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Donald Trump et sa femme ont accueilli à la Maison-Blanche le président turc, Recep Tayyip Erdogan, et son épouse, mercredi.MANDEL NGAN/AFP
« Ne jouez pas au dur ! Ne faites pas l’idiot ! ». C’est en ces termes pour le moins inhabituels que le président américain, Donald Trump, s’était adressé à son homologue turc, Recep Tayyip Erdoğan, dans une lettre du 9 octobre. Les deux hommes avaient l’occasion, mercredi soir à Washington, de revenir à un langage plus convenu pour évoquer l’objet de leur différend d’il y a un mois, la Syrie.
Le cadeau incongru de Trump
En décidant, à la surprise générale, d’en retirer les unités américaines soutenant les forces kurdes engagées dans la lutte contre Daech, Donald Trump avait semblé donner un feu vert à une offensive turque contre ces mêmes Kurdes, que Recep Tayyip Erdoğan considère comme son principal ennemi. La décision du locataire de la Maison-Blanche avait suscité de vives critiques d’élus démocrates mais aussi républicains et de l’establishment militaire, fustigeant l’atteinte à la réputation d’allié fiable des Etats-Unis et le cadeau invraisemblable à la Turquie, mais aussi à la Russie ou à l’Iran en leur laissant ainsi le champ libre en Syrie.
Donald Trump avait alors menacé, en des déclarations confuses, de mettre à terre l’économie turque si Recep Tayyip Erdoğan poussait trop loin son avantage. L’armée turque n’a finalement conquis qu’une bande de terre relativement limitée, de trente kilomètres sur cent, au détriment des Kurdes, mais patrouille dans la zone avec… la Russie. Trump avait alors levé des sanctions symboliques imposées mi-octobre contre le régime turc.
L’Otan fissurée
Le contexte international et domestique s’est encore compliqué depuis lors. A l’heure même où il accueillait son homologue turc mercredi, Donald Trump faisait l’objet d’auditions publiques potentiellement dévastatrices à la Chambre des représentants. Cette dernière a lancé une procédure de destitution (impeachment) car le président américain aurait menacé Kiev cet été de lui retirer son aide militaire si elle ne lui fournissait pas des éléments incriminant les activités en Ukraine du fils du principal candidat démocrate, Joe Biden, à la présidentielle de novembre 2020.
Les relations entre Washington et Ankara sont d’autant plus tendues que, quoique membre de l’Otan, la Turquie a acheté à la Russie au début de l’été des systèmes de missiles antiaériens S 400. Le Congrès envisage de décréter des sanctions contre la Turquie si elle ne revient pas sur cet achat d’ampleur de matériels d’une Russie qui demeure le principal rival de l’Alliance atlantique.
La Chambre des représentants des Etats-Unis a reconnu en outre, il y a deux semaines, quasiment à l’unanimité, le massacre de 1,5 million d’Arméniens en 1915 comme un génocide. Une décision dénoncée avec virulence par Ankara. Des élus démocrates comme républicains ont estimé dans une lettre rendue publique lundi que le moment de la visite du président turc, sa deuxième sous l’ère Trump, était « mal choisi ».
Puisque les sujets qui fâchent ne manquent pas et que Donald Trump comme Recep Tayyip Erdoğan sont habitués des déclarations tonitruantes, leur conférence de presse commune en soirée s’annonçait haute en couleurs. A moins que les deux hommes, paradoxalement, ne choisissent d’afficher leur complicité sur les théories du complot dont tous deux sont friands. Donald Trump accuse le « Deep state », l’Etat profond, d’être à la manoeuvre dans la procédure d’impeachment contre lui, tandis que Recep Tayyip Erdoğan dénonçait mardi le « sabotage opéré par certains cercles bureaucratiques et politiques ». Deep state, une hiérarchie parallèle et secrète au sein des cercles militaires et bureaucratiques censée exercer le véritable pouvoir, est un concept apparu dans les années quatre-vingt-dix en… Turquie.