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Ludovic Vigogne
Le maire, Darmanin, Blanquer, Véran… En difficulté depuis la rentrée, le Premier ministre doit composer avec les poids lourds de son équipe. Pour regagner en autorité, il a lancé une opération recadrage
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Jean Castex perd quatre points dans le baromètre Ipsos-Le Point de novembre, récoltant 31 % d’opinions favorables. Quatre mois après sa nomination, l’ancien maire de Prades reste un Premier ministre en difficulté. A une semaine d’annonces importantes sur la sortie du confinement, il a décidé d’opérer une opération de recadrage au sein de son équipe afin de rappeler que l’exécutif compte bien deux têtes.
Lundi après-midi, Jean Castex a eu un tête-à-tête avec Gérald Darmanin. Les deux hommes sortaient d’une réunion par visioconférence avec les responsables des cultes, notamment catholiques, à la suite de l’émotion suscitée par l’interdiction des messes du fait du confinement. A la veille de l’examen à l’Assemblée nationale de la proposition de loi « sécurité globale », qui créait des tensions entre le ministre de l’Intérieur et la majorité, le chef du gouvernement voulait jouer tout son rôle de conciliateur et s’assurer, entre quatre yeux, que le point d’atterrissage qu’il avait négocié serait scrupuleusement suivi par Gérald Darmanin. La semaine passée, il avait ressenti un certain agacement vis-à-vis de ce dernier.
Il jugeait qu’il ne mobilisait pas suffisamment les forces de l’ordre, notamment à Paris, pour faire respecter les restrictions de sortie. Le Premier ministre avait même tenté de faire interroger à ce sujet le ministre de l’Intérieur lors de la séance de questions au gouvernement, à l’Assemblée nationale, du 10 novembre. Mais les prises de parole des députés LREM étaient déjà attribuées ; cela n’avait pas été possible…
Une semaine plus tôt, ce sont trois autres poids lourds du gouvernement qui avaient défilé dans son bureau. Le 9 novembre, ce fut Olivier Véran, puis Jean-Michel Blanquer. Le lendemain, le tour était venu de Bruno Le Maire. A la rentrée, la relation entre Jean Castex et le ministre des Finances s’est notoirement dégradée à la suite de la présentation par le premier du plan de relance que le second avait piloté pendant des semaines. Dans la foulée de ce rendez-vous, lors de son point hebdomadaire avec l’ensemble du gouvernement sur l’évolution de la crise sanitaire, Jean Castex se fera très directif. « Il s’est montré très meneur d’hommes », conclura un participant…
Tout cela ne doit rien au hasard. Le Premier ministre a décidé de resserrer les boulons avec les piliers de son équipe. Ce n’est pas forcément qu’il a de mauvaises relations avec eux (Jean-Michel Blanquer, par exemple, s’entend bien mieux avec lui qu’avec Edouard Philippe), mais c’est qu’il veut réaffirmer qu’il y a toujours un patron à Matignon. « Il y a une volonté que les choses soient claires et rappelées. C’est un petit recadrage, reconnaît un de ses proches. Il y a certes un Premier ministre qui laisse un peu plus de liberté à ses ministres que le trio Edouard Philippe-Benoît Ribadeau-Dumas [son directeur de cabinet]-Marc Guillaume [l’ex-secrétaire général du gouvernement], mais il y a un Premier ministre. »
Légitimité. Au printemps, en charge du déconfinement, le maire de Prades avait eu peu de contacts directs avec les membres du gouvernement Philippe. En arrivant à Matignon à la veille de l’été, ceux avec lesquels il a des affinités, au sein de son gouvernement, se comptent sur les doigts d’une main. Roselyne Bachelot est une vieille amie. Gérald Darmanin vient, comme lui, des réseaux Bertrand. Quand, en 2006, Bruno Le Maire devient le directeur de cabinet de Dominique de Villepin à Matignon, Jean Castex est celui de Xavier Bertrand à la Santé. Pour le reste…
Au-delà de cette équation humaine singulière, le nouveau locataire de la rue de Varenne doit composer avec une autre difficulté. En remplaçant Edouard Philippe par un inconnu sans légitimité politique, Emmanuel Macron a choisi de reprendre les rênes et de reconfigurer le système. Et si le Premier ministre n’était plus qu’un simple exécutant ? « Le Président a décidé de travailler en direct avec trois, quatre ministres. Il est allé au bout de la logique de la Ve République et du quinquennat », dit un membre du gouvernement. « Avant, tout était centralisé entre quatre hommes [le fameux quatuor Macron-Philippe-Kolher-Ribadeau-Dumas]. Maintenant il y a plus de latitude pour les ministres », reconnaît un fidèle macroniste.
Parallèlement, l’approche de l’élection présidentielle libère les ambitions. Si le locataire de Matignon affirme avoir une carrière politique bornée (elle cessera avec la fin de son bail à Matignon, au maximum dans seize mois), ce n’est pas le cas des poids lourds de son équipe. Dans la campagne du Président, ils souhaitent être aux avant-postes. S’il est réélu, pourquoi n’atterriraient-ils pas à Matignon ? Darmanin, Le Maire, Blanquer, Véran : ce qui leur importe, c’est leur relation avec Emmanuel Macron.
Incontestablement, cette nouvelle situation a profité au chef de l’Etat. Depuis la rentrée, il a retrouvé de l’oxygène, notamment sondagier. « Quels étaient les points à améliorer ? Il fallait que le Président prenne moins la foudre, que toutes les demandes de rendez-vous n’arrivent plus à l’Elysée, que tous les communiqués des syndicats ne renvoient plus vers le chef de l’Etat. Aujourd’hui, l’effet de bouclier fonctionne », se félicite un lieutenant macroniste. « Entre l’Elysée et Matignon, c’est plus infusé», relève Jean-Michel Blanquer. « Jean Castex vous protège. Il prend des coups. Est-ce qu’Edouard Philippe vous protégeait ? Non. Il prenait des postures », a glissé à Emmanuel Macron un de ses visiteurs.
« Sacrificiel.» Dans ce schéma, le locataire de Matignon a en revanche vite cherché sa place. Dans la majorité, son autorité ne paraît pas évidente. Dans l’opinion, il décroche. « On l’a mis dans une situation difficile. Un Premier ministre peu connu qui ne peut pas se mettre en avant, il coule », note un ministre. « C’est difficile d’être le chef d’une équipe dont on n’est pas naturellement le chef. Il n’est reconnu ni par la macronie, ni par la droite », constate Valérie Pécresse, qui pourtant « aime bien » l’ex-LR et le juge « réglo ». Cet automne, Jean Castex doit s’employer à casser les reins à la propagation épidémique, mais aussi à une petite musique : ses jours à Matignon seraient comptés. D’où la reprise en main entamée ces derniers jours…
« Dans les institutions de la Ve République, [le rôle du Premier ministre] doit être au-devant de la scène pour à la fois prendre les responsabilités et les coups », déclarait Jean Castex dans Le Monde, samedi, assurant ne « ressentir ni blessure ni surprise » à être critiqué. « L’aspect sacrificiel va imprimer », veut croire un ministre qui l’a incité à cette réplique politique. Le 27 octobre, lors de la réunion avec les présidents de partis et de groupes parlementaires sur la montée de la deuxième vague de coronavirus, il avait été servi. Celle-ci se passe très mal. On reproche au chef du gouvernement de ne rien dévoiler des intentions de l’exécutif. « Vous savez maintenant qu’être Premier ministre cela consiste à se faire engueuler », lancera François Bayrou pour détendre un peu l’atmosphère. A la sortie, Jean Castex avouera à un de ses ministres : « Le Président m’avait interdit de présenter les options… »