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A force de se demander si leur charismatique champion ne les ignore pas un peu trop, les députés de la majorité ont fini par s’en persuader. Entre eux et le chef de l’Etat, la brouille est sérieuse
Mardi, Emmanuel Macron recevra à l’Elysée les parlementaires de la majorité, appartenant aux groupes La République en marche, MoDem, Agir et UDI. Cette rencontre interviendra une semaine après les vives critiques émises par les députés de la majorité à l’encontre du chef de l’Etat.
Entre les députés et Emmanuel Macron, ces derniers jours ne rappellent le film que par son titre. Le Mépris. Car aux premiers qui lui demandent « Tu m’aimes totalement ? », le chef de l’Etat n’a toujours pas répondu : « Je t’aime totalement, tendrement, tragiquement. »
C’est bien de cela dont il s’agit : des preuves d’amour. « Quand on est parlementaire de la majorité, on est un soldat. Point à la ligne », assène le président du groupe LREM au Sénat, François Patriat, qui juge que les députés ont juste besoin de « cocooning » venu de l’Elysée. Emmanuel Macron recevra donc ses troupes mardi, de l’UDI à En Marche, en passant par le MoDem. L’Elysée jure que cette rencontre était prévue de longue date, sur le même format que celle organisée le 11 décembre 2018. Le rendez-vous avait été interrompu par l’annonce d’un attentat sur le marché de Noël de Strasbourg.
Perche à selfies. Cette nouvelle grande messe collective réchauffera-t-elle le cœur des députés ? « Apercevoir la tête du président à 200 mètres de distance et échanger deux mots avec lui ensuite, ce n’est pas ce qui aidera à construire un lien », anticipe un élu. « Je suis très touché de l’invitation. J’ai déjà préparé ma perche à selfies », ironise un autre.
Le dernier point de contact de ce type remonte à septembre. Dans les jardins du ministère chargé des Relations avec le parlement, le chef de l’Etat avait bousculé les élus, leur demandant par exemple de rédiger moins d’amendements. « Cette rencontre n’avait pas été très productive, regrette une cadre de la majorité. On avait été prévenu au dernier moment un lundi après-midi. On avait sacrifié une demi-journée en circonscription pour remonter à Paris et entendre le chef de l’Etat nous demander d’être plus présent sur le terrain. » Aux grands raouts de ce type, les élus préféreraient reproduire les rencontres à une vingtaine de participants du début du quinquennat, par régions d’élection ou commissions parlementaires.
Leur patron lui-même a-t-il un accès privilégié au président de la République ? Absolument, assure l’entourage de Gilles Le Gendre. En plus d’échanges téléphoniques réguliers, le président du groupe LREM voit de temps en temps le chef de l’Etat en présence du secrétaire général de l’Elysée Alexis Kohler et du conseiller spécial Philippe Grangeon. Mais l’ancien journaliste n’a jamais le privilège d’échanger seul à seul avec le chef de l’Etat, contrairement à son prédécesseur Richard Ferrand. Ce dernier parle très souvent à Emmanuel Macron au téléphone ou en direct. « Ça joue au détriment de Le Gendre », admet un intime du Président. Les députés voient surtout dans cette mise à distance de leur patron un signe supplémentaire de dédain présidentiel à leur égard. « Il estime qu’il n’a pas de temps à perdre à les recevoir individuellement, interprète un député. Et c’est vrai que, vu le niveau général, je pense que j’en ferais autant à leur place. »
Stakhanovisme. Pour un responsable de la majorité, « ce n’est pas un problème de mépris, mais de frustration. Les députés ont renoncé à faire plein de choses dans leur vie, abandonnant leur carrière professionnelle et pour certains des salaires supérieurs à ce qu’ils allaient gagner en tant qu’élus. Ils avaient l’ambition de changer le monde. La réalité de la Ve République leur a fait beaucoup de mal. » Cerise sur le gâteau, leur sacrifice n’est pas récompensé. Au mouvement, certains les considèrent comme des empêcheurs de manager en rond, à l’inverse de référents départementaux qui se sacrifient bénévolement pour la cause. Et les chapeaux à plumes de la macronie s’échangent leurs plus belles erreurs d’analyse entendues lors des auditions de préparation des municipales.
En quelques années, la situation a beaucoup changé. « Lorsque Nicolas Sarkozy était à l’Elysée, nous avions calculé que son agenda comptait en moyenne 2,4 rendez-vous par jour avec un parlementaire. Ce qui représentait une douzaine de parlementaires par semaine et au total une cinquantaine par mois », rapporte Eric Schahl, alors en poste à la cellule politique du chef de l’Etat. En plus, deux fois par an, il faisait venir par cars entiers les 300 députés UMP à l’Elysée, pour leur servir un discours galvanisant. François Hollande avait, lui, juré qu’il ne recevrait pas sa famille politique au Château, avant de changer d’avis à la fin de son quinquennat. Les députés étaient invités par groupes de douze à prendre l’apéritif avec le conseiller Vincent Feltesse. Le Président s’invitait, l’air de rien.
L’Elysée n’aime pas ces comparaisons. « Le quinquennat d’Emmanuel Macron est un quinquennat sui generis, ni Sarkozy ni Hollande ne sont notre étalon », affirme un conseiller. Emmanuel Macron ne se sent pas lié par les « rituels » de l’ancien monde. Sans pour autant « mépriser » les élus : « Il les a tout le temps au téléphone, poursuit le conseiller. Il nous dit souvent : on va faire ceci, je l’ai promis au député Machin. » Le député Machin sera ravi de l’apprendre.