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Par Scarlett HADDAD,
« Le problème pour l’administration américaine, c’est que chaque fois qu’elle croit avoir trouvé un bon moyen pour affaiblir le Hezbollah, elle obtient l’effet contraire. » Selon la personnalité proche du Hezbollah qui tient ces propos, l’administration américaine avait ainsi sciemment décidé de ne pas coopérer avec le ministère de la Santé en pleine crise du coronavirus parce que le ministre Hamad Hassan a été choisi par le Hezbollah. Résultat, ce même ministre est aujourd’hui très populaire, et de l’avis même des détracteurs du gouvernement, il a bien géré la crise du virus, faisant ainsi remonter la cote de confiance d’une partie des Libanais dans le gouvernement actuel. Le même phénomène s’était produit lorsque l’administration américaine avait décidé d’imposer des sanctions strictes sur le secteur bancaire libanais pour resserrer l’étau financier autour du Hezbollah, et ce dernier a affirmé qu’il n’était pas concerné par le système bancaire libanais. Résultat, ce sont les banques et en gros le camp proaméricain au Liban qui ont le plus pâti de ces sanctions. C’est pourquoi aujourd’hui, toujours selon la personnalité proche du Hezbollah, les Américains se trouvent devant un véritable dilemme : comment éviter l’effondrement total du système bancaire et financier libanais, ce qui serait nuisible à leurs intérêts dans ce pays, et en même temps maintenir la pression sur le Hezbollah ? Comment aider le gouvernement de Hassane Diab, dans lequel Washington compte des ministres ayant la nationalité américaine, et en même temps affirmer ouvertement que ce cabinet est celui du Hezbollah ? C’est la prouesse qu’a réussi à accomplir jeudi soir le secrétaire d’État adjoint pour les Affaires du Proche-Orient, David Schenker, au cours de l’entretien qu’il a accordé à la chaîne LBCI. Tout en réitérant ses attaques contre le Hezbollah, le responsable américain a aussi laissé la porte de la coopération ouverte avec le gouvernement de Hassane Diab. Ce qui, en termes diplomatiques, semble annoncer une sorte de période de trêve entre l’administration de Donald Trump, d’un côté, et l’Iran et ses alliés, dont le Hezbollah, de l’autre. Plusieurs faits alimentent cette thèse. D’abord, la relaxe de l’ancien geôlier de Khiam Amer Fakhoury et son départ en catimini vers les États-Unis. Certes, le Hezbollah n’était pas d’accord et n’a pas donné son aval à ce scénario, mais en même temps, il n’a pas vraiment cherché à savoir ce qui se tramait dans les coulisses du tribunal militaire. De même, il y a deux jours, la Sûreté générale a décidé de rouvrir les frontières terrestres avec la Syrie pour laisser en principe entrer des Libanais retenus en territoire syrien en raison de la crise du coronavirus. Mais avec les Libanais qui ont traversé la frontière, il y avait de nombreux Américains qui souhaitaient quitter la Syrie. Ils ont pu ainsi rentrer dans leur pays à travers l’escale libanaise. Enfin, les déclarations de l’ambassadrice des États-Unis au Liban, Dorothy Shea, condamnant les actes de vandalisme et les attaques contre l’armée libanaise dans le cadre de la dernière vague de manifestations, en particulier à Tripoli et dans le Nord, vont dans le sens de l’appui au gouvernement que, par ailleurs, les États-Unis considèrent comme étant celui du Hezbollah.
Selon des sources diplomatiques, tous ces éléments confirment l’existence d’une sorte de trêve tacite entre les États-Unis et l’Iran. Cette trêve serait en train de se concrétiser sur le plan régional par deux événements importants. D’abord, la formation d’un gouvernement irakien près de sept mois après la démission du gouvernement présidé par Adel Abdel Mahdi. Les observateurs comparent d’ailleurs le gouvernement qui vient d’être formé et qui est présidé par l’ancien chef des SR irakiens Moustafa al-Kazimi au gouvernement de Hassane Diab au Liban. Ensuite, à peine ce gouvernement a-t-il été formé (même si le processus n’est pas encore achevé) et obtenu la confiance du Parlement irakien que les deux ministres des Affaires étrangères iranien et américain ont accueilli favorablement la nouvelle. Il y a bien sûr ceux qui disent que les intérêts des Américains et des Iraniens en Irak poussent ces deux pays à y appuyer le gouvernement. Mais si l’on suit cette logique, on ne comprend pas pourquoi la formation d’un nouveau gouvernement a pris tant de mois, dans une période aussi délicate pour l’Irak et pour l’ensemble de la région. De plus, en signe de bonne volonté, les États-Unis ont décidé de prolonger de 120 jours l’autorisation accordée aux Irakiens d’acheter du gaz et de l’électricité iraniens. L’autre événement, c’est l’information qui a été rapportée par le Wall Street Journal, selon laquelle les États-Unis seraient en train de retirer d’Arabie saoudite quatre batteries de missiles Patriot, dans le cadre de la fin de la mobilisation en préparation d’une attaque contre l’Iran parce que, toujours selon le journal américain, « l’Iran ne représente plus une menace pour la région ». Pourtant, il y a quelques semaines encore, des provocations réciproques ont été enregistrées entre les deux flottes américaine et iranienne postées dans la région. Que s’est-il donc passé pour que, soudain, la République islamique ne soit plus considérée comme une menace? Selon les mêmes sources diplomatiques, tous ces éléments indiquent l’existence d’une volonté d’apaisement chez les deux parties, chacune pour ses propres raisons. Mais le résultat serait le même : après une grande tension, les risques de confrontation entre les États-Unis et l’Iran seraient en train de diminuer, sans toutefois aller jusqu’à la conclusion d’entente ou d’accord. Les premiers bénéficiaires de ce nouveau climat d’apaisement seraient donc l’Irak et bien sûr le Liban.