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 par Hubert Carron

BILLET : A propos du vote du projet de loi de bioéthique, le philosophe Hubert Carron décrit avec inquiétude le caractère irrésistible de la «technoscience» qui par avance a décidé de tout sans que personne n’y puisse mais. Le droit et la politique ne peuvent que suivre.


Agrégé de philosophie, Hubert Carron est professeur honoraire de classes préparatoires au lycée Masséna de Nice. Il est également navigateur.


En septembre dernier, à l’heure où s’ouvrait à l’Assemblée Nationalela discussion sur le projet de modification des lois bioéthiques,  l’Académie Nationale de Médecine (ANM), n’écoutant que son courage, a osé aller à contre-courant du large consensus des «spécialistes» et des «experts», chargés de préparer le terrain avant même tout débat. La principale modification du texte porte, on le sait, sur l’élargissement du droit à la Procréation Médicalement Assistée (PMA) à toutes les femmes désireuses d’avoir un enfant, alors qu’elle était  réservée exclusivement aux femmes stériles. Il s’agit ainsi de reconnaître juridiquement l’existence des foyers monoparentaux ; mais il s’agit surtout de satisfaire la revendication des associations de couples de lesbiennes pour la reconnaissance de leurs foyers homoparentaux. Autrement dit, il ne s’agit pas simplement d’accorder les mêmes droits aux enfants en général, qu’ils soient adoptés par les couples homosexuels ou issus des couples hétérosexuels, mais il s’agit bel et bien de créer pour les couples lesbiens un droit à l’enfant.

Le code civil admettra désormais l’existence d’enfants élevés par deux mères, quel qu’en soit au demeurant le caractère physiologiquement improbable. Au-delà de la pratique médicale, ou dite telle, ce n’est donc rien moins que la définition de la maternité qui se trouvera ainsi subrepticement transformée. Dans la foulée, c’est encore l’acceptation de l’effacement progressif du rôle du père, réduit in fine au rôle de «géniteur» ou de «donneur» plus ou moins encombrant – le projet de loi garantissant quand même le droit à la levée de «l’anonymat sur la filiation», reconnaissant autrement dit une paternité entendue comme simple «transmission d’un bagage génétique». L’enfantement n’est plus nécessaire pour définir la maternité, il suffit en revanche d’un don de sperme pour assumer la paternité. Devant un projet aussi anodin, et face à l’unanimité des avis favorables de l’éminent Conseil de l’Ordre des médecins (CNOM), du Comité Consultatif National d’Éthique (CCNE), du Conseil d’État, de la Commission d’Auditions Parlementaires,  bravant le ridicule et les quolibets, l’Académie Nationale de Médecine s’est permis d’émettre une réserve sur «les risques pour le développement psychologique et l’épanouissement de l’enfant» qu’entraînerait une telle modification de la loi, évoquant une véritable «rupture anthropologique». Une telle impudence, on le devine, s’est vite fait châtier…

La ministre de la santé, Agnès Buzyn, retenant à peine un sourire amusé ou condescendant, a eu beau jeu de rappeler que près de deux millions d’enfants vivaient déjà dans des foyers monoparentaux ou recomposés, sans qu’il y ait – les nombreuses études internationales semblent le démontrer –  de difficultés particulières pour leur développement psychologique. De même Jean-Louis Touraine, député LREM du Rhône et rapporteur du projet de loi bioéthique, a répondu aux réserves émises par l’Académie nationale de médecine (ANM) : on le sait et on vous le répète à l’envi, les enfants élevés dans les foyers monoparentaux ou homosexuels vont aussi bien que les autres. Et quand les enfants vont bien, tout va bien… n’est-ce pas ? Sans surprise, le projet de modification de loi ouvrant la PMA à toutes les femmes a donc été voté par l’Assemblée Nationale après deux jours de débat sans retentissement, avec 55 voix pour, 17 contre, et 3  abstentions – ce qui constitue effectivement l’exemple manifeste d’une belle «avancée démocratique».

Mais qu’est-ce qui «avance» au juste ? Les «libertés» ? Ou le caractère irrésistible de la «technoscience» qui par avance a décidé de tout sans que personne n’y puisse mais ? À moins peut-être que les deux ne soient liés ? L’accroissement des possibilités d’action sur la matière et sur la vie générées par le «progrès scientifique», n’engendre-t-il pas à son tour un besoin de régulation juridique que la loi a pour fonction de satisfaire ? Pourtant, dans cette «avancée» du droit, il semble que celui-ci ne puisse que courir constamment après les nouveaux modes d’action que, dans tous les domaines, la technoscience réalise factuellement.  Dès lors le droit ne régule plus la technoscience dans la mesure où celle-ci a déjà détruit toute référence transcendante susceptible de questionner la nécessité de son développement : la technoscience vaut en soi et pour soi comme un principe inconditionné. La pensée juridique ne se fonde plus, depuis belle lurette, sur l’hypothétique idée d’une «loi naturelle», tandis que les références traditionnelles sont désormais largement brouillées. Puisque la science avance, tout finalement sera progressivement permis. Le droit  dès lors abandonne de plus en plus sa fonction normative pour servir d’outil sociétal propre à accompagner l’avancée déroutante des pratiques et aménager progressivement aux yeux du grand nombre les revendications particulières de certains groupes sociaux. Chacun sait que derrière la PMA, destinée à répondre à la pression des associations lesbiennes, se profile déjà la GPA, qui rétablira «l’égalité» entre couples homosexuels féminins et masculins au nom de la non-discrimination. L’une comme l’autre étaient d’ailleurs déjà préparées par la loi sur le mariage homosexuel.

Il se peut que les enfants des couples homoparentaux ou des mères célibataires soient parfaitement heureux, car élevés dans l’amour. Il se peut aussi que ces foyers se heurtent à autant de difficultés que les autres. Si cependant les «avancées démocratiques» ne sont que la répercussion de l’avancée sans retenue d’une technoscience incontrôlée, le simple citoyen n’est-il pas en droit de demander : quel est au juste le projet d’une telle «science» ? Acceptera-t-on bientôt l’intervention sur le génome humain, l’amélioration du QI ou le ralentissement du vieillissement par manipulation génétique, le clonage, comme cela semble déjà se profiler à travers les recherches menées en Chine ou aux États-Unis ? Quel monde nous prépare en toute impunité une technoscience qui n’a pour vocation que d’accroître la puissance du faisable de telle sorte que dans une telle «avancée» tout ce qui est rendu faisable soit finalement fait ?

IPhilo