THÉÂTRE : Quand Emmanuel Macron cherche à se sortir de l’affaire Griveaux… La scène se passe au Palais de l’Elysée le vendredi 14 février 2019 vers 10 heures dans le bureau du Président de la République. Oui, avant-hier, mais ceci est une pure fiction, un petit vaudeville du dimanche, donc toute ressemblance etc. serait bien évidemment fortuite !
Contexte : Jusqu’à vendredi dernier 9 heures, Benjamin Griveaux était le candidat choisi par la République en Marche pour décrocher la Mairie de Paris en mars prochain.
Une candidature contestée au sein du parti présidentiel, notamment par Cédric Villani, prétendant malheureux qui a finalement décidé de se présenter en solo. Et une candidature à la peine : fin janvier, les sondages ne lui accordaient que 16 % des intentions de vote, contre 23 % pour Hidalgo et 20 % pour Dati.
Et soudain, coup de tonnerre : la diffusion publique d’une vidéo à caractère sexuel qu’il a lui-même réalisée et transmise en mai 2018 alors qu’il était membre du gouvernement – « Il reconnaît que ce n’est pas la meilleure initiative qu’il ait eue » a confié un proche – le pousse rapidement à abandonner la course municipale.
Le « tombeur » de Griveaux est un « artiste » russe réfugié en France. Son profil clairement sulfureux n’est pas sans soulever son lot d’interrogations sur ses motivations. Il dit tenir la vidéo de la jeune femme à laquelle elle était destinée et avoir voulu dénoncer l’hypocrisie d’un politicien qui a beaucoup médiatisé sa vie familiale.
À partir de là, fiction : Emmanuel Macron a convoqué d’urgence le ministre de l’Intérieur Christophe Castaner, la secrétaire d’Etat à l’égalité hommes femmes Marlène Schiappa et le ministre du budget Gérald Darmanin pour discuter des suites à donner. Ils sont rejoints ensuite par la députée LREM des Yvelines Aurore Bergé.
Castaner (penché sur son téléphone, l’air rigolard) : Ah ah, bel homme, notre Benjamin ! Et quelle forme ! Qui l’eut cru ? (Se tournant vers Marlène Schiappa) Marlène, dis-nous tout ! C’est de la bonne ou pas ?
Schiappa : Heu… Ça ne serait pas un peu machiste, ce que tu dis, là ? (En aparté à Castaner) Fais voir… Ah oui ! Je dirais même plus : Oh oui !
Darmanin (qui a entendu) : Et c’est une experte qui parle !
Schiappa (outrée) : Non mais j’hallucine ! Qu’est-ce que tu veux dire ? M. le Président, cette façon de traiter les femmes, ce n’est plus possible… Je vous rappelle que la cause des femmes est une priorité de votre quinquennat. Mais quand je vois comment le surmoi machiste de ce gouvernement refait surface à toutes les réunions auxquelles je participe, je commence à avoir des doutes. Heureusement qu’il y a Bruno pour comprendre ce que veut dire égalité entre les femmes et les hommes.
Darmanin (tout sourire) : Mais, chère Marlène, ce que je voulais dire, c’est qu’en tant qu’experte de l’égalité hommes femmes, tu es extrêmement bien placée pour apprécier les… immenses qualités des uns et des autres sans préjugés.
Macron (agacé) : On peut commencer ou faut-il que je vous supprime vos portables, comme à l’école ?
Castaner : Allons, Manu, décoince-toi ! Tiens, ça me fait penser à cette blague de la petite fille sur la plage. Vous la connaissez ? C’est une petite fille qui demande à son père : « Papa, je peux jouer avec ton zizi ? » Réponse du papa : « Oui, mais ne t’éloigne pas trop. » (Il rit bruyamment).
Schiappa (étouffant un rire) : Heu… C’est vrai qu’elle est marrante, mais ça ne serait pas une forme de soutien à Gabriel Matzneff, ton histoire ? Si j’étais toi, j’éviterais de la raconter partout. On n’est jamais trop prudent.
Castaner : Si on ne peut plus rigoler…
Macron (le coupant, carrément furieux) : Voilà ! On n’est jamais trop prudent ! Merci Marlène. (À Castaner) Ce qui me décoincerait vraiment, comme tu dis, ce serait que tu fasses ton boulot de ministre de l’Intérieur. Si je comprends bien, Griveaux a fait le mariole sur internet et toi, en tant qu’homme le mieux informé de France, tu n’étais au courant de rien, tu n’as rien vu venir et tu n’as rien pu empêcher !
Castaner : Mais, Manu, c’est sa vie privée ! Tu ne voudrais quand même pas que je place tout le gouvernement et tout LREM sous surveillance 24 h sur 24 ! On a bien la loi Renseignement, mais en principe c’est seulement dans un cadre terroriste. (Il recommence à rire) Tu me diras, ces vidéos, c’est tellement énorme que ça peut facilement terroriser certaines personnes fragiles, ah ah ah !
Macron : Non mais tu ne vas pas recommencer ! Ecoutez-moi tous. On nomme Rugy à l’écologie et on découvre qu’il se goinfrait de homards géants avec les amis de sa femme quand il était à l’Assemblée. On fait entrer Delevoye au gouvernement et on s’aperçoit qu’il a rédigé sa déclaration d’intérêts n’importe comment. On choisit Griveaux pour choper Paris et on apprend que quand il était porte-parole du gouvernement, il a envoyé sur internet une sextape où on le voit se masturber ! Et encore, je ne cite que les épisodes les plus récents. J’ai l’air cool comme ça, mais trois ans de mandat, trois ans d’affaires, trois ans de galère à cause de marcheurs en roue libre, ça commence à bien faire. À partir de maintenant, on n’a plus le droit à l’erreur.
Darmanin : M. le Président, vous avez absolument raison, la maîtrise d’internet, à notre époque, ça demande beaucoup de courage, mais c’est indispensable. Et ce n’est pas pour me vanter, mais à Bercy, justement, on maîtrise ! Si vous le souhaitez, je suis tout prêt à transmettre à tous les membres de la majorité les rudiments essentiels des courageux processus informatiques que nous avons courageusement mis en place avec succès sur le courageux prélèvement à la source.
Macron : Darmanin, je vous remercie. Votre proposition qui témoigne de votre remarquable sens du collectif vous honore mais je vous avoue que je vois mal le rapport entre l’informatisation du prélèvement à la source et le recrutement de marcheurs de confiance. Pour tout vous dire, j’ai une autre idée en tête. Casta, écoute-moi bien, car ça te concerne. Je veux dorénavant que tout marcheur pressenti pour un poste sensible soit soumis à un questionnaire sans concession du genre de ceux que vous devez remplir quand vous voulez entrer aux États-Unis.
Castaner : Je vois d’ici la question : « Dans le cadre de vos fonctions au service de l’État, vous est-il arrivé de poster sur internet des vidéos de vous en train de vous masturber ou avez-vous l’intention de le faire ? » Bah, tu plaisantes ?
Darmanin : C’est vrai qu’à Bercy on se contente de demander aux gens s’ils possèdent un yacht sans pousser l’enquête jusqu’au joystick. Mais on est très fort en collecte de données. Et maintenant on utilise les réseaux sociaux pour vérifier les déclarations. J’ai lu qu’il faudrait les contrôler plus. Je ne suis pas contre, mais à condition que ça ne me prive pas d’informations fiscales indispensables.
Macron : Merci Darmanin, il sera tenu compte de votre très judicieuse remarque. On ne peut pas se permettre de laisser filer une telle source potentielle de recettes. Mais pour en revenir à l’affaire Griveaux, non, je ne plaisante pas. Il faut enquêter avant, pour éviter les surprises après. Casta, pense à des questions, autant que tu veux et dans tous les domaines potentiellement casse-gueule que tu puisses imaginer. Mais le mot d’ordre, c’est bien : fini les surprises. On a encore deux ans à tenir et j’aimerais arriver à parler un jour de mon nouveau monde et de ma République exemplaire sans que ça fasse rigoler tout le monde. Sinon c’est la fin. Pas seulement pour moi, mais aussi pour vous. (Soupires) Et dire que j’ai renoncé à ma retraite de Président…
Castaner (tout bas à Schiappa) : On dirait bien qu’il a complètement oublié comment il est arrivé au pouvoir. On était socialistes et on est devenus macronistes. Eh bien, on est macronistes et on verra bien ce qu’on deviendra si ça se gâte.
Schiappa (chuchotant aussi) : Heu… Tu crois que ça se gâte ? Tu crois que je devrais rejoindre tout de suite l’équipe d’Hidalgo ?
Castaner (sur le même ton) : Je vois que tu as compris le principe. Toujours regarder le premier socialiste du sondage. Avec des socialistes à la mode Le Maire ou Darmanin, ça laisse une belle marge. On trouvera toujours à se recaser.
Schiappa (idem) : Tu as raison. (Voyant que Macron la regarde, elle continue à haute voix, s’adressant à tous) On parlait de Bruno Le maire. Il adore ce que je fais et il est encore plus à fond que moi ! Vous verriez notre projet de loi sur l’égalité femmes hommes dans la vie économique… Un petit bijou de progressisme !
Macron : Tant mieux. À propos d’égalité hommes femmes, Casta, je comptais justement t’adjoindre Aurore Bergé. Elle a toujours des idées auxquelles personne ne pense et elle est très douée pour les rapports. Les rapports parlementaires, je veux dire.
Darmanin : Naturellement. Bon choix, M. le Président. Elle poste peut-être des vidéos de chattes…
Castaner, Macron et Schiappa (le coupant) : Des vidéos de quoi ???
Darmanin (pas mécontent de son petit effet) : Quel esprit mal placé vous avez ! Ne grimpez pas aux rideaux comme ça et laissez-moi finir ! Des vidéos de chattes et de chats qui font miaou. Rien de scabreux, ce serait même tout le contraire. Elle est tellement folle-dingue de chats qu’elle milite pour en avoir en liberté à l’Assemblée !
Un huissier entre pour annoncer que Mme Aurore Bergé député LREM, demande à voir le Président.
Macron : Quand on parle du loup ! (À l’huissier) Faites-la entrer.
Darmanin : Quand on parle de chats, vous voulez dire. Je me demande ce qu’elle veut.
Macron : Je vais lui annoncer sa nomination comme co-présidente du « Haut comité d’enquête pour la transparence de l’utilisation d’internet par les membres de LREM ». Avec un peu de chance elle oubliera qu’elle avait quelque chose à demander et elle retournera s’occuper de ses chats.
Castaner : « Co »-présidente ? J’adore ce comité, mais je ne voyais pas les choses comme ça. Manu, je te le dis tout net, et tant pis si Marlène s’offusque, mais dans cette enquête qui va demander beaucoup de doigté et beaucoup d’expérience, je trouve que « vice » suffirait largement aux compétences de la miss Bergé.
Schiappa (s’emportant) : Et on nous dit qu’il n’y a pas de plafond de verre ! Et on nous dit que les mâles blancs de plus de quarante ans ne veulent pas se réserver tous les bons postes ! Et on nous dit qu’il n’y a pas de sexisme ! M. Le Président, moi aussi je vous le dis tout net : soit vous tenez bon sur la parité, soit je dém… (Se ravisant) Enfin, heu, c’est quand même la grande cause du quinquennat et…
La députée entre dans le bureau d’une démarche assurée.
Bergé : M. le Président, j’espère que je ne vous dérange pas.
Macron : Pas du tout, pas du tout. Nous discutions des suites à donner à la malheureuse affaire qui frappe notre ami Griveaux. Vous avez des idées à ce sujet ?
Bergé : J’en ai au moins une. Désignez-moi pour succéder à Benjamin à la tête de la liste LREM. Le parti est en train de cogiter pour savoir qui choisir, mais de toute façon, c’est vous qui déciderez, alors autant vous parler en direct. Comme vous voyez, pas de langue de bois chez moi, je crois que c’est ce que les Français demandent : de l’authenticité, de la proximité et un parler cash. Benjamin était un excellent candidat, mais il n’avait rien de tout ça.
Stupeur générale, sauf Castaner.
Castaner (à voix basse à Darmanin) : Hé hé, c’est qu’il avait l’air de s’y connaître plus en promiscuité qu’en proximité et pour le cash, il était surtout prêt à le dépenser par paquets de 100 000 €.
Darmanin (à voix basse à Castaner) : Oh moi, les dépenses, je m’en fiche si les impôts continuent à rentrer. C’est pour ça qu’il ne faut pas me foutre en l’air mes réseaux sociaux.
Schiappa (maussade, à Bergé) : Mais tu n’es pas déjà candidate à Rambouillet ?
Castaner (enthousiaste, à Bergé) : Excellente suggestion ! Et bravo pour votre abnégation car ça ne va pas être facile ! C’est la secrétaire d’État à l’égalité entre les femmes et les hommes qui va être contente. N’est-ce pas, Marlène ? Une femme LREM pour Paris face à Hidalgo et Dati, ça c’est de la parité survitaminée !
Darmanin : Et une femme à chats face à une femme qui a laissé les rats pulluler dans Paris, ça pourrait le faire !
Macron : Eh bien, c’est décidé, je vous nomme pour prendre la succession de Benjamin Griveaux ! Remerciez Mme Schiappa, c’est elle qui m’a rappelé mon grand engagement du quinquennat sur la parité.
Schiappa : Mais Paris, c’est quand même autre chose que Rambouillet. Autant la parité est importante autant il ne faudrait pas vous priver d’une candidate qui a déjà l’expérience de cette campagne parisienne. Je vous rappelle que je me présente dans le 14ème arrondissement et je serais heureuse de…
Macron (la coupant) : Si ça se trouve, ça ne sera pas si difficile, car autant l’admettre, Griveaux était bien parti pour nous planter tous. Et de toute façon, au moment des résultats, ça nous fera une excuse. Une excuse au nom du respect de la vie privée, avouez que ce n’est pas trop mal ! Et vous avez dit dans tous les journaux que vous n’étiez pas candidate. Désolé, Marlène. La décision est prise. Bon, maintenant je file, j’ai un déjeuner avec Mark Rutte. Encore des ennuis en perspective : il veut baisser le budget de la politique agricole commune de l’Union européenne ! Qu’est-ce que je vais dire aux agriculteurs, moi ?
Avec, par ordre d’apparition :
Mon opinion « sérieuse » sur l’affaire Griveaux : L’activité sexuelle de Benjamin Griveaux relève strictement de sa vie privée. Son avocat a d’ailleurs annoncé hier qu’il portait plainte pour « atteinte à l’intimité de la vie privée », ce en quoi il a parfaitement raison.
Il n’en demeure pas moins qu’en se filmant et en communiquant les images à une autre personne via internet alors qu’il était membre du gouvernement, avec de grandes ambitions politiques et un storytelling très « ma femme et mes enfants », il a pris un risque politique peu compatible avec un personnage public dans sa position et avec ses prétentions.
Bêtise, légèreté, naïveté ? Je dirais surtout ivresse du pouvoir, c’est-à-dire ce sentiment trop largement partagé par la classe politique de vivre dans une sorte de bulle d’invincibilité. Il est temps de redescendre sur terre.
Source: https://leblogdenathaliemp.com/2020/02/16/cinq-ans-de-blog-et-600-articles/#more-60526





Vous devez être connecté pour poster un commentaire.