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©EPA
Quentin Joris

En ordonnant l’élimination d’un général iranien, le président américain avive les tensions en Irak.

L’émissaire de Téhéran pour les affaires irakiennes, le puissant général Qassem Soleimani, et un leader pro-iranien en Irak ont été tués vendredi matin dans une frappe de drone américaine à Bagdad, trois jours après une attaque contre l’ambassade des Etats-Unis. À la tête de la force Al-Qods, Qassem Soleimani, l’un des personnages les plus populaires et puissants d’Iran, était considéré comme un adversaire redouté de Washington et de ses alliés.

Aussitôt après sa mort, le Pentagone a annoncé que le président Donald Trump avait personnellement donné l’ordre de « tuer » Soleimani. Une action réfléchie? Clairement pas, selon le professeur en relations internationales de l’UCLouvain, Tanguy Struye. « Il n’y a pas de vision à long terme derrière tout ça. Trump écoute uniquement son instinct. Il est dans une logique de réaction, de revanche. Après l’attaque contre l’ambassade, son message est: vous frappez nos intérêts, nous ripostons. »

Conséquences potentielles

Si le président américain n’a pas pour objectif d’entrer en guerre avec l’Iran, son approche « réactive » pourrait toutefois avoir des conséquences dans la région, où Washington et Téhéran ne cessent de s’affronter à travers leurs proxys.

Le guide suprême iranien, l’ayatollah Ali Khamenei, a déjà clamé que l’action américaine ne resterait pas impunie. « Une vengeance implacable attend les criminels qui ont empli leurs mains de son sang et de celui des autres martyrs », a-t-il averti.

On peut s’attendre à des représailles. Le danger, c’est qu’on ne sait pas où elles vont s’arrêter.

                             Tanguy Struye
                              Professeur en relations internationales de l’UCLouvain

« Il n’y a aucun doute sur le fait que la grande nation d’Iran et les autres nations libres de la région prendront leur revanche sur l’Amérique criminelle« , a renchéri le président de la République islamique, Hassan Rohani.

Dans les rues de Téhéran, des dizaines de milliers de personnes manifestaient vendredi contre l’action américaine.

Dans ce contexte tendu, la coalition internationale de lutte contre l’État islamique a élevé d’un cran les mesures de sécurité entourant ses soldats présents en Irak, parmi lesquels une poignée de Belges. L’ambassade des Etats-Unis à Bagdad a également appelé ses ressortissants à quitter le pays immédiatement.

« L’influence iranienne est toutefois présente bien au-delà » des frontières irakiennes, rappelle M. Struye, citant entre autres la Syrie et le Liban. Dans le pays du Cèdre, la milice pro-iranienne du Hezbollah a d’ailleurs promis « le juste châtiment » aux « assassins criminels » responsables de la mort du général Soleimani.

« Les conséquences de l’action américaine sont difficiles à calculer, mais on peut s’attendre à des représailles. Le danger, c’est qu’on ne sait pas où elles vont s’arrêter« , ajoute M. Struye.

Les nombreux groupes pro-iraniens de la région pourraient notamment lancer des attaques contre des bases américaines dans les États du Golfe ou contre des navires dans le détroit d’Ormuz, que Téhéran pourrait fermer à tout moment.

Désescalade

Après avoir mis le feu aux poudres en éliminant le stratège iranien, les Etats-Unis ont semblé jouer la carte de la temporisation appelant à une « désescalade« , par la voix du secrétaire d’État Pompeo. Ce genre de promesse a cependant peu de chance de calmer les Iraniens, frappés dans leur honneur et privés d’un précieux stratège.

Au-delà de la poussée de fièvre qu’elle entraîne avec l’Iran, l’action américaine risque aussi de mettre à mal les relations entre Bagdad et Washington. « L’Irak est aujourd’hui dans une situation particulièrement instable. Il est possible que les Américains soient mis sous pression pour quitter le pays. Il faudra notamment voir quelle sera la réaction de l’opinion publique« , analyse Tanguy Struye.

Une fermeture à terme de bases américaines sur le sol irakien, où sont actifs quelque 5.200 hommes, n’est pas à exclure. Si une telle décision devait intervenir, elle risque surtout d’avoir des conséquences dans la lutte menée contre l’État islamique. « Une nouvelle fois, cela illustre que la politique américaine n’est pas réfléchie sur le long terme », conclut le professeur.

Le raid américain va tempérer l’enthousiasme sur les bourses
Coup de froid sur les marchés financiers. Le raid effectué par les Etats-Unis dans la capitale irakienne et qui a abouti à l’assassinat d’un général iranien risque d’inciter les investisseurs à plus de retenue dans les temps à venir. Ceux-ci pourraient prendre prétexte de cette opération pour prendre des bénéfices après une année exceptionnelle à Wall Street. Cela d’autant que les entreprises liées à l’indice S & P 500 se traitent à des niveaux de valorisation que l’on ne peut plus considérer comme vraiment attractifs. À 21 fois les bénéfices attendus pour les 12 derniers mois. « Il y a enfin une raison d’être prudent en bourse », avance Greg Valliere d’Investments AGF, cité par Bloomberg.

Pour Alberto Tocchio, responsable de l’investissement chez Colombo Wealth (Suisse), « le risque de sévères représailles est peut-être ce qui effraie les marchés ». Cette perspective permet de penser que les marchés seront désormais plus volatils dans les prochains mois.

Autre conséquence de l’attaque américaine, les investisseurs pourraient privilégier davantage les actions des groupes de défense, comme Northrop Grumman, Lockheed Martin, Raytheon et L3Harris Technologies. Ces 4 actions évoluaient vendredi à contre-courant de la tendance du marché new-yorkais. L’indice S & P 500 affichait à mi-séance un repli de 0,65%.

Pour leur part, les valeurs pétrolières étaient plutôt orientées à la baisse. Et cela, en dépit du rebond des cours du pétrole. Il est vrai qu’après être monté jusqu’à 69,5 dollars dans la matinée, le prix du baril de Brent est revenu en arrière. Il se situait en début de soirée à 68,2 dollars.

Enfin, l’opération américaine a donné un coup de pouce supplémentaire à l’once d’or. Sur la seule journée de vendredi, elle a gagné 20 dollars à 1.549 USD. 

L’Echo be