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Anniversaire de la mort du général de Gaulle, Crise sanitaire, De gaulle, gaullisme, Malraux, Ve République
Pour l’ancien conseiller spécial de Nicolas Sarkozy, les crises que nous vivons actuellement nous renvoient à l’abandon des valeurs incarnées par le Général.
Par Marie-Laetitia Bonavita

Cinquante ans après sa mort, le général de Gaulle est présent dans toutes les têtes. Sans doute faut-il voir là un besoin de renouer avec la grandeur de la France et avec le sens de l’autorité et de la responsabilité en ces temps où notre pays est malmené par les crises sanitaire, économique et terroriste.
Henri Guaino, qui fut conseiller spécial de Nicolas Sarkozy, artisan, en 1992, de la campagne du non au traité de Maastricht aux côtés de Charles Pasqua et de Philippe Séguin, publie De Gaulle. Le nom de tout ce qui nous manque, aux Éditions du Rocher. Il regrette l’entreprise de dilapidation, ces cinq dernières décennies, de l’héritage laissé par le fondateur de la Ve République.
LE FIGARO. – En quoi le moment que nous vivons – catastrophe sanitaire, crise économique, menace islamiste – est-il, comme vous l’écrivez, un moment gaullien?
Henri GUAINO. – C’est un moment tragique et le gaullisme a incarné, face à la tragédie, ce que Malraux appelait «la force du non dans l’histoire», ce refus obstinément opposé à tout ce qui menace d’asservir un homme ou un peuple. La source de beaucoup de nos malheurs présents est dans l’idéologie mortifère qui a répandu l’idée que la démocratie, le marché et le progrès technique avaient éliminé à jamais la tragédie. Du coup, nous avons cessé de nous y préparer autant matériellement qu’intellectuellement, moralement, psychologiquement et même spirituellement. Les crises que nous sommes en train de vivre nous ramènent à la dure réalité de la condition humaine. Donc à ce qu’a incarné, face à elle, le gaullisme.
Face à l’épidémie, la réponse du pouvoir exécutif est-elle gaullienne?
Afin de protéger les Français, le gouvernement a opté pour une mise entre parenthèses des libertés fondamentales dont je ne vois d’équivalent dans notre histoire que dans la dictature du Comité de salut public et la loi des suspects, en 1793 et sous l’Occupation. L’histoire nous montre combien choisir cette voie, même pour de bonnes raisons, est périlleux. Pour conjurer ce péril, celui qui a les pleins pouvoirs doit être capable de se fixer lui-même des limites. Il doit aussi assumer pleinement la responsabilité de ses décisions.
La réponse gaullienne aurait consisté à ne pas diluer les responsabilités des mesures prises entre le gouvernement, le Parlement, le Conseil scientifique puis les préfets et les maires, ce qui a eu, entre autres, pour effet que chaque décideur gère avant toute chose son risque pénal plutôt que la crise sanitaire. Il aurait été plus gaullien et plus conforme à l’esprit des institutions que, pour mettre entre parenthèses toutes les libertés fondamentales, le président de la République, qui n’encourt pas de risque pénal, mette en œuvre l’article 16 de la Constitution, précisément fait pour ce genre de situation. Ainsi aurait-il porté, lui seul, la responsabilité politique des décisions.
En fait, vous dénoncez un manque de courage…
Il y avait et il y a beaucoup d’autres options, plus raisonnables et rationnelles, pour atténuer les conséquences dramatiques de l’épidémie, comme s’occuper en priorité de la protection des plus vulnérables. Il n’y a certes pas de réponses toutes faites dans un catéchisme gaulliste qui n’a jamais existé. On peut, cependant, tirer quelques leçons de l’histoire: ne pas céder à la panique, perdre son sang-froid, s’abandonner à la jouissance technocratique de régler dans le détail la vie de ses concitoyens, et se cacher derrière la science pour prendre des décisions qui n’ont rien à voir avec la science. Quand la France ferme les petits commerces et laisse ouvertes les grandes surfaces pendant que la Catalogne fait le contraire, où est la science?
Quand les contaminations se font dedans et qu’on impose les masques dehors, où est la science? La dilution de la responsabilité politique dans la science est désastreuse. La dissolution du Conseil scientifique lèverait cette ambiguïté malsaine. Mais, la plus grande leçon de l’histoire, c’est qu’il ne faut jamais jouer la politique de la peur. Celle-ci infantilise les gens pour les faire obéir: cela fait ressortir ce qu’il y a de pire dans l’homme en dressant ceux qui ont peur contre ceux qui refusent de devenir esclaves de leur propre peur et de celle des autres. Dans l’histoire, la politique de la peur, c’est Vichy ; celle du courage, c’est la France libre.
Comment lutter contre le terrorisme?
Ce qui serait gaullien, ce serait de prendre enfin la mesure de ce que nous devons affronter, c’est-à-dire une véritable guerre de civilisation sans merci menée contre nous. Pas seulement par des masses fanatisées ou des impérialismes du dehors, mais aussi à l’intérieur même de nos sociétés, par des minorités agissantes qui travaillent sans relâche à la culpabilisation de l’Occident et au communautarisme devant lesquels, par lâcheté collective, nous nous aplatissons depuis des décennies. Le problème est que, sur ce terrain comme sur celui de la crise sanitaire, nous nous sommes désarmés intellectuellement, moralement, spirituellement, juridiquement.
Selon vous, nous nous sommes désarmés en détruisant ce que de Gaulle nous avait légué?
De Gaulle avait rendu à la France ce qu’elle avait perdu dans la débâcle de 1940, la collaboration, les spasmes de la décolonisation et les errements du régime des partis: notre indépendance, un État digne de ce nom, des institutions qui permettaient d’être gouvernés tout en redonnant la parole au peuple, un pacte civique et social qui assurait l’unité, la capacité et la volonté de défendre nos intérêts dans le monde et surtout la fierté nationale, sans laquelle une nation ne peut se maintenir. Une grande partie de l’intelligentsia et des forces politiques se sont coalisées pour détruire ce qui avait été si difficile à reconstruire.
Mais le monde a changé. La nation n’est-elle pas un cadre dépassé?
C’est pour l’avoir cru que les élites occidentales ont failli. Dépassées, les frontières, la souveraineté du peuple, l’indépendance, la solidarité nationale, la volonté de se défendre quand nous sommes confrontés aux concurrences déloyales, à une pandémie, au terrorisme, aux crises migratoires, au malaise identitaire? Au contraire: nous n’avons plus de temps à perdre pour refaire une nation.
Pourtant, tous les responsables politiques invoquent l’héritage du Général…
Les politiciens cherchent toujours à dire ce qu’ils croient que l’opinion publique souhaite les entendre dire. Ils invoquent de Gaulle parce qu’ils sentent que les Français éprouvent un manque de plus en plus grand de ce qu’il a incarné. Mais il y a cet abîme entre les mots et les choses dans lequel, une fois encore, la démocratie est en train de sombrer.