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La Suisse est le seul pays membre du Conseil de l’Europe qui n’a pas élaboré de loi concernant le financement des partis politiques. Les autorités persistent à refuser toute évolution vers davantage de transparence. Ce sera vraisemblablement au peuple de trancher.
Marie Vuilleumier
Au niveau international, la Suisse se démarque par sa démocratie semi-directe et son système de milice, mais également par son opacité dans le financement des campagnes politiques et des partis. Elle est la seule nation membre du Conseil de l’Europe à n’avoir pas encore élaboré de loi sur cette question et est régulièrement critiquée par le Groupe d’États contre la corruption (GRECO). Seuls quelques cantons ont adopté une législation en la matière.
Et le vent ne semble pas sur le point de tourner: le gouvernement et le Parlement rechignent à faire le moindre pas en avant. La Chambre basse vient de rejeter un contre-projet indirect à l’initiative populaire «Pour plus de transparence dans le financement de la vie politique», après l’avoir vidé de sa substance. La Chambre haute doit maintenant reprendre le dossier, mais le dernier mot reviendra vraisemblablement au peuple.
«C’est une opportunité ratée et c’est très dommage, réagit Martin Hilti, le directeur de l’ONG Transparency International Suisse. Cela démontre une fois de plus ce que l’on a constaté ces dernières années: le Conseil fédéral et le Parlement ont de gros problèmes avec la transparence.»
Dans l’attente d’une nouvelle position du GRECO
Pourtant, l’élaboration de ce contre-projet ainsi que le dépôt de l’initiative ont été salués par le GRECO, qui encourage les autorités suisses à poursuivre leurs efforts pour mener l’un ou l’autre de ces projets à bien. Dans son dernier rapport de septembre 2019, le groupement mentionne cette avancée pour clore sa procédure de non-conformité contre la Suisse. Les autorités helvétiques doivent élaborer un rapport d’ici la fin de l’année pour informer le GRECO de l’évolution du dossier. Celui-ci donnera ensuite une nouvelle position.
Lors du débat à la Chambre basse du Parlement, la gauche a tenté en vain d’améliorer le contre-projet, mais toutes ses propositions ont été rejetées. Elle a alors décidé de refuser l’ensemble du texte lors du vote final. Une partie de la droite ne voulait pas de ce projet et l’autre souhaitait l’édulcorer afin d’aboutir à une loi peu contraignante. «Le Parlement démontre tristement qu’il est incapable de s’autoréguler, affirme la sénatrice verte Lisa Mazzone, vice-présidente du comité d’initiative. C’est donc la preuve que ce sujet doit passer devant la population et que l’initiative est le bon moyen d’avoir enfin une loi sur le financement de la vie politique.»
Ne pas faire fuir les donateurs
Une partie de la droite estime que ce contre-projet serait beaucoup trop lourd d’un point de vue administratif. «Nous allons créer un monstre bureaucratique, incontrôlable, qui en fin de compte va coûter extrêmement cher, et qui n’apportera aucune plus-value en termes de transparence. pour tous les acteurs de la démocratie directe», a développé Michaël Buffat, député du parti conservateur UDC.
Un autre argument avancé par les élus de droite est le respect de la sphère privée des donateurs. «Quelqu’un a le droit de faire un don sans que tout le monde sache qu’il a de l’argent et quelle est son orientation politique», défend Michaël Buffat. Avec la crainte que les donateurs hésitent à ouvrir leur porte-monnaie si leur participation est dévoilée au grand jour.
Une affirmation que ne comprend pas Martin Hilti: «On n’a pas les moindres indices que les dons auraient diminué dans les cantons qui connaissent des règles sur la transparence et on observe cela également à l’étranger. Prenez le Royaume-Uni qui est comparable au système suisse, car le financement de la vie politique provient essentiellement de l’économie privée (4/5): après l’introduction de la nouvelle législation en 2000, le pourcentage du financement privé n’a pas changé.»
La particularité du système de milice
Une autre justification des partis de droite est le fait que la Suisse se caractérise par son système de milice, avec des politiciens non professionnels et pas de financement étatique. Ils ne voient donc aucune nécessité à légiférer dans ce domaine. «On a cette image de la politique de grand-papa où tout le monde se connaît et tout le monde est sympa, relève Lisa Mazzone. Alors qu’on sait que, comme partout ailleurs, les décisions prises à l’échelle d’un État ont une très grande importance et que les campagnes ont tendance à drainer énormément d’argent.»
Les propositions se sont multipliées ces dernières années au Parlement pour tenter d’instaurer des règles de transparence. Toutes ont été balayées. «J’ai beaucoup de mal à vraiment comprendre cette attitude et ces décisions, car la transparence fait partie d’une démocratie moderne», indique Martin Hilti.
Pour Lisa Mazzone, le Parlement n’est pas prêt à révéler tous les intérêts financiers qui se cachent derrière les campagnes: «On se borne à dire que notre démocratie est la plus belle du monde et on élude un de ses aspects essentiels, à savoir qui la finance. Pour moi c’est éminemment problématique, car cela rompt la confiance envers l’électrice et l’électeur et enlève une information qui participerait à la formation de l’opinion. Et à la, fin c’est destructeur pour la politique elle-même.»