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Pauvreté, problèmes de santé et habitudes culturelles, les minorités visibles sont plus à risques face à la pandémie de COVID-19 aux États-Unis.

Aux États-Unis, les chiffres que commencent à publier les États sont sans appel : les Afro-Américains sont les premières victimes de la COVID-19.

Les affichettes collées au début de l’épidémie sont encore sur la porte et les murs : Pas plus de 10 personnes à l’intérieur en même temps. L’avertissement est aujourd’hui dérisoire parce que le salon de coiffure de Fred Spry est maintenant fermé : en cette période de pandémie de coronavirus, l’entretien capillaire n’est pas considéré comme un service essentiel.

Le grand gaillard de 40 ans se retrouve donc au chômage forcé, sans savoir quand il pourra reprendre du service ni même s’il le pourra.

Ce qui le préoccupe vraiment, c’est qu’au fur et à mesure que progresse l’épidémie, une chose semble certaine : le virus s’en prend de manière disproportionnée aux membres de sa communauté.

Au Maryland, où habite Fred, les Afro-Américains comptent pour 55 % des décès de la COVID-19, alors qu’ils ne représentent que 30 % de la population. En Louisiane, au Wisconsin et en Illinois, la situation est encore pire.

Dans la ville de Saint Louis, au Missouri, toutes les victimes sont noires.

Ce sont des chiffres alarmants, lance Fred. C’est très inquiétant.

Fred Spry dans son salon de barbier vide pendant la pandémie de coronavirus.

Le barbier Fred Spry partage des conseils pour se protéger du coronavirus sur les médias sociaux. Photo : Radio-Canada / Jean-François Bélanger

Le barbier se sent désarmé face à cette situation. Depuis une dizaine d’années, il sensibilise ses clients et les gens du voisinage aux problèmes de santé et fait de la prévention.

Briser des mythes

Beaucoup ici le surnomment affectueusement « docteur Fred ». Les consignes de distanciation sociale l’ont forcé à se replier sur les médias sociaux. Il y partage des vidéos sur l’importance de se laver les mains et de ne pas se toucher le visage.

Il reconnaît que les nombreux mythes circulant sur Internet – comme celui sur une supposée immunité des Afro-Américains face au virus – ont beaucoup nui.

Cela a pris beaucoup trop de temps pour que le bon message se mette à circuler dans la communauté, estime-t-il.

Et, selon lui, les habitudes culturelles expliquent aussi beaucoup de choses.

Les gens ne comprenaient pas la nécessité de la distanciation sociale. Dans nos communautés, les gens sont habitués à vivre ensemble, en groupe. Dans les bons moments comme quand ça va mal. Et puis, il est difficile de croire à quelque chose qu’on ne voit pas.

Fred Spry, barbier

Les autorités avancent une autre explication : certaines maladies chroniques, comme les maladies cardiopulmonaires et le diabète, très courants chez les Afro-Américains, les rendent plus vulnérables à la COVID-19.

Le directeur du Service de santé publique, Jerome Adams, plus haute autorité médicale du pays et lui-même noir, y allait même d’une confession étonnante en direct à la télévision.

Moi-même, je souffre de haute pression. J’ai des problèmes cardiaques qui m’ont valu de passer une semaine aux soins intensifs. Je suis aussi asthmatique et prédiabétique. Je suis un exemple du lourd tribut que représente le fait de grandir noir et pauvre aux États-Unis.

Dr Jerome Adams, directeur du Service de santé publique
Le Dr Jerome Adams lors d'une conférence de presse à la Maison-Blanche.

Le directeur du Service de santé publique des États-Unis, le Dr Jerome Adams Photo : Getty Images / Win McNamee

L’assurance maladie, une denrée rare

La pauvreté explique à elle seule beaucoup de choses, selon Stephen B. Thomas, professeur à l’École de santé publique de l’Université du Maryland.

Beaucoup de gens issus des minorités évitent d’aller à l’hôpital de peur de recevoir une facture qu’ils ne pourront pas payer, dit-il.

Il rappelle que 30 millions d’Américains n’ont pas d’assurance maladie. Un chiffre appelé à augmenter alors que plus de 16 millions d’Américains se sont retrouvés au chômage au cours des trois dernières semaines et que la couverture médicale est bien souvent fournie par l’employeur.

Stephen B. Thomas discute devant un jardin à l'extérieur.

Stephen B. Thomas, professeur à l’École de santé publique de l’Université du Maryland Photo : Radio-Canada / Sylvain Richard

Selon le Dr Thomas, tous les facteurs sociaux jouent contre les minorités visibles et constituent des facteurs de risques.

Nos recherches montrent que les Latino-Américains et Afro-Américains ont moins d’emplois, ont moins de congés de maladie, qu’ils sont nombreux à vivre ensemble dans des logements trop petits où cohabitent plusieurs générations et, donc, qu’ils sont moins en mesure de respecter les consignes de distanciation sociale.

Stephen B. Thomas, directeur du Centre pour l’équité en matière de santé à l’Université du Maryland

Tous ces facteurs de risque étant connus, il ne s’explique pas pourquoi les autorités n’ont toujours pas publié de données détaillées à l’échelle nationale sur l’origine ethnique des victimes du nouveau coronavirus.

Nous avançons déjà à l’aveuglette, car il n’y a pas assez de tests de dépistage, mais, en plus, en ne compilant pas les chiffres sur l’ethnicité, nous rendons les minorités invisibles, lance-t-il, furieux.

Et selon lui, l’absence de ces statistiques nuit à la prise en charge et à la prévention. Cela empêche surtout d’adapter les mesures pour mieux protéger les groupes les plus à risque.

Nous devons nous assurer que les personnes les plus vulnérables de la société soient protégées. Et les données dont on dispose indiquent clairement que les personnes les plus vulnérables ont la peau sombre.

Stephen B. Thomas

Au pays de l’Oncle Sam, la santé semble la plus grande des inégalités.

L’espérance de vie des Afro-Américains est déjà en moyenne inférieure de presque quatre ans à celle des Blancs. Le nouveau coronavirus ne va rien arranger.

Ici Radio Canada