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Une politique étrangère agressive du gouvernement contredit la volonté des Allemands
par Karl-Jürgen Müller
Le «ceterum censeo»est important. Il est important de contrecarrer une accoutumance rampante à une attitude préconisant la confrontation et la guerre comme des outils de politique étrangère acceptables. Début août, quelques semaines avant la campagne officielle allemande centrée sur Alexeï Navalny, l’agence de presse allemande (dpa) a publié les résultats d’un récent sondage sur le retrait des troupes américaines d’Allemagne.1 Le résultat central: «Tandis que la majorité des hommes politiques allemands rejettent le retrait prévu des troupes américaines, la majorité de la population y est favorable.» 47 % des personnes interrogées soutiennent le retrait partiel prévu alors que seulement 32 % s’y opposent. 25 % pensent même que toutes les troupes américaines devraient se retirer d’Allemagne. L’opinion publique se manifeste de manière plus claire encore lorsqu’il s’agit des armes nucléaires américaines en Allemagne. 66 % des personnes interrogées sont favorables à ce que les bombes nucléaires américaines stockées en Allemagne soient retirées du pays.
Egalement nombreux sont ceux dont la confiance dans l’«allié» Etats-Unis s’est effondrée. Seuls 35 % considèrent encore les Etats-Unis comme le principal allié de l’Allemagne en dehors de l’Europe, tandis que 49 % affirment que ce n’est plus le cas. Pour 23 % des personnes interrogées, une bonne relation avec la Russie est désormais plus importante qu’avec les États-Unis.
Enfin, 58 % des personnes interrogées estiment que l’Allemagne dépense suffisamment d’argent pour son armement alors que 25 % seulement voient les choses différemment. L’objectif de l’OTAN, soit 2 % de dépenses militaires (mesurées par rapport au PIB), objectif partagé du gouvernement allemand, est donc clairement rejeté lui aussi.
Les politiciens s’inquiètent de la volonté de paix de l’Allemagne
Le coordinateur transatlantique du gouvernement fédéral allemand, Peter Beyer (CDU), a qualifié ces chiffres «alarmants». Ces opinions au sein de la population allemande ne doivent pas, comme il dit, «nous amener à tourner notre attention vers la Russie ou la Chine ou vers une neutralité pleine de risques».
Les activités politiques des semaines passées s’y conforment. Le fait que le gouvernement allemand ait «pris la tête» de la campagne Navalny ne s’inscrivait que peu dans la politique allemande précédente, mais correspondait bien au concept de torpillage des projets germano-russes tels que Nord Stream 2, mais davantage encore à celui de créer un climat à l’opposé de l’opinion publique récalcitrant. Si les relations germano-russes en souffrent encore plus qu’elles ne le font déjà, cela ne fait que soutenir les buts de ces milieux.
Un groupe de réflexion sur la politique étrangère constate que la Bundeswehr est «structurellement incapable d’attaquer»
Il est très regrettable qu’un quotidien bien connu en Suisse – un pays qui se prévaut de sa neutralité – s’offre à plusieurs reprises en tant que plate-forme à des voix, allemandes et autres, qui préconisent la confrontation. Tout de même, les lecteurs apprennent ainsi la nature des intentions des «élites» allemandes. Le 2 septembre 2020, Tom Enders, président du Conseil allemand des relations extérieures (DGAP), auparavant PDG de l’armurier Airbus, y a eu son mot à dire.2 Son verdict est le suivant: face à un tel gouvernement comme celui de la Russie, il faudra beaucoup plus de dureté allemande. Derrière tout cela se cache un stéréotype d’ennemi irréfléchi, lié à des falsifications d’évènements historiques: «A quel moment dans l’histoire d’un pays, a-t-il été possible de dissuader un dictateur déterminé de poursuivre son expansion par un dialogue paisible, un compromis et des pots-de-vin? Nous, les Allemands en particulier, aurions dû tirer la leçon à cet égard.»
Pour le président de la DGAP, la politique étrangère allemande manque de «clarté morale, de détermination et du sens de la défense armée». L’affirmation selon laquelle «la résolution des conflits politiques ne pourra jamais être résolue par la force» relève pour lui d’une «idéologie» «fausse» et «ignorante de l’histoire». Selon lui, l’armée est «structurellement incapable de combattre». Cependant il le déplore en occultant les déclarations du procès de Nuremberg classant la guerre d’agression comme le crime de guerre le plus grave et incompatible, jusqu’à aujourd’hui, avec le droit international. Par contre, il revendique le fait que «la Bundeswehr doit, conformément au poids de l’Allemagne dans l’Union européenne, redevenir une force armée efficace et respectée sur le plan international».
Qu’est-ce que la DGAP?
La DGAP n’est pas n’importe qui. Wikipédia nous renseigne ainsi: «La société allemande pour la politique étrangère (DGAP) est un réseau et un groupe de réflexion sur la politique étrangère. Fondée en 1955 en coopération avec le Council on Foreign Relations et Chatham House, la société gère des instituts de recherche pour les questions de politique internationale ainsi que de politique étrangère et de sécurité. Aujourd’hui, la DGAP compte plus de 2500 membres, dont des personnalités de premier plan du monde de la banque et de la finance, des affaires, de la politique, des médias et des universités. L’association s’efforce d’influencer activement la formation de l’opinion en matière de politique étrangère à tous les niveaux. Ses travaux s’adressent aux décideurs allemands dans les domaines politiques, d’affaires, d’administration ainsi que dans les organisations non gouvernementales, dans l’armée et auprès du grand public».
«Ignorance historique» – chez qui?
La visite du secrétaire d’Etat américain Mike Pompeo en Pologne, à la mi-août 2020, a montré la qualité des «conclusions historiques» que l’on nous présente. La date avait été choisie avec soin. Pompeo n’a pas seulement signé un accord sur le transfert des troupes américaines d’Allemagne vers la Pologne. Il a également été l’invité d’honneur des célébrations du centenaire de la victoire sur l’Armée rouge au large de Varsovie, le soi-disant «miracle de la Vistule».3 Lors de ces célébrations, les Polonais furent vantés comme courageux défenseurs de leur pays contre une Russie agressive, presque comme des «sauveurs de l’Occident» face aux «hordes bolcheviques». Ce qui n’est pas mentionné cependant, c’est qu’avant la bataille de Varsovie – après la fin de la Première Guerre mondiale et pratiquement immédiatement après la refondation de l’Etat polonais – les troupes polonaises, imprégnées de rêves de grandeur, avaient mené une guerre d’agression contre une Russie affaiblie par la Grande guerre, la révolution et la guerre civile, en ayant réussi leur avance jusqu’à Kiev. Ce n’est que là que l’Armée rouge a réussi à arrêter les Polonais et à les repousser – non sans rêver toujours de la révolution mondiale, il est vrai.
Après la fin de la Seconde Guerre mondiale, la communauté internationale a tenté de prévenir par tous les moyens de tels affrontements et guerres à l’avenir. La majorité des Allemands persistent dans cette tradition de penser jusqu’à aujourd’hui, Dieu merci.
Cependant, ce n’est pas gagné d’avance. Le rouleau compresseur de la propagande est en marche, et le fait qu’il n’ait pas encore gagné les esprits de beaucoup d’Allemands est dû notamment aux nombreuses voix analysant et remettant en question en permanence les stéréotypes d’ennemi, insistant sur la nécessité de recourir aux moyens de résolution pacifique des conflits.•
1 Les résultats peuvent être consultés, par exemple, sur le site https://bnn.de/nachrichten/deutschland-und-welt/politik-gegen-us-truppenabzug-bevoelkerung-eher-dafuer, du 04/08/20
2 Enders, Tom: «Die EU braucht eine mutige deutsche Aussenpolitik»; ds. Neue Zürcher Zeitung du 02/09/20
3 Voir par exemple sur le site de l’hebdomadaire «Die Zeit»: https://www.zeit.de/politik/ausland/2020-08/mike-pompeo-usa-polen-militaerische-zusammenarbeit; du 15.8.2020