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Parallèlement au salutaire mouvement #MeToo dans le monde du sport, on voit celui de l’art et des médias secoué par des soubresauts plutôt malsains.

Le scandale qui touche actuellement le monde du sport est, comme une très large part des mouvements de dévoilement et de dénonciation d’actes criminels qui gagnent peu à peu toutes les strates de la société depuis l’affaire Weinstein, absolument salutaire. Dans un monde où des enfants sont confiés très tôt à des structures qui les éloignent de leurs parents, où l’emprise inévitable de l’entraîneur sur son athlète – car la dureté de ce que l’on s’impose comme athlète ne peut être supportable que dans une confiance totale, presque un abandon, vis-à-vis de celui qui permet d’espérer les progrès et la victoire – réclame une parfaite pureté des intentions, et donc un contrôle vigilant des instances pour protéger des enfants et des jeunes qu’elles ont sous leur responsabilité.

Le silence qui a trop longtemps entouré ces abus et ces crimes recule enfin, et cette victoire sur le poids des habitudes et des lâchetés passe par le renversement de la honte : ce ne sont plus les victimes qui doivent se cacher et se taire. La justice, dans cette affaire comme dans les autres, doit passer. Ne serait-ce que pour rappeler aux autres, aux futures victimes, qu’elles doivent, si elles le peuvent, parler avant la prescription des faits. La justice est nécessaire pour que les différents récits soient entendus et que la vérité qui sortira d’un procès ne puisse être entachée de doutes ou de dénégations.

Le mouvement que l’on appelle #MeToo est en train de bouleverser les rapports sociaux en ce qu’il signe le refus de la soumission des femmes au désir unilatéral et prédateur. En cela, il marque une étape dans l’émancipation de celles qui ne devraient plus jamais être appelées « sexe faible ». Mais c’est justement pour cette raison que ce mouvement doit être préservé de toute tentation sectaire ou revancharde. Si de cette formidable vague de liberté ne devait surnager que ce qui tend à faire des femmes des victimes parce que femmes, et des hommes des bourreaux parce que hommes, nous n’aurions rien gagné. Si ce progrès essentiel était détourné pour devenir un prétexte à la mise au pilori et à la mort sociale d’accusés non jugés, nous aurions même beaucoup perdu. Risque marginal, répondront certains. Visiblement non, puisque parallèlement à ce salutaire mouvement dans le monde du sport, on voit celui de l’art et des médias secoué par des soubresauts plutôt malsains.

Dimanche 2 février, Mediapart publiait un article de Marine Turchi visant l’émission culte pour tout auditeur de France Inter : « Le Masque et la Plume ». A travers les attaques contre les critiques littéraires et de cinéma qui se succèdent autour de Jérôme Garcin, c’est une conception des oeuvres d’art et de leur réception qui se fait jour. Une conception absolument consternante.

On apprend donc, sous la plume de Marine Turchi, que tous ces chroniqueurs seraient un ramassis de misogynes (et de racistes, pour faire bonne mesure), spécialistes du rire gras et des allusions graveleuses. La moindre plaisanterie bon enfant devient un élément à charge, la preuve qu’on minimise les violences faites aux femmes ou qu’on discrimine actrices, réalisatrices et écrivaines. Et quand un chroniqueur n’aime pas le dernier film de Céline Sciamma, réalisatrice très sûre de son génie et occupée à s’assurer de son influence sur le petit milieu cinématographique, c’est évidemment parce qu’elle est une femme.

Il faut dire que Marine Turchi, devant l’urgence de débusquer le mal tapi sous le service public, a écouté 96 émissions ! Le but : y piocher toute phrase qui pourrait, sortie de son contexte ou interprétée de façon malveillante, démontrer la culpabilité des intervenants. Mieux, le public lui-même est complice, par « son silence ou ses rires ». Lecteur, si tu appartiens aux 700 000 personnes qui écoutent chaque dimanche soir la joyeuse bande du « Masque et la Plume », tu es un ignoble masculiniste.

Pensez donc! Les chroniqueurs commentent le physique des actrices ! Ce qui est scandaleux puisqu’il semble évident que le succès de Keira Knightley, de Marine Vacth ou d’Eva Green ne doit rien à leur physique. Le cinéma ne doit plus être cet art qui joue sur le fantasme et le désir. Il doit défendre des justes causes, et les critiques doivent le juger à cette aune. Le grand retour de l’art stalinien. La critique version « le casque et l’enclume ».

Quiconque écoute « Le Masque et la Plume » aura pourtant noté l’effort pour atteindre la parité quasi systématique parmi les chroniqueurs. Certains auront même pu s’agacer d’entendre tous les livres et films qui évoquent la cause des femmes jugés, non sur leur qualité artistique, mais sur leur intention. Pour Marine Turchi, ce n’est pas encore assez. D’ailleurs, elle ne dit rien de ces moments pourtant majoritaires. Seuls l’intéressent les « dérapages », le rire, les blagues. Dans le monde du Bien, on ne rit pas.

Nombre d’auditeurs de France Inter s’agacent sans doute de la misogynie provocatrice d’Eric Neuhoff, chroniqueur cinéma du Figaro. Mais comme ils sont adultes, ils en concluent que son avis est orienté et ils se forgent le leur. Cela s’appelle éviter de prendre les gens pour des cons. Et c’est une mission de service public.

Marianne