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La première journée du procès en destitution s’est étirée dans la nuit.Photo : Getty Images / Chip Somodevilla
Un marathon de 13 h a été nécessaire afin que les sénateurs approuvent les règles du procès en destitution du président des États-Unis, Donald Trump. Cette première journée, qui s’est terminée un peu avant 2 h mercredi, a donné le ton, traduisant le climat de polarisation et d’hyperpartisanerie à Washington.
Devant le refus de négocier le déroulement du procès opposé par le leader de la majorité républicaine, Mitch McConnell, son vis-à-vis de la minorité démocrate, Chuck Schumer, a multiplié les amendements visant à infléchir la position d’une poignée d’élus républicains confrontés à une campagne de réélection qui s’annonce difficile, par exemple Susan Collins du Maine ou Cory Gardner du Colorado, ou du moins à les forcer à se commettre publiquement.
Mais les sénateurs républicains se sont tous montrés intraitables sur cette question, restant insensibles aux arguments des responsables démocrates de la mise en accusation, qui agissent comme procureurs.
Les sénateurs républicains ont ainsi rejeté en bloc les six premiers amendements proposés par Chuck Schumer, après avoir entendu les arguments des deux parties.
Les amendements successifs demandaient au Sénat de forcer les témoignages du chef de cabinet de la Maison-Blanche par intérim Mick Mulvaney, l’un de ses conseillers principaux Robert Blair, ainsi que celui de Michael Duffey, un des responsables au sein du Bureau de la gestion et du budget (OMB). Les trois hommes sont impliqués dans le gel de l’aide militaire à l’Ukraine.
En octobre dernier, M. Mulvaney a reconnu que l’administration Trump avait bloqué cette assistance militaire pour des raisons politiques, avant de se rétracter.
D’autres amendements visaient plutôt à ordonner à la Maison-Blanche, au département d’État, au Bureau de la gestion et du budget de la Maison-Blanche (OMB), puis au Pentagone de produire des documents liés au dossier ukrainien que ceux-ci ont refusé aux comités d’enquête de la Chambre des représentants.
Dans les six cas, les démocrates se sont heurtés à une fin de non-recevoir, échouant à rallier ne serait-ce qu’un seul des 53 républicains à leur cause.
Un septième amendement, qui visait à assigner l’ex-conseiller à la sécurité nationale John Bolton à comparaître, a également été rejeté.
Au total, les sénateurs républicains ont rejeté 11 amendements présentés par les démocrates.
Un peu avant 2 h, mercredi, le Sénat a finalement adopté les règles du procès en destitution du président des États-Unis, Donald Trump, par un vote reflétant les lignes de partis, de 53-47.
Au total, le leader de la minorité démocrate au Sénat, Chuck Schumer, a proposé 11 amendements aux règles du procès qui ont toutes été rejetées par les sénateurs républicains.
Les travaux ont été ajournés à la suite du dernier vote.
Cette journée d’audiences a d’ailleurs donné lieu à deux dynamiques : l’une, entre l’accusation démocrate et les avocats du président, marquée par des débats centrés sur la procédure, l’autre par les votes des élus du Sénat reflétant parfaitement les divisions partisanes.
Cette première journée tranche avec la procédure visant le démocrate Bill Clinton, en 1999. Les deux formations, soucieuses de la tenue d’un procès équitable, s’étaient alors entendues au préalable sur cette approche, qu’elles avaient approuvée à l’unanimité.
Plaidoyer de l’accusation pour un procès « équitable »
Le président du Comité du renseignement de la Chambre des représentants, Adam Schiff, à la tête de l’équipe des sept responsables de la mise en accusation, s’est d’emblée opposé à la résolution républicaine, plaidant pour la convocation de nouveaux témoins auxquels la Maison-Blanche avait interdit de témoigner devant les comités d’enquête de la Chambre.
Pour étayer son argument M. Schiff a présenté un extrait vidéo montrant le président Trump dire qu’il aimerai[t]
que des membres de son administration, dont le secrétaire d’État Mike Pompeo et Mick Mulvaney, témoignent.
Il a en outre affiché les photos des 12 témoins clés, dont 9 qui avaient été assignés à comparaître, que les démocrates n’ont pas pu entendre en raison de l’intervention de la Maison-Blanche.
Au premier chef, les démocrates voulaient convoquer John Bolton qui, selon un témoin, a comparé les tractations de collaborateurs de Donald Trump à un trafic de drogue.
Adam Schiff a interpellé les sénateurs, évoquant la critique républicaine selon laquelle aucune des 17 personnes ayant défilé devant les comités d’enquête de la Chambre n’ait été un témoin direct des allégations.
Vous voulez entendre quelqu’un qui a participé aux rencontres? Quelqu’un qui a décrit ce que le président a fait […] comme un trafic de drogue. Voulez-vous lui demander pourquoi c’était un trafic de drogue?
Perçu comme un témoin-clé, John Bolton s’était dit prêt à témoigner plus tôt cette année si le Sénat l’assigne à comparaître. L’automne dernier, son avocat a affirmé qu’il avait eu personnellement connaissance
de réunions et de conversations pertinentes qui n’ont pas été abordées jusqu’ici dans les témoignages
.
Le procès ne doit pas récompenser l’obstruction du président
, a soutenu M. Schiff.
L’un des membres de son équipe, Hakeem Jeffries, a martelé le même message, réclamant un procès équitable
.
Lors de leur procès, les présidents Andrew Johnson, en 1868, puis Bill CIinton, en 1999, n’avaient fait obstacle à aucun témoignage, a-t-il argué, précisant que le premier procès avait vu défiler 40 témoins, et suivant, trois.
Puisant dans les archives télévisuelles, il a en outre montrant plusieurs membres de l’administration de Richard Nixon prêtant serment lors de l’enquête de la Chambre des représentants, en 1974.
L’obstruction complète et totale du président Trump fait passer Richard Nixon pour un enfant de chœur.
L’administration Trump a ignoré les 71 demandes de documents et de témoins, a-t-il spécifié.
L’entrave au travail du Congrès fait d’ailleurs partie des deux chefs d’accusation retenus contre le président, avec celui d’abus de pouvoir.
Estimant qu’il a compromis la sécurité nationale à son bénéfice personnel, les démocrates accusent le président d’avoir voulu extorquer à son homologue ukrainien, Volodymyr Zelensky, la tenue de deux enquêtes favorables à sa réélection, notamment sur l’ex-vice-président Joe Biden, candidat à l’investiture démocrate, en utilisant comme levier une aide militaire de 391 millions de dollars, qui a été bloquée pendant plusieurs semaines.
Le président a notamment réclamé ces enquêtes à son vis-à-vis ukrainien au cours d’un appel fait le 25 juillet, au centre de l’enquête à l’origine du procès.
Les témoignages sont inutiles, argue la défense
Le conseiller juridique de la Maison-Blanche, Pat Cipollone, qui doit assumer le rôle central dans la défense du président, a tourné en dérision les demandes de l’accusation, y voyant la preuve de la minceur du dossier.
Ils vous disent qu’ils ne peuvent pas prouver leur cause.
Il a plaidé pour l’adoption de la résolution républicaine telle quelle. C’est une façon équitable de procéder avec ce procès, a-t-il lancé. Il est grand temps d’entamer cette procédure.
Les avocats du président ont ainsi reproché aux démocrates de demander au Sénat de faire le travail de la Chambre
, puisqu’ils ont décidé de ne pas se tourner vers les tribunaux pour trancher la question des témoins et des documents.
La Chambre ne demande pas au Sénat de faire son travail. Elle demande au Sénat de faire le sien
, a rétorqué Zoe Lofgren, l’une des démocrates agissant comme procureurs.
Le procès prouvera que le président n’a absolument rien fait de mal
, a par ailleurs assuré M. Cipollone.
La défense a sensiblement repris les arguments mis de l’avant par les représentants lors de l’enquête en destitution.
L’avocat personnel du président Jay Sekulow, qui jouera lui aussi un rôle important au cours de ce procès, a soutenu que les démocrates ont mis le président en accusation pour des raisons partisanes. Lorsque l’enquête sur la Russie a échoué, elle s’est transformée [en enquête sur] l’Ukraine
, a lancé M. Sekulow, qui avait représenté le président lors de l’enquête sur l’ingérence de la Russie dans la présidentielle américaine de 2016.
Les avocats du président ont en outre affirmé, faussement, que les démocrates ne leur avaient pas permis de prendre part à l’enquête. Ils ont en fait décliné l’invitation de participer à une audience du Comité judiciaire de la Chambre.
Les républicains assouplissent leur position
Les avocats du président et les responsables de la mise en accusation ont d’abord plaidé pour convaincre les sénateurs du bien-fondé de leur position respective concernant la résolution déposée plus tôt par Mitch McConnell.
La résolution, qui comporte d’importants changements par rapport à ce qu’il avait annoncé hier, prévoit que les plaidoiries d’ouverture s’amorceront mercredi à 13 h. Elle confère à chacune des parties 24 heures sur trois jours pour plaider sa cause, soit une journée de plus qu’initialement prévu.
La perspective d’audiences de 12 heures qui se termineraient au petit matin, une fois les pauses incluses, avait profondément indigné les démocrates.
Autre changement : la résolution prévoit de permettre l’admission des éléments de preuve amassés pendant l’enquête de la Chambre à moins d’un vote déterminant le contraire. Lundi, elle prévoyait plutôt de l’admettre uniquement si un vote l’autorisait.
Signe que les changements de la résolution ont été apportés en vitesse, ils ont été indiqués à la main sur le document initial.
Selon CNN, Mitch McConnell a assoupli sa position après que des membres de son caucus eurent exprimé des réserves. Le réseau affirme en outre que les règles initiales avaient été avancées sous la pression de la Maison-Blanche.
Conformément aux grandes lignes de la résolution divulguées lundi, la question des témoins et des documents ne doit toutefois être décidée qu’après une période de questions de 16 heures pendant laquelle les sénateurs pourront poser des questions écrites lues par le juge en chef de la Cour suprême, John Roberts, qui préside le procès, et de 2 heures d’arguments de chacun des deux côtés.
La résolution stipule aussi que les parties disposeront de deux heures chacune pour leurs plaidoiries de clôture.
Fait à noter, les sénateurs n’ont pas le droit de parler pendant le procès, et les cellulaires et autres appareils électroniques sont également interdits.
Les leaders républicains du Sénat ont par ailleurs restreint l’accès des médias, interdisant par exemple d’autres caméras que celles du Sénat.
Directement de Davos, où il participe au Forum économique mondial, Trump a écrit son tout premier tweet du procès en début d’après-midi : « LISEZ LES TRANSCRIPTIONS! », une référence au compte rendu de l’appel Trump-Zelensky du 25 juillet.