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Face au drame qui se joue dans la province syrienne d’Idlib, que peuvent les Européens ? L’ampleur de la catastrophe humanitaire – près d’un million de personnes jetées sur les routes par l’offensive du régime –, l’escalade militaire, avec la perte de 33 soldats turcs, tués par un bombardement syrien jeudi 27 février, et l’implication des forces russes se conjuguent dans un défi moral et politique majeur pour l’Europe.

Dans une tribune publiée par Le Monde, 14 ministres des affaires étrangères de l’Union européenne, dont la France et l’Allemagne, ont demandé cette semaine au gouvernement syrien et à ses alliés, russes et iraniens, de mettre fin à leur offensive et de revenir aux termes de l’accord de cessez-le-feu de 2018, conclu à Sotchi. Cette louable initiative induit deux constats. D’abord, même sur un texte aussi consensuel, les Vingt-Sept ne sont pas capables d’afficher un front uni. La Grande-Bretagne manque en outre à l’appel, alors que Paris insiste sur la convergence indispensable avec Londres en matière de sécurité après le Brexit.

Le deuxième constat, malheureusement maintes fois renouvelé, porte sur l’impuissance des Européens. Cette guerre syrienne, ses drames et ses phases successives ont cruellement mis à l’épreuve, depuis neuf ans, la détermination des démocraties occidentales, leurs valeurs et leur capacité à traduire leurs ambitions en actes militaires.

Les Européens n’ont été réellement actifs que dans la gestion des répliques sismiques : la crise humanitaire, les flux migratoires. Aujourd’hui, ils n’ont ni les moyens ni la volonté commune d’imposer une zone d’exclusion aérienne (no-fly zone) pour empêcher les bombardements aériens russes en Syrie. Les Etats-Unis se sont lavé les mains du problème syrien. Le Conseil de sécurité des Nations unies est paralysé par le veto systématiquement opposé par la Russie, souvent avec l’appui de la Chine, aux résolutions sur la Syrie.

Risques d’une vague migratoire massive

Les Européens assistent donc anxieusement en spectateurs à l’affrontement entre l’armée syrienne, soutenue par les Russes, et les forces turques. Les risques réels d’une nouvelle vague migratoire massive et du déplacement de djihadistes vers l’Europe pourraient bien, cependant, les contraindre à sortir de ce rôle. Après l’attaque meurtrière de ses militaires par les forces de Damas jeudi, la Turquie, par la voix d’un de ses responsables à Ankara, a agité la menace de ne plus retenir les réfugiés de Syrie, dont elle abrite déjà 3,5 millions depuis le début de la guerre en 2011. S’il laisse les réfugiés faire route vers l’Europe, le président Recep Tayyip Erdogan rompra l’arrangement conclu avec l’Union européenne en 2016, au lendemain de la grave crise de l’exode de 2015. Ce nouvel élément devait très probablement figurer au menu des discussions du Conseil de l’OTAN, réuni d’urgence vendredi à la demande d’Ankara.

Paris et Berlin ont tenté de relancer un format de rencontre à quatre, avec Moscou et Ankara, pour donner une chance à la diplomatie. Mais, faute de moyens de pression efficaces et d’intérêts partagés par les deux parties, la voie est étroite. Moscou, surtout, ne veut rien entendre. La Russie soutient l’offensive de Damas, qui veut reprendre le contrôle de l’intégralité de son territoire. Elle justifie cet appui par la présence, parmi les combattants dans la région d’Idlib, dans le nord-ouest du pays, de milliers de djihadistes, sans faire de distinction.

La France commence enfin à mettre des mots sur le comportement des forces russes. La tribune des ministres des affaires étrangères européens, parmi lesquels Jean-Yves Le Drian, accuse clairement l’aviation russe et ses frappes, qui « visent délibérément des hôpitaux et des centres de santé » dans la région d’Idlib, et dénonce ces « violations massives du droit international humanitaire ». La Russie s’est rendue coupable de crimes de guerre répétés, couvrant également de ses mensonges ceux de l’armée syrienne. Le dire est un premier pas, alors que M. Macron s’est engagé dans une tentative de dialogue plus général avec Moscou..

Le Monde