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Par Scarlett HADDAD

Le Liban serait-il le champion des occasions ratées ? Le momentum favorable à la naissance d’un gouvernement semble passé. Tous les indicateurs montrent que les tractations sont entrées dans les tiraillements traditionnels, les conditions et contre-conditions qui marquent depuis quelques années le processus de formation des gouvernements. Certes, un nouveau cabinet verra forcément le jour et peut-être pas dans longtemps, mais l’élan qui avait marqué la désignation de Saad Hariri à la présidence du Conseil s’est ralenti.

Pour certaines parties locales, le principal responsable des embûches qui ont soudain surgi et entravé la formation du gouvernement serait le Premier ministre désigné lui-même, qui s’était retrouvé plus ou moins ligoté par des promesses faites avant sa désignation. Il s’agirait notamment d’engagements qu’il aurait pris au sujet de la représentation druze limitée au PSP de Walid Joumblatt, et celle des Marada et du PSNS qui avaient renforcé la couverture chrétienne dans sa désignation (le PSNS lui a en effet donné trois voix chrétiennes), alors qu’il n’a pas obtenu les voix du groupe parlementaire aouniste ni celles du groupe des Forces libanaises, encore moins celles du parti Kataëb dont les députés ont démissionné du Parlement.

En gros, les problèmes engendrés par ces promesses se résumaient ainsi : les portefeuilles allant aux druzes devraient être donnés à des personnalités choisies par Walid Joumblatt (qu’il s’agisse d’un ou deux ministres). Ce qui a immédiatement provoqué la colère de son rival Talal Arslane et de l’ancien ministre Wi’am Wahhab. Mais derrière eux, c’est le Hezbollah qui s’est opposé à cette décision, car elle donne à Walid Joumblatt la possibilité de faire tomber le gouvernement, s’il décidait de pousser le (ou les) ministre druze à la démission, selon le principe de conformité au pacte national qui régit la formation des gouvernements depuis l’accord de Taëf. Un article de la Constitution stipule en effet que toute autorité dans laquelle l’ensemble des communautés ne sont pas représentées n’est pas légitime. Concernant les promesses faites aux Marada, elles portent sur deux portefeuilles et si l’on ajoute un au PSNS, un autre au Tachnag et un troisième au courant du Futur, cela fait 5 portefeuilles chrétiens sur 9. Un partage rejeté par le chef de l’État. Saad Hariri a essayé alors de contenter les Marada en leur proposant le portefeuille de la Défense, et en donnant le second portefeuille qu’il leur a promis à une personnalité proche de ce courant et du PSNS originaire de Koura, où les deux formations sont influentes sur le plan populaire. Mais là aussi, il s’est heurté à l’opposition du chef de l’État, qui insiste depuis le début de son mandat à nommer lui-même le ministre de la Défense de chaque gouvernement.

Toutefois, selon les sources de Baabda et celles du courant du Futur, entre le président de la République et le Premier ministre désigné, les discussions ne sont pas dans l’impasse. Au contraire, les deux parties insistent pour maintenir entre elles un climat de coopération. Toujours selon les mêmes sources, les négociations se poursuivent dans un climat positif. Dans ce contexte, la visite de Saad Hariri à Baabda prévue pour aujourd’hui devrait permettre de faire avancer les tractations.

Si l’on en croit ces mêmes sources, ces obstacles ne seraient donc pas insurmontables et ils pourraient être réglés dans un délai acceptable, car la bonne volonté existe des deux côtés.

Mais ce que ces sources ne disent pas et qui semble se préciser, c’est qu’il y aurait un autre obstacle, plus complexe, qui serait lié à la situation régionale et internationale. Selon des milieux diplomatiques arabes, lorsque Saad Hariri s’est posé en candidat pour former le prochain gouvernement, il misait essentiellement sur une position américaine favorable, suite à la décision libanaise d’entamer les négociations indirectes sur le tracé des frontières avec Israël. Les Américains, qui s’étaient auparavant fermement opposés à toute participation du Hezbollah au gouvernement, en poussant les différentes parties libanaises à exiger un gouvernement de spécialistes « indépendants », ont soudain rappelé qu’il leur est arrivé d’accepter et de coopérer avec des gouvernements dans lesquels le Hezbollah était représenté. Ce qui a été perçu comme une sorte de feu vert, ou à tout le moins orange, pour la formation d’un gouvernement dans lequel le parti chiite serait représenté à l’instar des autres composantes politiques par un ministre qu’il choisirait mais qui ne serait pas partisan. C’est en tout cas l’un des sujets qui avaient été discutés entre Saad Hariri et les représentants des deux formations chiites. Les sources diplomatiques précitées laissent entendre que cette position aurait changé suite à la dernière séance de négociations entre les Libanais et les Israéliens sur le tracé des frontières au cours de laquelle la partie libanaise a pris de court l’autre camp et placé les discussions sur un plan nouveau, dépassant les 860 km² conflictuels pour évoquer 1 430 km². Ce sujet aurait d’ailleurs été évoqué par l’ambassadrice des États-Unis et par le représentant des Nations unies avec les responsables libanais. Il semblerait que pour les Américains, le fait de soulever ce sujet est un signe que le Liban cherche à prolonger les négociations au lieu d’en accélérer le processus. De son côté, le Hezbollah aurait estimé que les reproches adressés au Liban après l’attitude de la délégation libanaise au cours de la dernière séance de négociations montre qu’il y aurait des pièges cachés. Par conséquent, il préférerait prendre son temps pour étudier toutes ses décisions à venir, notamment celles qui concernent le gouvernement. Surtout à la veille d’élections américaines cruciales.

Et la France dans ce tableau ? L’élan envers le Liban s’est quelque peu ralenti en raison de plusieurs facteurs, dont les développements en France, mais l’initiative française est maintenue et dès que le Liban aura un nouveau gouvernement, elle sera relancée, dans le sens de l’application du document de réformes. Ainsi, une fois de plus, sous couvert d’obstacles internes, les considérations régionales et internationales se seraient imposées dans le dossier gouvernemental.

OLJ