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Pourfendeur des élites et des lobbys qui irriguent la politique américaine, Donald Trump a fait scander le slogan « Assécher le marécage » – « Drain the swamp » – dans ses meetings et promis des réformes. Mais elles ont tourné court, et le président a personnifié le mélange des genres entre mission publique et affaires privées.

Donald Trump a l'art de mélanger les genres, notamment en tenant un discours, il y a quelques jours depuis la Maison-Blanche, qui a tout du meeting de campagne devant ses partisans.

Donald Trump a l’art de mélanger les genres, notamment en tenant un discours, il y a quelques jours depuis la Maison-Blanche, qui a tout du meeting de campagne devant ses partisans. (Tom Brenner/Reuters)

Par Véronique Le Billon

Les écrans géants « Trump-Pence » ont été installés sur la pelouse, et Ivanka Trump s’est avancée à la tribune au son d’Elton John. Les 1.500 invités applaudissent et réclament « four more years », un feu d’artifice éclairera bientôt cette nuit de fin août d’un « Trump » en lettres scintillantes pour clôturer la convention du Parti républicain. Tout est normal à deux mois de la présidentielle, sauf une chose : le discours d’investiture de Donald Trump a lieu sur les pelouses de la Maison-Blanche, et le feu d’artifice illumine le Washington Monument, l’obélisque érigé en l’honneur du premier président américain. Les démocrates s’étranglent. « Ce n’est pas une convention, c’est un couronnement », persifle l’un d’eux. « Washington n’a pas changé Donald Trump. Donald Trump a changé Washington », salue la fille et conseillère du président-candidat.

En accédant à la Maison-Blanche début 2017, le milliardaire new-yorkais avait promis d’« assécher le marécage »« drain the swamp ». Washington, au climat chaud et humide, a été bâti sur les bords du Potomac, et les grandes pelouses du Mall imaginées par Pierre Charles L’Enfant pour créer la capitale fédérale ont popularisé l’image. Pourfendeur de la « bureaucratie » et des lobbys qui irriguent la politique américaine, Donald Trump a fait scander le slogan dans ses meetings et inscrit dans son programme deux mesures emblématiques : limiter le mandat des parlementaires qui siègent sur la colline du Congrès – « The Hill ». Et réguler le lobbying qui corrompt la vie politique de la première puissance mondiale.

Une formule popularisée par Reagan

Donald Trump n’a pas inventé l’expression « Drain the swamp » : elle était déjà utilisée il y a plus d’un siècle par Victor Berger, le fondateur du Parti socialiste aux Etats-Unis. « Nous devrions assécher le marécage – changer le système capitaliste – si nous voulons nous débarrasser de ces moustiques », écrit-il en 1912. La formule a surtout été relayée par Ronald Reagan, l’un des présidents auxquels Donald Trump se réfère le plus – le républicain élu en 1980 avait déjà pour slogan « Let’s make America great again ».

« Donald Trump avait compris la colère des gens contre le pouvoir de l’argent. Mais il en a beaucoup parlé et il n’a rien fait, c’est une escroquerie », juge Fred Wertheimer, président de l’organisation Democracy 21.

Arrivé à Washington, le nouveau président n’a même pas essayé de faire passer sa proposition de limiter à trois le nombre de mandats (de deux ans chacun) pour les députés, ni à deux celui (de six ans) des sénateurs : les précédents essais n’avaient pas passé les seuils de majorité des amendements à la Constitution. Et « ce ne sera pas à l’agenda du Sénat », a très vite prévenu le leader républicain Mitch McConnell , lui-même élu au Sénat depuis 1984.

Les vétérans de la vie politique sont toujours légion au Congrès. Joe Biden, qui affronte aujourd’hui Donald Trump pour la présidentielle, a été sénateur de 1973 à 2009 – soit trente-six ans -, et n’a quitté « The Hill » que pour devenir vice-président de Barack Obama. A 87 ans, le doyen des républicains du Sénat, Chuck Grassley, siège depuis quarante ans, et la cheffe de file démocrate, Nancy Pelosi, 80 ans, y est depuis trente-trois ans…

En arrivant au 1600 Pennsylvania Avenue, Donald Trump a, en revanche, signé un décret limitant les possibilités de lobbying. Il interdit notamment à toute personne rejoignant une entité gouvernementale de faire du lobbying auprès de celle-ci pendant cinq ans après son départ, et les hauts fonctionnaires ne pourront, à vie, conseiller un gouvernement étranger (sauf exemption).

Des mesures toujours en vigueur, mais « l’ordonnance interdit uniquement aux fonctionnaires de la Maison-Blanche de faire du lobbying auprès de leur ancienne agence, et non de devenir des lobbyistes », tempère PolitiFact, qui a passé au crible les promesses de 2016. « Donald Trump a surtout placé des lobbyistes dans des positions de pouvoir, explique Robert Maguire, directeur de la recherche de Citizens for Responsability and Ethics in Washington (CREW). Le secrétaire à l’Intérieur [qui gère les terres fédérales et les ressources naturelles, NDLR] David Bernhardt est un ancien lobbyiste de l’industrie fossile, comme l’administrateur de l’agence pour l’environnement » Andrew Wheeler, pointe-t-il notamment.

Le nombre de lobbyistes actifs au Congrès, à un point bas depuis dix ans en 2016, a par ailleurs recommencé à grimper ces trois dernières années, à plus de 12.000 personnes enregistrées, selon le Center for Responsive Politics. Et les montants engagés par ces lobbys ont suivi la même pente, à 3,2 milliards de dollars l’an dernier.

« Il ne se plie à aucune règle »

Tout au long de son mandat, Donald Trump a aussi mélangé sans complexes mission publique et intérêts privés. « Il ne se plie à aucune règle, et utilise son mandat pour faire de l’argent avec ses entreprises, dont il n’a pas cédé la propriété », rappelle Fred Wertheimer. Selon le « New York Times », qui a révélé qu’il n’avait acquitté que 750 dollars d’impôt sur le revenu l’année de son élection et la suivante, l’association du prédicateur évangélique Billy Graham a par exemple dépensé 400.000 dollars pour un événement organisé en 2017 au Trump International Hotel de Washington. Et c’est Franklin Graham, aux commandes de l’organisation, qui a ouvert par un prêche la dernière soirée de la convention républicaine . Situé dans l’ancienne poste du prestigieux Triangle fédéral, l’hôtel a d’ailleurs affiché complet toute la semaine pour héberger et accueillir les donateurs républicains.

« Des groupes d’intérêts particuliers ont organisé ou parrainé 130 événements dans les propriétés de Trump depuis son entrée en fonction », a listé l’organisation CREW. « Des entités gouvernementales étrangères ont organisé 13 événements, et au moins 145 fonctionnaires étrangers ont visité l’une des propriétés de Trump », poursuit l’association, qui dénombre au total 3.400 conflits d’intérêts pendant le mandat. Seul un début de scandale aura dissuadé Donald Trump d’organiser le G7 à Mar-a-Lago.

Accéder à un poste prestigieux

« Donner » reste aux Etats-Unis l’un des moyens prisés pour accéder à un poste prestigieux. Pendant les auditions de la procédure d’impeachment de Donald Trump, les Américains ont ainsi découvert Gordon Sondland . Ambassadeur auprès de l’Union européenne, il a fait fortune dans l’hôtellerie et avait donné 1 million de dollars pour l’investiture de Donald Trump.

La pratique existe de longue date dans le pays, mais elle franchit un cap supplémentaire quand des réunions sont organisées dans un golf de Donald Trump aux frais du contribuable, comme le raconte «The Scotsman» en Ecosse avec l’ambassadeur américain au Royaume-Uni Woody Johnson, héritier du groupe Johnson & Johnson et donateur du Parti républicain. Accusé cet été de saboter le vote par correspondance pour l’élection, le nouveau directeur général de la Poste, Louis DeJoy, a aussi été l’un des financiers du Parti républicain.

Baromètre de la popularité

L’argent coule à flots dans la politique américaine et la polarisation a été un puissant moteur pour lever davantage de fonds. L’élection de 2020 va ainsi battre tous les records : près de 11 milliards de dollars devraient être au final dépensés pour élire le président et les parlementaires de la Chambre des représentants et du Sénat en novembre, selon le Center for Responsive Politics, qui traque les financements politiques.

Pour beaucoup de politiciens américains, lever de l’argent privé reste le meilleur baromètre de leur popularité, et la campagne 2020 aura été marquée par un bond des petits dons de particuliers. Mais l’inflation est impressionnante : les dépenses n’étaient « que » de 6,5 milliards de dollars, il y a quatre ans. Et ce n’est pas là le monopole des républicains : plus nombreux à se présenter aux primaires pour la présidentielle, ce sont les démocrates qui ont drainé le plus d’argent – même en excluant les milliardaires Mike Bloomberg et Tom Steyer qui ont puisé dans leur fortune personnelle.

L’inflation des dépenses date d’ailleurs de la campagne 2008, quand Barack Obama avait choisi de s’affranchir des financements publics pour échapper au plafond imposé et ainsi battre John McCain. Puis, en 2010, la Cour suprême, dans une décision polémique (Citizens United v. Federal Election Commission), a ouvert les vannes à l’inflation du financement.

Projet de loi « H.R. 1 »

Début 2019, le député démocrate John Sarbanes (le fils du sénateur ayant donné son nom à la loi Sarbanes-Oxley sur les comptes des entreprises) a fait voter à la Chambre des représentants à majorité démocrate (mais pas au Sénat à majorité républicaine) un projet de loi, intitulé « H.R. 1 », pour moraliser la vie politique. Il favorise notamment un financement public pour la campagne des élus et rend obligatoire pour un président de déclarer ses revenus des dix dernières années.

Du résultat de la présidentielle le 3 novembre, mais aussi des élections à la Chambre des représentants et au Sénat (un tiers des sièges sont à renouveler), pourrait émerger une nouvelle ligne. « Joe Biden dit que c’est une priorité, la Speaker [Nancy Pelosi, NDLR] aussi. Et de toute façon, ils en ont besoin s’ils veulent de nouvelles politiques : il faut nettoyer le système pour pouvoir mettre en place les politiques qu’ils disent vouloir mener », analyse Fred Wertheimer.

La route sera toutefois longue. Chez les républicains comme les démocrates, il faut toujours lever des fonds pour son parti pour devenir membre des plus prestigieuses commissions du Congrès. « Donald Trump a rechigné à accepter la surveillance de l’exécutif par le pouvoir législatif, et les républicains du Congrès n’ont pas souhaité l’imposer non plus », observe Robert Maguire. « Et dans le discours de Donald Trump, ‘assécher le marécage’ est maintenant davantage associé aux gens qui ne lui sont pas loyaux, à l’idée qu’il existerait un ‘Etat profond’ qui lui serait hostile », analyse-t-il.

Alors que la Constitution américaine prévoit un maximum de deux mandats pour le président des Etats-Unis, Donald Trump a d’ailleurs laissé plané pendant la campagne l’idée d’une révision constitutionnelle pour pouvoir faire un troisième mandat. S’il est réélu le 3 novembre.

Les Echos