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Agnès Buzyn, élite, Classe politique, commission d’enquête parlementaire, culture du contrôle, Eliane HOULETTE, Sanctions

Comment expliquer que les pressions exercées contre la procureur Houlette durant l’affaire Fillon n’aient soulevé aucune réaction parmi les élites de notre pays ?
William Genieys : L’Affaire Fillon illustre une fois encore les dysfonctionnements au sein de l’organisation institutionnelle du pouvoir politique et du pouvoir judiciaire. Ce phénomène ne se réduit pas à la dernière Présidence. On pourrait trouver d’autres exemples sous les précédentes mandatures. En France, le parquet, les procureurs dépendent du ministère de la Justice. Dans les pays anglo-saxons, les mêmes représentants du pouvoir judiciaire sont élus. Dans le contexte de l’État fort à la française, les pressions peuvent venir de l’intérieur de l’État alors que dans le contexte d’un État faible, elles sont exercées plus directement par la société civile. Cette organisation institutionnelle, inscrite dans notre longue histoire culturelle, au sens tocquevillien, donnant la primauté à la puissance publique, porte elle ce possible dévoiement.
Ce rapport singulier à l’État explique certainement une faiblesse structurelle de la culture de la transparence en France. Confondre ce fait sociologique, en constante évolution, avec l’idée que l’élite politique manipule éhontément et collectivement la justice, est un écueil à éviter.
En revanche, si l’on fait l’hypothèse que notre système est en transition vers plus de transparence, ce qui semble être le cas avec le développement de nouveaux médias d’investigations et les réseaux sociaux (WikiLeaks, etc…) , on peut comprendre que certains individus habiles s’en servent à des fins politiques.
Hervé Lehman : La révélation faite par Eliane Houlette est très importante : Il lui a été donné instruction, oralement et par écrit, d’ouvrir une information contre François Fillon pour permettre en urgence sa mise en examen, ce qu’elle a fait après trois jours de réflexion. C’est donc bien la hiérarchie judiciaire mise en place par François Hollande qui a décidé d’abattre judiciairement le principal candidat de l’opposition à l’élection présidentielle, avec le succès que l’on connait.
Dans n’importe quelle démocratie, cela ferait un scandale énorme. Comment expliquer que cela ne crée chez nous qu’une vaguelette ? Il y a plusieurs explications. La première, et la plus triste, est que les français sont convaincus que la justice n’est pas indépendante et qu’il n’y a donc là rien de nouveau. Au niveau judiciaire, il faut prendre en compte le corporatisme : critiquer dans l’absolu l’absence d’indépendance du parquet, d’accord, mais attaquer tel ou tel magistrat, pas question. Et puis la bien-pensance n’est pas malheureuse de ce qui est arrivé à François Fillon : un homme politique qui proclame sa foi chrétienne, qui affiche son hostilité à l’IVG et au mariage homosexuel, qui voulait diminuer le nombre de fonctionnaires, et qui a un château, c’est tout ce qu’elle déteste. L’élimination de cet épouvantail valait bien une entorse aux grands principes.
D’où vient ce déficit de culture du contrôle ?
William Genieys : Le phénomène de déficit de culture du contrôle n’est pas exclusif à la France. Il est généralisé dans les cultures politiques qui n’ont pas développé une relation à la transparence politique sur le long terme. La particularité des pays scandinaves, comme la Suède, est que la transparence dans l’univers public est inscrite dans leur constitution depuis plusieurs siècles.
D’autres pays tels que le Canada, pour prendre un exemple en Amérique du nord, suite à une série de scandales impliquant des membres de la classe politique, ont entrepris un travail considérable en la matière, tandis que des pays comme la France ont entretenu le « secret d’État » comme un carburant afin d’éviter de rendre des comptes sur les transgressions d’acteurs internes.
Il est probable que le mode de formation des élites françaises, fondée sur le moule des grandes Écoles a favorisé par le passé le développement d’un « esprit de corps » ne facilitant pas le développement de la transparence sur les affaires sensibles engageant l’État.
Toutefois, gardons nous de faire le procès simpliste des élites de l’État, qui dans leur ensemble défendent et promeuvent encore et toujours l’intérêt général, alors que depuis les années quatre-vingt le prestige de leur fonction s’est effiloché, et qu’elles ont été accusées facilement d’être la source du déclin français.
Hervé Lehman : La révélation faite par Eliane Houlette est très importante. Il lui a été donné instruction, oralement et par écrit, d’ouvrir une information contre François Fillon pour permettre en urgence sa mise en examen, ce qu’elle a fait après trois jours de réflexion. C’est donc bien la hiérarchie judiciaire mise en place par François Hollande qui a décidé d’abattre judiciairement le principal candidat de l’opposition à l’élection présidentielle, avec le succès que l’on connait.
Dans n’importe quelle démocratie, cela ferait un scandale énorme. Comment expliquer que cela ne crée chez nous qu’une vaguelette ? Il y a plusieurs explications. La première, et la plus triste, est que les Français sont convaincus que la justice n’est pas indépendante et qu’il n’y a donc là rien de nouveau. Au niveau judiciaire, il faut prendre en compte le corporatisme : critiquer dans l’absolu l’absence d’indépendance du parquet, d’accord, mais attaquer tel ou tel magistrat, pas question. Et puis la bien-pensance n’est pas malheureuse de ce qui est arrivé à François Fillon : un homme politique qui proclame sa foi chrétienne, qui affiche son hostilité à l’IVG et au mariage homosexuel, qui voulait diminuer le nombre de fonctionnaires, et qui a un château, c’est tout ce qu’elle déteste. L’élimination de cet épouvantail valait bien une entorse aux grands principes.
Quels en sont les symptômes ? Ou plutôt les conséquences ?
Hervé Lehman : Le débat sur la justice est souvent mal posé. On dit : « La justice n’est pas indépendante, la justice devrait être indépendante ». En réalité les juges sont indépendants, le parquet ne l’est pas. Et il est normal que le parquet soit hiérarchisé car il est nécessaire d’assurer une politique pénale commune sur l’ensemble du territoire. Que dirait-on si le procureur de Quimper décidait de ne pas poursuivre le trafic de stupéfiants ou celui de Strasbourgs les violences conjugales ? C’est donc le ministre de la Justice, nommé par le président de la République élu au suffrage universel, qui fixe la politique pénale appliquée par tous les parquets de France.
Là où il a un problème, c’est lorsque le parquet se trouve amené à traiter des affaires politiques, parce qu’alors le pouvoir utilise le lien hiérarchique pour orienter ces dossiers selon son intérêt. On l’a vu dans les affaires Sarkozy, Mélenchon, Le Pen, par opposition aux affaires Bayrou et Ferrand qui n’ont pas intéressé le parquet national financier. Ce dernier, qui traite en particulier les affaires politiquement sensibles, se trouve subordonné, par le lien hiérarchique, au pouvoir politique comme vient de le confirmer Eliane Houlette. C’est au mieux un conflit d’intérêt, au pire un risque pour la démocratie.
La seule solution est la création d’un procureur général de la Nation, désigné par le conseil supérieur de la magistrature et agréé par les deux tiers du Parlement pour garantir sa neutralité politique, nommé pour cinq ans et indépendant, seul en charge des affaires impliquant des élus ou des ministres. En d’autres termes, un parquet hiérarchisé pour mener la politique pénale uniforme, un parquet spécial et indépendant pour les affaires politiques.
William Genieys : Les symptômes de l’avancement sur la route de la transparence sont repérables. La multiplication des commissions et des enquêtes parlementaires, la condamnation pénale de certains élus sont autant d’indices de cette évolution. Bien entendu, on peut toujours objecter que cela n’aboutit pas… Ce n’est pas si évident que cela. Pour le temps judiciaire, on le sait c’est long. Et heureusement que nous ne fonctionnons sur la temporalité des réseaux sociaux de la justice instantanée. Ensuite, la culture du contrôle engage également les médias traditionnels. Et sur ce volet, celui de l’investigation au service du contrôle de la transparence, si l’on compare la situation de la France à celles des États-Unis, c’est le grand écart. Je ne pense pas ici au mythe du Watergate, mais aux nombreux ouvrages publiés par les journalistes d’investigations des grands journaux new yorkais ou washingtoniens. La qualité et le niveau de leurs articles est parfois équivalent à celui de recherches universitaires.
Peut-on dire la même chose en France ? J’en doute. Les affaires et les scandales sont traités sur l’instant et dans un contexte spécifique dans le but de créer de la disruption politique. N’a-t-on pas eu deux « affaires » sorties lors des deux dernières élections présidentielles (2012 et 2017) ? En revanche, la réflexion sur les origines lointaines et les causes profondes comme les solutions aux problèmes ne font généralement pas partie du questionnement. Pourtant, c’est le prix à payer pour que le processus de socialisation à la culture du contrôle démocratique devienne effective. L’acquisition de la culture de la transparence, c’est la mobilisation de tous les acteurs, y compris des élites politiques qui la défendent sur le temps long, mais ne l’applique que rarement à elles mêmes.