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Retour à l’école sous tension à partir de lundi prochain. Le gouvernement assure que les risques de contagion sont minimes. Il s’appuie sur des études soulignant « une faible dynamique de transmission » chez les enfants. Le phénomène intrigue les chercheurs.

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Si un faisceau d’études montrent que les enfants sont très majoritairement épargnés par Covid-19, les chercheurs peinent encore à comprendre pourquoi. (Stephane ALLAMAN/SIPA)

Par Paul Molga
 

Charge virale insignifiante, développement infectieux limité, complications extrêmement rares… Pour la Société française de pédiatrie et la plupart des associations professionnelles spécialisées dans l’enfance, les données sont suffisamment rassurantes pour permettre le retour à l’école des élèves à partir du 11 mai, y compris pour ceux atteints de maladie chronique. Mieux : selon un communiqué commun livré la semaine dernière , « le port d’un masque dans les crèches, les écoles maternelles et primaires pour les enfants sans pathologie sous-jacente grave n’est ni nécessaire, ni souhaitable, ni raisonnable », même si les organisations reconnaissent en choeur « qu’il peut être envisagé pour les adolescents et les adultes en charge d’enfants ».

Sur un peu plus de 6.000 études conduites dans le monde sur les patients positifs au Covid-19, moins de 200 concernent les enfants. Mais elles font référence. La première, publiée le 20 février dans « The Lancet » à partir de données épidémiologiques de 507 patients, évaluait à 3 % le nombre d’enfants, d’adolescents et de jeunes adultes contaminés. Quatre jours plus tard, dans « Jama » , le Centre chinois pour le contrôle et la prévention des maladies livrait un taux de 2 %. Il constatait au passage qu’aucun jeune de moins de 9 ans n’était décédé parmi les 72.314 cas étudiés. Depuis, les données françaises ont confirmé le caractère bénin de l’infection chez les jeunes : depuis le début de l’épidémie, les enfants de moins de 15 ans ont représenté à peine 1 % des admissions en réanimation, selon Santé Publique France, et seule une adolescente de 16 ans est décédée.

Les plus jeunes sont-ils contagieux ? Là encore, quelques rares études convergent. La plus éloquente s’est penchée sur le cas d’un enfant de 9 ans qui avait contracté le Covid-19 aux Contamines-Montjoie en Haute-Savoie. Les infectiologues américains du Clinical Infectious Diseases qui ont mené l’enquête ont mis en évidence chez lui « une dynamique de transmission différente » de ce qu’on a coutume de voir dans les infections grippales provoquées par des coronavirus.

Ce garçon, qui a continué à fréquenter son école malgré quelques légers symptômes, a été en contact avec 172 personnes dont 112 élèves et professeurs, mais il n’a finalement contaminé personne, pas même ses frères. Depuis la confirmation de cette disposition par d’autres études de plus grande ampleur, menées notamment en Islande et en Australie, les chercheurs ont acquis la conviction que, comme le SARS Cov-1 de 2002, le Covid-19 épargne donc les enfants. Mais ils ignorent pourquoi.

Choc inflammatoire

En démêlant ce mystère, les scientifiques espèrent bien comprendre comment vaincre la maladie chez l’adulte. « C’est tout l’objet du nouveau de l’Inserm qui accélère et fédère les travaux cliniques pédiatriques sur ce sujet », explique son coordinateur Régis Hankard, professeur des universités en pédiatrie à l’université de Tours. Une des énigmes qui intéressent particulièrement cette taskforce est l’absence d’emballement immunitaire chez l’enfant. Comment échappent-ils à ce choc inflammatoire qui conduit les patients plus âgés en réanimation ?

Deux hypothèses sont sur la table. La première incrimine le fonctionnement de la réponse immunitaire adaptative, celle capable d’apprendre aux lymphocytes T à s’activer face à un nouvel intrus. Chez l’enfant, beaucoup de ces cellules sont naïves, mais avec l’âge, elles mémorisent les mauvaises rencontres, jusqu’à ce que leur « disque dur » sature. Ce faisant, la capacité de l’organisme à reconnaître de nouvelles menaces diminue. Inversement donc, la relative virginité du système immunitaire des enfants permettrait à leur corps de mobiliser toutes les ressources disponibles pour trouver les lymphocytes T appropriés, avant que le virus ne cause ses dégâts.

L’interféron impliqué

Mais cela n’explique pas tout. Se pourrait-il que certains récepteurs cellulaires soient également victimes de ce « dépérissement immunitaire » ? C’est cette deuxième hypothèse que suivent deux chercheurs du Massachusetts Institut of Technology (MIT), Carly Ziegler et Samuel Allon, qui ont publié leurs travaux dans la revue « Cell » le 17 mars dernier . Selon eux, le Covid-19 aurait la capacité de ralentir la production d’ACE2 en bloquant l’activité de certaines molécules, les interférons (des cytokines), indispensables au fonctionnement de notre système immunitaire.

La fonction de ces récepteurs ACE2 est de contrôler les quantités d’hormones régulant la tension des vaisseaux sanguins. Or, si leur nombre est insuffisant, l’organisme est incapable d’empêcher la cascade de réactions potentiellement délétères causée par la surréaction du système immunitaire : d’énormes flux de cytokines chargée normalement de réguler la réaction inflammatoire se déversent dans le sang, les vaisseaux se relâchent, leur perméabilité augmente, la pression artérielle baisse, les tissus ne sont plus oxygénés et, dans les poumons, les alvéoles se remplissent de liquide, aggravant d’autant la mauvaise oxygénation du corps. C’est la détresse respiratoire.

Or si, avec l’âge, le nombre de récepteurs ACE2 qui peuvent contrôler cet emballement diminue, fragilisant d’autant plus les aînés face au Covid-19, leur concentration chez les enfants est très élevée, en particulier dans l’épithélium pulmonaire, ce qui pourrait les protéger contre les formes sévères du coronavirus. « Cette surproduction de récepteurs ACE2 compense les attaques virales », suggèrent ainsi d’autres travaux conduits en Italie par le professeur Fabio Midulla et son équipe du département de sciences maternelles de l’université Sapienza. « Nous pouvons spéculer que des concentrations importantes de récepteurs ACE2, une immunité acquise et un nombre élevé de lymphocytes peuvent expliquer en partie le caractère bénin de la maladie chez les enfants, détaille le chercheur. Les vraies raisons resteront probablement un mystère, car le nombre d’enfants infectés est trop faible pour permettre des études immunologiques de bonne taille. » Heureusement…

Les Echos