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Jean-Luc Mélenchon
Je suis bien espanté du traitement louangeur et aveuglé dont a fait l’objet la visite de Macron au Liban. Bien sûr comme beaucoup de gens, j’ai approuvé l’envoi immédiat d’aide humanitaire. Et je pouvais même admettre que l’idée soit bonne de s’y rendre aussitôt, quoique je sois informé de l’impact désorganisateur de telles incursions officielles dans les premiers moments d’une catastrophe. Car à ce moment-là, les agents publics ont mieux à faire que d’assurer la sécurité et la mobilité d’un convoi officiel d’aussi haut niveau.
Mais un français un tant soit peu informé des réalités libanaises et régionales, un tant soit peu informé des usages minimums des relations internationales ne peut accepter d’être entrainé dans l’impasse irréfléchie ou mèneraient les propos du président français si ses paroles étaient prises au sérieux. A supposer que lui-même se soit exprimé d’une façon maitrisée et non sous le coup d’une excitation visiblement très avancée.
Un président français, venant sans y être invité dans un pays ami dont il n’a jamais contesté la légitimité du pouvoir met en cause publiquement la corruption des gouvernants, prétend « organiser l’aide internationale », ordonne d’appliquer les exigences du FMI et menace si on ne l’écoute pas de « prendre ses responsabilités » ! Ou et quand cela s’est-il déjà passé quelque part dans le monde au cours des trente dernières ?
Imaginez madame Merkel débarquant en France après l’explosion d’AZF à Toulouse et demandant qu’on applique les demandes de la Commission européenne ! Et cela alors même que des centaines de gens à Beyrouth étaient encore sous les décombres, alors que les morts n’étaient pas en terre ! Est-ce cela être un ami des libanais ? Quel genre de « responsabilités » compte prendre Macron au Liban ? L’épisode lybien n’a donc pas suffit à guérir de ce genre de comportement ? Macron se croit-il seul au monde ? A quelle époque vit-il ? Oublie-t-il qu’il existe des puissances régionales qui ont toutes les doigts bien engagés sur les lieux ? Croit-il que les iraniens, les turcs, les saoudiens, les israéliens se mettront au garde à vous sur un mot du président français ? Macron a-t-il oublié qu’il a déjà laisser humilier la France quand les turcs ont bombardé la position française en Syrie ? A-t-il oublié comment les mêmes turcs ont humilié les navires français au large de la Lybie sans replique? Engager sa puissance sans avoir les moyens qu’elle s’impose, c’est détruire ce qui en est et abaisser l’influence qu’on peut tirer. C’est ce que fait Macron en notre nom. C’est une erreur et une aventure.
S’il persiste -ce qui m’étonnerait compte tenu du tweet de rétropédalage en fin de journée d’excitation – ce serait une aventure calamiteuse. Quand aux divers stratèges en chambre qui misent sur la partition du Liban après avoir misé sur celle de la Syrie et poursuivent le plan absurde d’un redécoupage général du Moyen Orient ils devaient tenir compte du désordre déjà créé sans aucun progrès pour la paix qu’ils prétendent vouloir organiser.
Quand j’écrivais mes posts sur la révolution citoyenne au Liban en octobre dernier, que faisaient ces beaux esprits qui ont pourtant le pouvoir d’agir ? A présent, ils découvrent la profondeur du rejet du régime qu’ils ont soutenus contre vents et marées. La haine des libanais contre le régime politique est en effet abyssale. La moitié de la population vit dans la pauvreté, l’eau potable ne coule plus que quelques heures par jour, de même l’électricité, des dizaines de milliers de gens sont désormais sans abris.
La pétition en faveur du retour au mandat de protectorat français en témoigne. Elle vient des milieux instruits et informés. En réalité elle ne s’adresse pas aux français. Elle doit être prise pour ce qu’elle est : une façon de dire aux « élites » en place le mépris et la honte des signataires. Elle ne donne aucun droit à la France de revenir jouer un rôle impérial ostentatoire. La France n’a rien à gagner au post colonialisme. Et les marchands qui se frottent les mains au son du canon feraient bien d’y penser avant de tout perdre par avidité. Le post colonialisme n’est pas dans l’intérêt bien compris de notre pays. La France n’a rien à faire dans le fouillis des tribalismes manipulés comme il en pullulent dans le monde. Dans les situations compliquées, les chemins de crêtes restent les plus rapides pour qui sait où il va, parce qu’ils sont les moins fréquentés.