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Aipac, corruption, Donald Trump, les démocrates, Politique étrangère
La question est nettement posée et pourtant personne n’en a vraiment cuire : « L’AIPAC est-il fini ? ». L’AIPAC, c’est le bras-armé d’une formidable puissance de l’influence israélienne sur la direction US, particulièrement le Congrès considéré il y a peu encore comme la créature même de la politique israélienne. Grant Smith estime que sa capacité de puissance d’influence a déjà été fortement réduite et, d’une manière générale, touche à sa fin ; Grant Smith est un incontestable connaisseur de l’AIPAC, un des meilleurs à Washington, et dans le sens d’une critique radicale : désormais collaborateur régulier d’Antiwar.com, il est directeur du Institute for Research: Middle Eastern Policy de Washington et auteur du livre de 2016 Big Israel: How Israel’s Lobby moves America. Nous devons donc prendre très au sérieux cet avertissement largement documenté, et jusqu’à ce verdict décisif : « Le masque va enfin tomber. »
En fait de “masque”, c’était à peine un faux-nez derrière lequel tout le monde reconnaissait le lobby israélien et Israël. Ce qui caractérisait, et caractérise encore l’AIPAC, c’est une action à peine déguisée et très brutale, on dirait “comme en terrain conquis”. Tout le monde y croyait, d’ailleurs, à la conquête de ce terrain, comme une rente à vie… Ce que nous explique Grant Smith doit nous faire réfléchir, et d’autant plus réfléchir que tout cela se passe assez discrètement, sans tambour ni trompettes, comme s’il n’y avait plus grand’monde pour venir au secours de l’AIPAC, et comme si l’AIPAC avait compris qu’il vaut mieux se montrer discret parce que trop s’agiter ne ferait qu’accélérer la chute.
En d’autres mots, oui, il est très possible que l’hypothèse très documentée de Smith soit la bonne et qu’on puisse envisager d’ôter le point d’interrogation du titre de son texte.
A notre sens, on peut déterminer plusieurs points qui ont pesé en faveur de cette évolution qui est certainement, si on la considère dans sa valeur absolue, d’une extrême importance et met à mal la thèse plutôt “complotiste” de l’influence ad vitam aeternam d’Israël sur les USA. Pour l’essentiel, il s’agit de considérations de l’ordre de la politique intérieure qui sont la cause
• Le soutien inconditionnel et tonitruant de Trump à Netanyahou et à toutes les initiatives d’Israël. On penserait en première analyse que c’est une aubaine pour Israël ; tous comptes faits ce n’est pas sûr. L’opposition à Trump dans la direction générale US, dans la bureaucratie, chez les parlementaires et les “experts” est telle qu’on en arrive à envisager des positions politiques uniquement en fonction de Trump, contre lui, et que finalement le soutien qu’il apporte à Israël finit par rendre déplacée cette politique. D’autre part, ce soutien même maximaliste reste incertain simplement parce que personnage lui-même est incertain, tandis que le caractère tonitruant et bombastique qu’il met dans tout acte a tendance à faire ressortir le caractère disons un peu outrancier de ce soutien en général par rapport à la souveraineté US et l’indépendance de sa politique extérieure.
• Il y a des changements importants dans la géographie et la démographie électorales US, surtout pour les démocrates qui ont très souvent été les soutiens les plus inconditionnels d’Israël parce qu’ils sont en général les plus corrompus, et que l’électoral juif de tendance progressiste joue un rôle important dans le parti. Mais cet électorat juif, parce qu’il est progressiste, soutient avec de moins en moins d’enthousiasme la politique ultra-belliciste de Netanyahou. D’autre part et surtout, les démocrates s’appuient de plus en plus sur la “diversité” si appréciée aujourd’hui, sur les “minorités” de couleur, sur les groupes de la diversité sociétales, toutes ces tendances qui sont loin d’être acquises à la cause d’Israël, et même au contraire. C’est par exemple le cas des Africains-Américains, voire des Latinos, et il n’est pas assuré que la communauté-gay, par exemple, soit favorable à Israël, avec un passé à cet égard. On voit apparaître des parlementaires jeunes, très influents, qui ne soutiennent guère, ou même s’opposent à Israël (exemple de The Squad, à la Chambre des Représentants).
• Enfin, la perception d’Israël est, de plus en plus, celle d’un acteur de cet épouvantable bourbier, sanglant et incompréhensible pour l’analyste US moyen, qu’est devenu le Moyen-Orient (essentiellement grâce à l’action des USA, et comment, mais passons sur ce détail si dérisoire…). Bien entendu, on est toujours prêts à taper sur l’Iran, puisque rien que le fait de “taper” semble si souvent si sexy et irrésistible pour la psyché US. Mais l’enthousiasme n’y est plus, les neocons se font vieux et les plans de “bouleversement de la carte du Moyen-Orient”, “complot” standard depuis les années 1990, commencent à devenir illisibles avec le temps, et à sentir le rance.
• D’un point de vue institutionnel, on rappellera quelques signes récents du changement général, formel et procédurier vis-à-vis d’Israël. Les manœuvres pour faire voter une loi exigeant du président une autorisation du Congrès pour frapper l’Iran, – bloquées par un veto du président, mais qui avaient reçu le soutien d’une majorité simple, – ont bien montré que l’automatisme de l’engagement US au côté d’Israël, sinon à la place d’Israël, n’est plus une donnée sûre. Le Congrès, qui est tout entier tourné vers les déchirements intérieurs, est devenu à sa façon ‘America First’, ce qui renforce l’analyse présentée par Smith
On comprend qu’une telle évolution, avec l’effacement de l’AIPAC absolument impensable il y a encore 10 ou 5 ans, constituerait l’amorce un changement sensationnel par rapport à la situation de la politique extérieure des USA depuis deux tiers de siècle. Indirectement et même au seul niveau de la spéculation, cela constituerait et constitue une indication du sérieux et de la profondeur de la crise ontologique que traversent les USA, car un changement de cette sorte vis-à-vis d’Israël, même si cela devrait modifier une “politique étrangère”, ne constituera pas vraiment une révolution visible dans la mesure où la “politique étrangère” des USA, – si elle existait encore depuis l’après-Guerre Froide sinon sous la forme de cette “politiqueSystème” dont le but n’est que la destruction et l’entropisation, – est aujourd’hui complètement paralysée et à l’arrêt du fait de la politique intérieure. Là-dessus, il va de soi qu’on ne sait absolument pas, et que c’est même improbable, si la prochaine élection présidentielle débloquera cette situation. Ce pourrait être rien de moins que contraire.
L’effacement de l’AIPAC, s’il est confirmé comme cela semble très possible sinon probable, constituerait un pan de la déconstruction de la posture de l’influence et de l’action extérieure des USA. Mais ce n’est pas l’essentiel. Ce serait également, et de façon plus significative, un signe de plus de l’extrême gravité, de l’extrême profondeur, de la quasi-irréversibilité, de la crise intérieure qui frappe le pouvoir du système de l’américanisme.
Le paradoxe de cet événement serait qu’il marque la fin d’une dépendance scandaleuse de la politique étrangère des USA au moment où cette politique étrangère est devenue impuissante et paralysée, et otage d’une situation intérieure explosive, révolutionnaire, catastrophique. D’otage d’Israël, la politique US est devenue otage de la GCES.
“Ainsi meurent les empires”, même dans leurs pires aspects de dépendance et de paradoxale soumission : plutôt sans bruit, discrètement, comme un acteur qui a compris que son temps est passé et que son rôle n’a plus aucune actualité, ni plus la moindre utilité. Car pendant ce temps, on défile dans les rues, on déboulonne les statues et on n’écoute pas Biden bégayer des phrases qu’il n’arrive pas à finir… L’American Dream en mode-bouffe.
Le texte de Grant Smith vient donc d’Antiwar.com, du 25 juin 2020.