avoir conscience que nous avions reçu des assurances des États-Unis. Il y a eu un revirement soudain qu’il était difficile d’anticiper », a souligné Jean-Yves le Drian, qui était interrogé sur le manque d’anticipation de l’Europe .
Que s’est-il exactement passé ? Selon Jean-Yves Le Drian, le président Erdogan a averti au cours d’un entretien téléphonique le 6 octobre, le président Trump de ce qu’il comptait faire, à savoir engager une offensive dans le Nord-Est syrien. Le président turque lui a demandé son soutien. « Le président américain a indiqué qu’il n’approuvait pas cette offensive, mais qu’il ne s’opposerait pas à ses plans et, le lendemain, il a ordonné à une cinquantaine de soldats présents sur la zone de se retirer, laissant l’opportunité aux forces turques d’entrer sur le territoire syrien, trois jours plus tard, le 9 octobre, et de le faire sans prendre le risque de menacer la sécurité de soldats américains. C’est ainsi que l’offensive a commencé », a raconté le ministre des Affaires étrangères.
« Les États-Unis servent-ils encore à quelque chose ? On a vu leur inaction suite à l’attaque en Arabie Saoudite le 14 septembre. Le retrait des forces américaines de Syrie est un cadeau fait à la Russie et à l’Iran, et cela envoie un message très inquiétant aux Saoudiens ou aux Israéliens », a analysé le sénateur de l’Eure, Ladislas Poniatowski (Les Républicains).
Retrait des Américains
Par la suite, l’avancée des forces turques a conduit au retrait, par les Américains, de certains avant-postes les 11 et 12 octobre. Le 12 au soir, les forces démocratiques syriennes (FDS) ont dit aux Américains qu’ils devaient « choisir entre une action permettant d’empêcher les actions aériennes de la Turquie ou un retrait, afin de permettre au régime et à la Russie de s’interposer entre les FDS et les forces turques ». « Le président Trump a choisi le retrait, et cette décision a été annoncée, sans aucune coordination avec la coalition dimanche [le 13 octobre, ndlr] à la télévision américaine par le ministre de la défense américain. Voilà la réalité de ce qui s’est passé », a poursuivi Jean-Yves Le Drian. .
« Pour ma part, j’ai eu mon collègue Pompeo vendredi soir [11 octobre, ndlr] au téléphone, avant ce second train de décisions : la logique était alors de tout faire pour enrayer la progression turque et mettre en oeuvre des mesures très fortes afin d’éviter que l’offensive ne se poursuive ; le lendemain, la position inverse était retenue », a expliqué le ministre.
La conséquence logique de la décision américaine de retrait, « c’est le retour du régime syrien et de la Russie dans le Nord-Est syrien ». Les modalités de ce retour sont en train de se dessiner. « Le président Trump et le président Erdogan portent la responsabilité de ce qui est, in fine, une victoire des parrains d’Astana : Turcs, Russes et Iraniens, amenés à se partager le Nord-Est selon une forme qui reste à déterminer », a fait observer Jean-Yves Le Drian. « C’est évidemment un tournant majeur dans le conflit syrien, et il conviendra d’en apprécier les conséquences, y compris sur le plan politique », a-t-il conclu. Ce qui pose « la question du lien transatlantique », a estimé le ministre.
« Les États-Unis adressent des signaux contradictoires. À l’inaction après l’attaque des raffineries de l’Aramco a suivi la décision d’envoyer 3.000 soldats américains en Arabie saoudite. Il est certain qu’il va falloir réfléchir à la relation transatlantique. Il faudra aussi que les Russes assument leur responsabilité dans la situation », a estimé Jean-Yves Le Drian.
Source: La Tribune
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