Étiquettes

  Natacha Polony
https://media.marianne.net/sites/default/files/chanteloup-vignes-marianne.jpg

« Imbéciles et irresponsables ». Les sympathiques jeunes gens qui, à Chanteloup-les-Vignes, ont éprouvé le besoin d’accueillir les forces de l’ordre au mortier artisanal ou au cocktail Molotov, avant de faire un feu de joie avec des équipements destinés à sortir leur cité du marasme, ont fait l’objet d’une brillante et courageuse analyse de la part du Premier ministre : « Je crois qu’il s’agit d’une petite bande d’imbéciles et d’irresponsables qui pensent que tout casser est une façon de faire avancer les choses. »

Monsieur le Premier ministre, croyez-vous sincèrement que qui que ce soit parmi ces délinquants haineux ait la moindre intention de « faire avancer les choses » ? Pour le dire en termes clairs et polis, ils établissent un rapport de force. Ils marquent un territoire. Ils crachent à la figure de toute la société leur fierté d’avoir fait sécession.

Le renoncement

Les mots ont un sens. Nous sommes occupés depuis quelques semaines à savoir ce que nous devons ou non qualifier d’« attentat », dans quelles circonstances il faut parler de « déséquilibré », ce que recouvre ce mot biaisé d’« islamophobie »… De même, le fait de savoir comment on nomme ce qui s’est passé à Chanteloup-les-Vignes n’est pas sans importance. Il y a déjà vingt ans, Jean-Pierre Chevènement, alors ministre de l’Intérieur, avait qualifié le même genre d’individus de « sauvageons ». Tollé immédiat. Il fut accusé de racisme (de la part de tous ceux qui professent l’antiracisme mais considèrent que les « jeunes » qui agressent des policiers et enfreignent la loi sont forcément issus de l’immigration), traité d’infâme réactionnaire par cette partie de la gauche qui a oublié que le premier devoir de l’Etat est de protéger les citoyens, en particulier les plus faibles et les plus pauvres.

Le plus drôle est que, en 2016, Bernard Cazeneuve, pour se parer des plumes de la gauche républicaine, avait repris ce terme à propos des agresseurs de Viry-Châtillon, qui avaient tenté de brûler vifs des policiers. Il s’était fait conspuer. « Sauvageons » pour parler de potentiels assassins : le mot semblait désormais totalement à côté de la plaque, presque indécent devant la violence de la scène.

Entre-temps, Nicolas Sarkozy avait parlé de « racaille » à « nettoyer au Kärcher ». Et Marianne l’avait expliqué à l’époque : le problème n’était pas qu’il prétendît rétablir l’ordre républicain dans les cités, mais bien que son unique but fût de transformer une juste attente populaire en outil de communication.

Les mots racontent l’abandon, le renoncement, la gêne devant les pressions idéologiques, autant de contorsions intellectuelles qui horripilent des citoyens parfaitement capables de s’indigner à la fois des violences policières contre des citoyens manifestant pacifiquement et des guetsapens tendus à des forces de l’ordre exerçant leur devoir.

« A un moment, déplore la maire LR de Chantelouples-Vignes, Catherine Arenou,

on n’a peut-être pas assez insisté sur l’éducation des enfants. On n’a jamais essayé de trouver un moyen de les accompagner dans leur réussite. Ça fait quarante ans qu’on s’est plantés, alors à un moment il faut oser. » Et c’est pour cette raison, visiblement, que les dealers qu’elle dérange se sont mobilisés. « Si on n’essaie pas, on meurt », ajoute-t-elle. Mais que pèse la volonté d’un maire dans un océan de clientélisme, d’idéologie victimaire, d’abandon de l’autorité, d’impuissance volontaire des juges ?

Il n’y a pas de réponse simple à la dérive des banlieues.

S’attaquer à l’emprise des gangs sur certains quartiers, c’est accepter une guerre d’images orchestrée par des militants qui adorent confondre « jeunes » et « délinquants » comme ils confondent en général « musulmans » et « islamistes ». C’est accepter de ne plus acheter la paix sociale, mais de compenser la fermeté dans l’application de la loi par un véritable horizon de réussite et d’intégration pour ceux qui la respectent. C’est faire en sorte que l’école soit le lieu d’apprentissage des règles et des valeurs communes et de la rigueur à laquelle expose la transgression. C’est aussi poser la question d’une immigration qui apporte à flux continus des populations pauvres dans des quartiers où elles n’ont aucune chance de sortir de leur pauvreté mais tirent vers le bas ceux qui auraient pu y échapper.

L’exaspération des citoyens face à des agressions qu’ils se refusent à accepter

comme de simples faits divers récurrents devrait alarmer les élus, locaux ou nationaux. Elle est proportionnelle au sentiment d’impunité des raclures et des caïds qui imposent leur loi sur ces quartiers. Si l’on veut que l’Etat conserve ce monopole de la violence légitime qui caractérise une société civilisée, il serait temps de ne plus se cacher derrière son petit doigt et d’appeler un criminel un criminel.

Source: Marianne