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Avenir Lycéen, Christophe Brunelle, frais de bouche, Jean-Michel Blanquer, LREM, ministère de l'éducation nationale, Syndicat
Par Antton Rouget
Une organisation lycéenne favorable à l’exécutif a reçu 65 000 euros de subventions du ministère en 2019, dont 40 000 pour un congrès qui n’a jamais eu lieu. À sa tête, on a plutôt dégainé la carte bleue pour des frais de bouche et d’hôtels. Alertée, la rue de Grenelle, loin de couper les vivres, a réservé au syndicat 30 000 euros supplémentaires pour 2020. Révélations.
Champagne ! Le syndicat Avenir Lycéen va bientôt fêter le premier anniversaire de son partenariat avec le ministère de l’éducation nationale de Jean-Michel Blanquer. Le 19 novembre 2019, cette petite association aux positions pro-gouvernementales, qui vivotait avec 138 euros en caisse, a vu atterrir sur son compte en banque la coquette somme de 65 000 euros en provenance du ministère.
En contrepartie, Avenir Lycéen devait mener des actions de sensibilisation sur plusieurs thématiques et organiser, surtout, son congrès fondateur, qui aurait dû concentrer les deux tiers de la subvention (40 056 euros), selon la convention d’objectifs signée avec le ministère. Sauf que le fameux congrès n’a jamais eu lieu.
Par contre, une bonne partie de l’enveloppe publique a été engloutie en frais de bouche, déplacements et autres dépenses dans des bars (alcool compris) et hôtels de luxe, sans que le ministère, tenu de contrôler les états financiers de l’association, n’y trouve à redire malgré plusieurs alertes orales et écrites. Les documents consultés par Mediapart font aussi état d’importants retraits en liquide, à des horaires parfois tardifs, qui n’ont fait tiquer personne.
Sollicité, le ministère explique qu’il n’opère pas un contrôle détaillé des dépenses des associations, mais qu’il s’assure que « de manière globale, les actions subventionnées sont effectivement réalisées » – ce qu’il indique avoir fait, même si le congrès subventionné n’a jamais été organisé.
Après avoir reçu des alertes sur la nature des dépenses, le ministère explique que l’association a été « sensibilisée au bon usage d’une subvention publique ». Sans autre forme de conséquence, puisque le syndicat vient de recevoir pour cette année scolaire une nouvelle subvention de 30 000 euros, qui correspond à ce qu’elle avait demandé.
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Pour la seule journée du lundi 22 juin, 432 euros sont dépensés dans un Apple Store, et 99,70 euros dans deux restaurants lyonnais. Le lendemain, 75,50 euros sont débités dans un restaurant à Paris. Dans la nuit, à une heure du matin, un retrait de 100 euros est effectué dans le VIIe arrondissement.
Le lendemain, le titulaire de la carte règle 276,52 euros à l’hôtel Madrigal à côté de la gare Montparnasse – un « havre de paix au cœur de Paris XVe » visiblement du goût du syndicat puisqu’il fait l’objet de nombreuses dépenses. Deux jours plus tard, 222 euros sont d’ailleurs débités à la même adresse. Entre-temps, la carte était repartie du côté de Lyon pour un petit achat (44,99 euros) à la Fnac.
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Nicolas, le président à cette époque, indique qu’il n’a pas été consulté pour ces dépenses, et les a encore moins autorisées. Idem pour ces 236 euros dépensés dans le restaurant gastronomique de Christian Têtedoie, à Lyon, le 16 juillet 2020. C’est Quentin*, le trésorier du syndicat depuis 2019, qui a effectué cette dépense, ainsi qu’il le reconnaît auprès de Mediapart, expliquant que ce dîner dans ce restaurant étoilé au guide Michelin correspond à une réunion avec des « partenaires » du syndicat. Des « partenaires » dont il ne veut pas donner le nom pour des raisons de « confidentialité », ajoute-t-il.
Le même jour, le syndicat a aussi dépensé 150 euros à l’hôtel Intercontinental de Lyon (cinq étoiles). Le lendemain, 426,47 euros sont débités dans le même hôtel, ainsi que 128,05 euros à la brasserie Georges, restaurant à côté de la gare de Lyon-Perrache qui a nourri nombre de célébrités (Lamartine, Verlaine, Jules Verne, Zola ou Rodin) depuis 1836.
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Moins d’argent pour financer les autres syndicats
Avec tous ces frais engagés en pleines vacances scolaires, l’argent de la subvention ministérielle s’est évaporée à la vitesse grand V : de 40 829 euros au 1er juillet, les réserves de l’association sont tombées à 21 965 euros à la fin du même mois. Toutes ces dépenses n’avaient pourtant « aucun lien » avec la convention d’objectifs signée avec le ministère, estime Nicolas.
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Que des lycéens dérapent en ayant accès à un compte très bien fourni par de l’argent public est une chose. La réaction du ministère en est une autre.
Car, pour sa part, le ministère est aussi tenu de contrôler que les actions qu’il finance soient bien réalisées. La convention oblige ainsi l’association à fournir un « compte rendu financier », ses « états financiers », et son « rapport d’activité » avant le 30 juin. La subvention, ordonnée par le ministre en personne, n’est considérée comme « acquise » qu’après le respect par l’association de cette obligation. En cas de doute, un « contrôle » peut aussi être réalisé par le ministère pendant l’exécution de la convention, précise le document signé avec Avenir Lycéen.
« L’association a bien notifié l’ensemble des éléments requis (compte rendu financier, rapport d’activité, etc.) », confirme le ministère à Mediapart. Comment, dans ce contexte, les organes de contrôle n’ont-ils pas pu tiquer sur les 40 056 euros spécifiquement versés au titre du congrès et qui ont été pour partie dépensés pour des hôtels de luxe ou un restaurant étoilé ?
Le ministère esquive, en expliquant seulement que « les subventions demandées au titre des déplacements, s’agissant d’une association nationale, l’ont été pour des restaurants et des hôtels correspondant aux déplacements de l’équipe de direction d’Avenir Lycéen afin d’assister à des événements organisés par les représentants départementaux et régionaux de l’association ». Ce qui n’a, en l’espèce, pas toujours été le cas. « Il n’y a eu aucun laxisme du ministère dans le contrôle financier de cette association comme pour les autres », insiste le ministère, pourtant si soucieux d’exemplarité dès lors qu’il s’agit des professeurs.
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Les alertes sur le train de vie du syndicat n’ont eu aucune autre conséquence. Pour cette nouvelle année, Avenir Lycéen a même reçu une nouvelle subvention de 30 000 euros. « Étant donné que toutes les dépenses n’avaient pas été engagées sur 2019, le montant de la subvention a été diminué de plus de 50 % entre 2019 (65 000 €) et 2020 (30 000 €) », explique seulement le ministère, en insistant sur le fait que les demandes de subvention ont été examinées par le « bureau de l’éducation artistique, culturelle, et sportive », puis approuvées par le contrôleur budgétaire et comptable ministériel.
Le montant de 30 000 euros correspond exactement à la demande formulée par Avenir Lycéen. Ce qui ne manque pas de révéler une inégalité de traitement avec d’autres organisations lycéennes.
En 2018, le Mouvement national lycéen (MNL, ex-UNL-SD), arrivé en seconde position derrière Avenir Lycéen aux élections du Conseil supérieur de l’éducation cette année-là, avait perçu 10 000 euros dans le cadre d’une convention d’objectifs.
Depuis, c’est la disette. En 2019, « nous n’avons pas eu de réponse à la suite de notre sollicitation », explique-t-on dans ce syndicat de gauche. Pour l’année de 2020, le ministère a expliqué, cet été, qu’il n’a pas été « possible de donner suite » à la demande du syndicat.
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