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Arnaud Benedetti

 Pour la première fois Emmanuel Macron a fait preuve d’un peu d’humilité dans son allocution de ce lundi soir . La rhétorique de la guerre est-elle oubliée ?

Arnaud Benedetti : Les critiques quant à la communication de l’exécutif étaient validées par une opinion publique dont les récents sondages objectivaient la montée en puissance des défiances . Il fallait réparer la tonalité d’ensemble et en venir à la communication plus humble des chefs d’Etat et de gouvernement de nos voisins européens . La dramaturgie a infléchi les accents martiaux , voire parfois menaçants ou infantilisants pour laisser la place à une humilité reconnaissante pour les efforts collectifs des françaises et des français . C’est de facto une communication en apparence plus mature , moins arrogante qui acte dans les mots que nous sommes un peuple adulte et responsable . C’est aussi une communication qui admet , sous la contrainte certes , les manques de l’action publique depuis le début de la pandémie. Toutes proportions gardées , c’est le Macron bousculé au plus fort de la crise des gilets jaunes qui est tendanciellement réapparu  sur les écrans , comme s’il fallait que le précipice au plus près de l’exercice du pouvoir ramène le Président à une forme de modestie , de banalisation de sa personnalité .

Quelle analyse portez-vous sur la temporalité du calendrier politique et économique ( plan de sortie de crise dans 15j annoncé par le gouvernement, débat à l’AN sur l’application, reprise de l’école le 11 mai, reprise du travail …) annoncée par le président lors de son allocution ?

L’objectif était de redonner de la visibilité aux français , et de la respiration tout à la fois au système économique et aux institutions démocratiques . Le calendrier est serré , tendu , apparemment raisonnable pour les professionnels de la santé . Mais tout ceci reste marqué par de larges zones d’incertitudes . Ce qui se joue en arrière-plan c’est une bataille entre les forces de l’économie et l’exigence de la protection . Les premières alertent sur les conséquences économiques de la crise qui seront …aussi sociales . Le Président a fait monter le gradient de l’économie dans sa prise de décisions . C’est un risque , notamment avec le retour des enfants dans les écoles dont on peut déjà prévoir que le sujet donnera lieu forcément à une controverse . Quel intérêt sur le fond , si ce n’est de ramener leurs parents à leur poste de travail ? Voilà qui ne manquera pas d’être interprété par certains comme une concession au Medef … Reste également pour la bonne acceptabilité et la crédibilité de ce calendrier de donner de la chair aux promesses présidentielles : les moyens seront-ils au rendez-vous pour déconfiner sans risques ?  Sur ce point l’intervention présidentielle est restée plus incantatoire que précise et l’expérience nous a montré depuis des semaines que les autorités politiques , sanitaires , scientifiques ont tellement tâtonné que la confiance ne se décrétera pas au seul prononcé d’un discours …

Depuis plusieurs semaines, chercheurs et ingénieurs se penchent sur l’application Stop Covid. Cette application est-elle cohérente avec les principes de liberté collective de notre démocratie ?

C’est un sujet capital pour l’avenir . La traçabilité est la marque du techno-pouvoir qui surgit sous nos yeux . Il convient d’être extrêmement vigilant ; l’impératif de santé publique constituera t’il le cheval de Troie de nos servitudes à venir ? Je crois que sur ce sujet il convient d’inciter à la plus grande prudence et ne pas réagir sous l’effet de l’émotion collective suscitée par cette crise . La vision critique de la technique dans cette affaire est plus que jamais nécessaire pour défendre une certaine idée de nos libertés individuelles et publiques . La période que nous traversons , difficile , ne doit pas nous faire renoncer à l’essentiel . Il vaut mieux dépister massivement dans ce cas que …pister ! Nous le sommes déjà suffisamment .

En conclusion de son allocution, Emmanuel Macron a invité les Français a « sortir de l’idéologie » pour « se réinventer ». « Moi le premier » a-t-il ajouté. Comment ces propos doivent-ils être interprétés ?

Le storytelling de la métamorphose a ses limites . Car Emmanuel Macron nous a habitué à ces rédemptions sémantiques au moment des gilets jaunes , puis avec « l’acte 2  » et très vite sa pratique du pouvoir s’est à nouveau crispée sur ses certitudes , sur une jouissance à peine dissimulée de l’exercice de l’autorité , sur un habitus qui paraît très ossifié et bien peu plastique . Emmanuel Macron est le mandataire idéologique de certaines élites , pas toutes , et celles-ci sont déjà à l’œuvre pour que le monde d’après retrouve le sillon du monde d’avant . Les inerties résistent …

Atlantico