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Jérôme Fenoglio, Directeur du « Monde »

Alors que l’épidémie de Covid-19 redouble de virulence, notre pays doit aussi affronter, avec les attentats de Conflans-Sainte-Honorine et Nice, le totalitarisme intégriste qui cherche à lui imposer une guerre civile.

Le président de la République Emmanuel Macron devant la basilique Notre-Dame-de-l’Assomption, à Nice, le 29 octobre.
Le président de la République Emmanuel Macron devant la basilique Notre-Dame-de-l’Assomption, à Nice, le 29 octobre. ERIC GAILLARD / REUTERS

La France doit faire face, en ces sombres journées, à une conjonction de périls que très peu de pays auront eu à affronter en temps de paix. L’épidémie de Covid-19, dont la virulence redouble, se conjugue à une nouvelle flambée d’actes de terrorisme islamiste, à l’atrocité délibérée. Cette double menace apparaît d’autant plus désespérante qu’elle nous enferme à chaque fois dans le temps circulaire de la répétition.

Même allégé par rapport à celui de mars-avril, le confinement qui vient d’entrer en vigueur se présente comme un aveu d’impuissance encore plus cinglant qu’au printemps. Celui de ne disposer, en dernier recours, que de ce moyen archaïque et passif pour éviter le pire, aussi nocif pour notre économie, notre vie sociale et culturelle, qu’il est nécessaire pour, petit à petit, tenter de freiner l’effroyable montée du nombre de malades et de morts que le pays, comme ses voisins, va déplorer dans les jours qui viennent.

Stratégie limpide

Après celui de Samuel Paty, il y a deux semaines, l’assassinat par un terroriste islamiste de trois fidèles à la basilique Notre-Dame de Nice fait résonner les sinistres échos des attentats de 2015 et 2016. Après le massacre des dessinateurs de Charlie Hebdo, le refus fanatisé des caricatures de Mahomet est encore déclencheur de barbarie. Après la tuerie de la promenade des Anglais, en juillet 2016, Nice est à nouveau touchée au cœur. Après l’assassinat du père Jacques Hamel, ce même mois de 2016 à Saint-Etienne-du-Rouvray, la terreur djihadiste frappe encore à l’intérieur d’une église.

Les actes sont toujours infâmes, la stratégie qui les guide, théorisée depuis des années, reste aussi limpide. En pénétrant dans ce lieu de culte, l’assassin au couteau ne visait pas seulement des fidèles, un sanctuaire et une communauté, les catholiques de France. Par sa profanation, il cherchait la colère et les représailles, il espérait, comme ses prédécesseurs, la vengeance aveugle susceptible de placer le pays tout entier sous l’empire de la haine. Faute de l’avoir obtenue jusqu’à présent – il y a quatre ans comme il y a quinze jours, les Français ont résisté à toute tentation de riposte violente –, les brutes au service de l’islamisme, cette secte dévoyée de la religion musulmane, semblent redoubler de coups.

Notre pays a toutes les capacités d’annihiler cette entreprise qui cherche à lui imposer le totalitarisme intégriste par la guerre civile. A condition de ne pas renoncer à lui opposer l’inverse exact : la démocratie et la paix. Dans les systèmes démocratiques, la première des missions que nous déléguons à l’Etat étant de nous protéger, le débat porte logiquement sur les moyens de la lutte antiterroriste comme sur ceux de la sécurité sanitaire. L’évaluation constante et critique des politiques suivies, notamment par l’opposition, est un impératif de notre jeu politique. L’exécutif et les institutions doivent pouvoir reconnaître que, dans cette lutte sans merci contre le djihadisme, comme dans ce combat sans répit contre le coronavirus, des erreurs peuvent être commises, des dispositifs doivent être améliorés.

Nous ne sommes pas en guerre

Or, malheureusement, en s’additionnant, nos deux crises majeures accentuent le dérèglement déjà patent du fonctionnement de nos institutions. Les états d’urgence sanitaires ont succédé aux sécuritaires, les élections sont reportées, les dispositifs d’exception se multiplient et le président de la République apparaît de plus en plus seul face à des prises de décision de plus en plus lourdes. Comme un symbole, en ce jeudi 29 octobre de funeste mémoire, l’indispensable débat à l’Assemblée nationale, si tardif, si restreint, sur le reconfinement, s’est trouvé encore amoindri par le choc de l’attaque de Nice.

Dans et hors de l’enceinte politique, les débats sont de plus entravés par la surenchère verbale. Non, si tragiques que soient les temps que nous traversons, nous ne sommes pas en guerre, comme Emmanuel Macron avait malencontreusement choisi de le marteler, lors de sa première allocution sur l’épidémie de Covid-19. Non, si durs que soient les coups et les pertes que nous endurons, les lois de temps de paix ne doivent pas s’effacer devant des dispositifs d’exception. Nous revivons encore moins un conflit du passé, les termes « collabos » ou « munichois » paraissent aussi déplacés que le fait de qualifier de « fascistes » des membres du gouvernement.

Face à des chocs aussi violents qu’une offensive terroriste et une pandémie hors de contrôle, il est normal que des options s’opposent, que des visions divergent. Mais la colère et la peur emportent la rhétorique belliqueuse bien au-delà de ces bornes, elles alimentent le camp contre camp qui mine l’indispensable solidarité nationale en opposant les générations, les « naïfs » aux « clairvoyants », les « courageux » aux « lâches ». Refuser ces excès, rendre de la vigueur à notre vie démocratique sont des conditions essentielles pour vaincre les maux qui nous frappent, sans nous renier.

Le Monde