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Au lendemain du second tour des élections municipales, Benjamin Morel répond aux questions d’Arnaud Benedetti.

Quels sont les principaux enseignements que l’on peut tirer de ce second tour des municipales tout d’abord ?

Benjamin Morel – Ils sont nombreux, mais leur portée reste à confirmer. L’abstention massive et la focale sur les plus grandes villes conduisent à nuancer l’ensemble des projections qu’il serait tentant de faire. On a clairement une poussée verte. Cette dernière se concentre sur les grandes villes dont la sociologie a beaucoup évolué ces dernières années. Elle ne doit pas faire oublier que l’immense majorité des communes moyennes ont plutôt porté à leur tête des élus socialistes ou LR. En ça, le vieux personnel politique issu des partis traditionnels fait preuve d’une remarquable résilience. Il est néanmoins indiscutable que la problématique écologique s’est imposée dans une partie de la population et qu’elle est une ressource de mobilisation. C’est une question importante notamment pour la gauche qui, là où elle a réussi à s’unir et à conjuguer social et écologie, a montré qu’elle pouvait prendre l’ascendant.

Le second enseignement, c’est évidemment la défaite en rase campagne de LREM. Elle n’est pas à mettre en parallèle avec l’échec de LFI ou le succès en demi-teinte du RN. Les électeurs de ces deux partis se déplacent peu aux élections intermédiaires, mais se mobilisent à la présidentielle. Les électeurs LREM se sont majoritairement déplacés, mais ils ont voté EELV, LR, ou socialiste. On assiste aujourd’hui à une recomposition politique du centre dont l’électorat s’avère extrêmement liquide. Toutefois pour une grande partie de la population, l’étiquette LREM est devenue repoussoir. Non seulement les candidats l’ayant endossé ont fait des scores très faibles, mais les alliances de second tour entre LREM et la droite ont été des échecs à Lyon, Strasbourg ou Bordeaux. Là où un candidat de centre droit bien implanté l’aurait peut-être emporté, l’alliance avec LREM s’est avérée un handicap majeur.

Le niveau historiquement record de l’abstention va-t-il peser sur l’exercice du mandat des nouveaux élus et des sortants reconduits ? Est-ce le signal d’une nouvelle crise de défiance, cette fois entre les administrés et l’échelon municipal ?

Benjamin Morel – Il ne faut pas tirer de grands enseignements de ce taux d’abstention. On a tout de même un contexte qui est très particulier. Une partie des électeurs ont eu peur d’aller voter à cause de la Covid. La campagne a été inexistante, avant même le premier tour (vous souvenez-vous de la réforme des retraites et du 49 alinéa 3 ?). Les dynamiques de campagne ont été rompues par le confinement. Beaucoup d’électeurs ne savaient pas qu’il y avait un second tour dans leur commune… ni même sans doute qu’il y avait un second tour.

Il existe un malaise démocratique et un sentiment d’affaiblissement des communes notamment en milieu rural dans le cadre des EPCI qui conduit à une baisse structurelle de la participation. Cela aurait sans doute pu être analysé dans le cadre d’élections normales. Ces élections étaient toutefois tout sauf normales.

Édouard Philippe réélu, Emmanuel Macron peut-il se séparer d’un Premier ministre disposant d’une solide cote de confiance dans l’opinion ?

Benjamin Morel – Selon la Constitution, non. Le Premier ministre doit démissionner et il ne peut être démissionné. C’était une coquetterie juridique. Dans les faits oui évidemment. Ce serait une erreur gigantesque. Ce ne serait toutefois pas la première, surtout concernant la distribution gouvernementale.

Non seulement Édouard Philippe est haut dans les sondages, mais surtout il apparaît comme rassurant et tenant l’État à la veille d’une crise profonde. Il est un point de stabilité alors qu’Emmanuel Macron ne s’épanouit que dans une disruption, utile en période électorale, mais terriblement anxiogène en temps de crise. Par ailleurs, Édouard Philippe tient le centre droit. Cet électorat crucial pour la présidentielle ne pardonnerait sans doute pas à Emmanuel Macron de s’en débarrasser. Par ailleurs, nommer Jean-Yves le Drian, qui ne parle ni au centre droit, ni aux écologistes, ni même plus visiblement aux habitants de Lorient, n’aurait aucun sens… pas plus que Bruno Le Maire. Florence Parly pourrait au moins porter les couleurs d’une forme de renouvellement, mais déjà ministre, il serait bien terne.

Édouard Philippe souffrira sans doute à l’automne, quand la crise sociale se déchaînera. Un changement de Premier ministre aurait alors du sens. Mais Emmanuel Macron souffre toujours du même syndrome. Il se veut le maître des horloges. Il organise donc méticuleusement son acte III, jusqu’à ce que deux mois plus tard les circonstances l’emportent comme l’acte I et l’acte II. On ne peut vouloir tout calculer quand la crise vous dicte l’agenda.

Quid des sénatoriales à venir et comment les résultats d’hier soir risquent d’impacter sur la future composition de la chambre haute ?

Benjamin Morel –  Le Sénat est renouvelé pour moitié en septembre. Les victoires d’EELV peuvent permettre à ce parti de former un groupe. Les succès de la droite dans les villes moyennes et dans les petites villes lui garantissent de conserver la majorité. Il ne faut pas s’attendre à de grands chambardements au Palais du Luxembourg. La gauche a, plusieurs fois, été quasi hégémonique dans les grandes villes sans obtenir de majorité à la chambre haute. Les verts n’obtiendront pas de position dominante au Sénat ni même au sein de la gauche sénatoriale pour avoir emporté une poignée de grandes métropoles. Le groupe LREM reste le gros point d’interrogation, il pourrait bien disparaître ; c’est d’autant plus le cas que beaucoup de ses sénateurs sont renouvelables. Ce sera intéressant alors de voir où s’inscrivent les sénateurs restants ; au RDSE, dans les formations de centre droit ; s’évaporeront-ils entre les deux ?

Benjamin Morel, Maître de conférences en droit public à l’Université Paris II
Propos recueillis par Arnaud Benedetti

Photo : Alexandros Michailidis, Shutterstock

Source: https://www.revuepolitique.fr/benjamin-morel-pour-une-grande-partie-de-la-population-letiquette-lrem-est-devenue-repoussoir/