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Gilles Sengès
Donald Trump se déclare victorieux face à Joe Biden alors que les dépouillements ne sont pas terminés. Les Etats-Unis ne pouvaient craindre pire situation alors que le pays est plus divisé que jamais
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Une des options les plus redoutées se profile aux Etats-Unis où Donald Trump a revendiqué dans la nuit de mardi à mercredi la victoire face à Joe Biden alors même que l’issue de l’élection présidentielle restait indécise dans de nombreux Etats-clés du pays. Le candidat démocrate a pour sa part exprimé son optimisme et appelé à la patience. A 19 heures 30 (heure française), Joe Biden était crédité de 238 grands électeurs contre 213 pour Donald Trump, d’après Associated Press. Les résultats de plusieurs Etats-clés n’étaient pas encore connus.
« Cette élection était présentée comme un référendum pour ou contre Donald Trump. Le message est clair. Ce n’est pas la répudiation qui lui était promise, le trumpisme est loin d’être mort ». A l’image de Charlie Dent, un républicain, ancien élu de la Chambre des représentants, opposant de la première heure de l’occupant de la Maison Blanche, nombre d’Américains sont tombés de haut, mardi soir, à l’annonce des premiers résultats.
Pour cette élection présidentielle, les instituts de sondage et les médias leur promettaient un « mirage rouge » et une « vague bleue », en référence aux couleurs des partis républicain et démocrate. Leur prévision : de premiers scores positifs pour l’hôte de la Maison Blanche, puis un « come-back » spectaculaire de Joe Biden au fil des heures pour une victoire au finish. A en croire les augures, le Grand old party devait aussi perdre sa majorité au Sénat.

Il n’en a rien été. Alors que les dépouillements n’étaient pas terminés mercredi soir dans certains Etats clés (Pennsylvanie, Michigan, Wisconsin), Donald Trump et Joe Biden étaient au coude-à-coude. Et fort de l’avance dont il y dispose pour l’instant, le président sortant a estimé dans la nuit de mardi à mercredi qu’il avait déjà gagné et qu’il fallait arrêter le décompte des voix. « Un petit groupe de gens est en train de nous voler », s’est-il plaint, évoquant « une fraude contre l’opinion américaine ».
Dépouillement. Ce qui n’a pas manqué de provoquer la réprobation dans le camp démocrate, mais aussi parmi les siens. « Il peut penser qu’il a gagné, je comprends sa frustration. Les responsables ont interrompu le dépouillement dans la nuit non pas parce qu’ils veulent frauder mais parce qu’ils sont fatigués. Parler de fraude est une erreur », a dénoncé Rick Santorum, l’ancien sénateur républicain de Pennsylvanie sur le plateau de CNN. « Pendant le dépouillement, nous allons continuer à demeurer vigilants […]. Le droit de vote a été au cœur de notre démocratie depuis la fondation de notre nation et nous allons protéger l’intégrité de ce vote », a tempéré Mike Pence, le vice-président.
Les Etats-Unis se sont ainsi réveillés, mercredi, plus divisés que jamais. « Notre pays est polarisé, je dirai même tribalisé. Les partis politiques comptent plus que les individualités. C’est l’équipe bleue contre l’équipe rouge », s’inquiète Charlie Dent. « En 2008, j’avais été réélu à la Chambre des représentants alors que dans le même temps Barack Obama l’emportait en voix dans ma circonscription. Ce ne serait plus possible aujourd’hui », remarque-t-il.
« La division du pays est plus exacerbée et profonde que jamais. Je suis très pessimiste. Nous faisons face à des temps difficiles. On ne sait pas ce qui va se passer d’ici à l’investiture du 20 janvier avec le grand disrupteur qu’est Donald Trump. La perspective de violences est réelle », abonde Jim Kolbe, un ancien représentant républicain, aujourd’hui membre associé du German Marshall Fund.
Dans l’attente des résultats définitifs du scrutin dans le Wisconsin, le Michigan et la Pennsylvanie, la tension ne va cesser de monter. Elle pourrait durer des semaines, voire des mois si aucun vainqueur ne s’impose réellement.
Déjà pris en faute en 2016 pour ne pas avoir vu venir l’élection de Donald Trump, les médias et les instituts de sondage se trouvent sérieusement sur la sellette. « Les sondeurs ont beau avoir changé leurs méthodologies, ils n’ont visiblement pas réussi à percer la méfiance de l’opinion publique à leur égard », s’étonne Jim Kolbe. « Il y a quelque chose autour de Donald Trump que les sondeurs ne voient pas. Et le trumpisme est encore là pour quelque temps en dépit du fait que les médias ne l’aiment pas », renchérit Jemie Fly, ex-conseiller du sénateur républicain Marco Rubio.
Ratage. Le ratage est en tout cas spectaculaire. Les journaux pensaient que les Américains allaient sanctionner leur président du fait de son incapacité à contrôler la pandémie de coronavirus qui a déjà fait plus de 230 000 morts aux Etats-Unis. Pourtant, selon un sondage présenté mardi, trois Américains sur dix ont cité l’économie comme étant la question la plus importante à leurs yeux au moment de se déterminer entre Donald Trump et Joe Biden. Seulement deux sur dix ont répondu que la Covid-19 était la question la plus importante pour eux…
« Donald Trump avait finalement raison ! On faisait grand cas de l’épidémie de coronavirus et, finalement, quand on regarde l’enquête, elle arrive en troisième position de leurs préoccupations, loin derrière la situation économique. On pensait qu’il avait très mal géré la pandémie et qu’il était appelé à être battu. En fait, beaucoup d’Américains doivent penser qu’il l’a très bien géré parce que ce qui est le plus important pour eux, c’est la liberté. Plus que la santé ! Ils ne veulent absolument pas de confinement. Il y a une vraie résistance », résume Bertrand van Ruymbeke, professeur de civilisation et d’histoire américaine à l’Université de Paris 8.
« Son message sur la Covid était celui que les gens voulaient entendre. Cela a marché, il a élargi sa base d’électeurs », regrette Heidi Heitkamp, une ancienne sénatrice démocrate. Donald Trump, que l’on disait brouillé avec les ménagères, semble avoir répondu à leurs attentes en réclamant la réouverture des écoles.
« L’économie mais aussi le sujet de “la loi et l’ordre” a coûté cher aux démocrates. Cela a aidé le président », relève aussi Charlie Dent, alors que l’on croyait le thème relégué au second plan après les émeutes et les pillages qui ont accompagné les manifestations contre les violences policières à l’égard des noirs. L’image des commerçants barricadant leurs magasins à la veille du scrutin dans les grandes métropoles du pays a peut-être été une piqûre de rappel.
« Même si c’est très diffus, il est possible que les attentats en Europe aient eu une influence », ajoute Bertrand van Ruymbeke. Il interprète aussi la contre-performance de Joe Biden par un électorat démocrate moins homogène que son homologue républicain car allant de courants centristes personnalisés par des leaders comme l’ancien bras droit de Barack Obama ou Bill Clinton à des dirigeants comme Bernie Sanders jugés comme très à gauche pour les Etats-Unis.
S’il perd, Joe Biden sera invité à rendre des comptes. Mais ce n’est rien par rapport à ce qui l’attend de la part de Donald Trump s’il venait à emporter cette élection présidentielle.