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Christian Rioux

Le 7 novembre dernier, il n’aura fallu qu’une petite heure à Boris Johnson pour féliciter Joe Biden de son élection à la présidence des États-Unis. Certes, le premier ministre britannique a été battu de justesse par Justin Trudeau et la première ministre écossaise, Nicola Sturgeon. Mais il a coiffé au poteau aussi bien Emmanuel Macron qu’Angela Merkel. « Les États-Unis sont notre allié le plus important et j’ai hâte que nous travaillions ensemble sur nos priorités communes », a déclaré Boris Johnson.

Cette élection survient au moment où, dans quelques jours à peine, on devrait savoir si un nouvel accord commercial pourra finalement être signé entre l’Union européenne et le Royaume-Uni. Les négociations amorcées il y a neuf mois sont dans leur dernière ligne droite puisqu’une entente doit impérativement être conclue avant la mi-novembre pour que le Parlement européen puisse l’adopter avant le 1er janvier, date de sortie effective du Royaume-Uni de l’Union européenne.

Biden contre le Brexit

« Avec l’élection de Joe Biden, la possibilité d’un no deal vient clairement de s’éloigner », estime l’historien David Edgerton du King’s College de Londres. « Downing Street pourrait difficilement supporter la colère des États-Unis qui en résulterait. Biden n’acceptera jamais le retour d’une frontière entre les deux Irlandes, ce qui serait le résultat logique d’une absence d’accord. »

La plupart des experts jugent en effet qu’en privant Boris Johnson d’un allié de poids à Washington, l’élection de Joe Biden devrait favoriser la conclusion d’un accord et éloigner la possibilité d’un no deal. D’autant que Boris Johnson a toujours brandi la possibilité d’un accord de libre-échange avec Washington afin de compenser les pertes du marché européen. Un premier round de négociations s’est d’ailleurs ouvert en mai dernier à Washington.

Au grand dam du premier ministre conservateur, ces pourparlers semblent aujourd’hui loin d’être une priorité pour Joe Biden. En pleine campagne du Brexit, Barak Obama n’avait-il pas averti les Britanniques qu’en cas de Brexit, ils n’avaient rien à attendre des États-Unis ? Or, rien ne laisse penser que celui qui était alors son vice-président a changé d’opinion depuis. « Nous ne pouvons pas permettre que l’accord du Vendredi saint, qui a apporté la paix en Irlande du Nord, devienne une victime du Brexit », avait déclaré en septembre le candidat démocrate qui ne manque jamais une occasion de rappeler ses racines irlandaises.

Selon la presse britannique, lors de leur premier entretien téléphonique, lundi, Joe Biden n’a pas hésité à interpeller Boris Johnson à ce sujet. Selon le journaliste de la BBC, Nicholas Watt, il aurait notamment exigé que Downing Street supprime les clauses concernant l’Irlande du Nord du projet de loi « sur le marché intérieur » récemment discuté à la Chambre des communes. Joe Biden joint ainsi sa voix à celle des membres de la Chambre des lords qui ont rejeté une demi-douzaine d’articles de cette loi autorisant le Royaume-Uni à s’affranchir de certains aspects de l’accord de sortie de l’Union européenne signé l’an dernier. Des clauses aussi contestées par l’Union européenne qui concernent justement les accords du Vendredi saint.

L’Irlande n’est qu’un prétexte

« L’Irlande est le bâton que l’Amérique n’hésitera pas à brandir contre la Grande-Bretagne pour avoir eu la témérité de quitter l’Union européenne », écrivait cette semaine le chroniqueur Brendan O’Neill dans l’hebdomadaire conservateur The Spectator. Selon lui, cette attitude « outrageante » n’est rien de moins qu’une « une ingérence dans les affaires internes du Royaume-Uni ». Selon le chroniqueur, l’Irlande n’est qu’un prétexte pour le nouveau président, qui souhaite avant tout réparer la relation entre Washington et Bruxelles mise à mal par son prédécesseur.

« Les chances d’un accord avec les États-Unis ont toujours été très limitées même si le soutien de Trump a toujours été important pour les partisans du Brexit », estime David Edgerton. Quant à l’arrivée de Joe Biden à la Maison-Blanche, elle « pourrait inciter le Royaume-Uni à travailler de façon plus étroite avec l’Union européenne, mais elle ne sera pas déterminante pour la signature d’un accord », estime Christina Gallardo sur le site Politico.

Même si rien n’est assuré, depuis deux semaines, les possibilités d’un no deal semblent s’éloigner. « Les grandes lignes d’un accord sont plutôt claires », a reconnu Boris Johnson. Les Européens auraient notamment renoncé à faire de la Cour de justice européenne l’arbitre ultime des litiges entre l’Union européenne et le Royaume-Uni, au profit d’un tribunal nommé par les deux parties. De leur côté, les Britanniques auraient accepté qu’une autorité indépendante s’assure que les aides de l’État britannique respectent les exigences d’une juste concurrence.

Reste la question très controversée de la pêche. Les Européens, et tout particulièrement les Français, souhaitent conserver un accès aux immenses ressources britanniques. Ils pourraient offrir en échange un accès au marché européen de l’énergie et des transports. Mais, le Royaume-Uni tient absolument à être reconnu comme « une puissance maritime indépendante », a réaffirmé le négociateur britannique, Lord David Frost.

En octobre, une étude de l’assureur européen Euler Hermès révélait qu’un Brexit sans accord pourrait réduire de 33 milliards d’euros les exportations européennes en 2021 et entraîner une baisse du PIB britannique de 5 %. Selon David Edgerton, malgré le rêve de certains, jamais le marché américain ne remplacera le marché européen. Quant à savoir si l’élection de Joe Biden pourrait affecter l’alliance stratégique qui unit depuis toujours les États-Unis et le Royaume-Uni, sa réponse est sans détour : « C’est non ! »

Le Devoir