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Assemblée Nationale, déconfinement, Edouard Philippe, exécutif, Gestion de crise, pandémie
Édouard Philippe a dévoilé devant l’Assemblée nationale la stratégie de l’exécutif pour l’après 11 mai. Si la forme de sa déclaration était satisfaisante, le gouvernement a encore beaucoup de travail pour faire oublier les errements du début de sa gestion de crise, considère l’expert en communication Arnaud Benedetti.

Arnaud Benedetti est professeur associé à l’Université Paris-Sorbonne. Il est rédacteur en chef de la revue politique et parlementaire. Il a notamment publié Le coup de com’ permanent (Cerf, 2018).
C’est le Premier ministre d’un pays sous fièvre obsidionale qui s’exprimait ce mardi. Le chef du gouvernement, homme de tous les fardeaux, à commencer par celui d’une parole publique fragilisée par deux mois de gestion incertaine de crise, était confronté à trois enjeux principaux: la vérité, la précision, la simplicité. Sur ces trois critères, il a pratiqué la politique du «verre à moitié vide» ou «à moitié plein», gérant d’une entreprise en difficulté qui a pleinement conscience de jouer sa survie.
L’hôte de Matignon est venu devant la représentation nationale décliner son discours de la méthode du déconfinement.
Concentré sur lui-même, non sans une forme de talent didactique, Édouard Philippe a rappelé en liminaire la constante sociale: il ne peut y avoir de société qui se perpétue si elle ne continue pas à faire société, en d’autres termes si elle ne retrouve pas le lit naturel de son cours quotidien. Étant donné que le remède indispensable peut à terme devenir pire que le mal, l’hôte de Matignon est venu devant la représentation nationale décliner son discours de la méthode du déconfinement. Au-delà des principes affichés «Progressivité, prudence, territorialisation», il fallait lire «soucieux, fastidieux, sourcilleux et un tantinet ombrageux».
La forme n’est pas parvenue à dissimuler que le fond demeurait le produit des tâtonnements initiaux.
Le Premier ministre s’est pour la circonstance voulu général et maréchal des logis, fixant tout à la fois une esquisse de plan de bataille et fournissant quelques éléments pratiques (sur les tests, la «quatorzaine» à option hôtel ou familiale, le suivi départemental, la fin de l’arrestation pour les déplacements quotidiens, etc.). Structurée, construite, studieuse, la forme n’est pas pour autant parvenue à dissimuler que le fond demeurait le produit des tâtonnements initiaux de la gestion de crise. À mi-chemin du clair et de l’obscur, entre un «déconfinement» le 11 Mai sous réserve, un déconfinement «saucissonné», avec des «stop and go» selon les départements, des contraintes à géométrie variable, Édouard Philippe s’est fait l’apocryphe d’un passé qui colle à la peau de l’action publique depuis près de deux mois. Le général était en quelque sorte entravé par les insuffisances du maréchal des logis, schizophrénie bien embarrassante pour un libérateur, mais le but était de couvrir d’un palimpseste délicat des semaines d’hésitations et de pénuries pour montrer que cette fois-ci…on était prêt.
Le plus dur reste à faire : que la réalité colle aux mots.
Avec sérieux, le chef du gouvernement s’est attelé à la tâche, voyageur de commerce, presque sans bagages de l’horizon du 11 Mai né du verbe présidentiel. Le plus dur reste à faire: que la réalité colle aux mots. La stratégie adoptée toute de précaution, d’appel à l’aide aussi de l’échelon local, de ravaudage au jour le jour, d’une «sortie light» et conditionnée est celle sans doute d’un pragmatisme qui parie sur le succès dont on créditerait l’exécutif en matière de déconfinement pour mieux faire oublier la longue errance d’une conduite incertaine des événements.