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BFM-TV, Hani Murad, Hervé Gattegno, Nicolas Sarkozy, rétractation, Ziad Takieddine
Par Karl Laske, Fabrice Arfi, Nada Maucourant Atallah et Jeanne Boustani
L’intermédiaire a été écroué deux semaines au Liban avant la publication de son interview par Paris Match et BFMTV. La procédure a été intentée par un cabinet d’avocats qui ne cache pas sa proximité avec Les Républicains et Nicolas Sarkozy, mais plaide la « coïncidence ».
Le jour de l’annonce de ses rétractations dans l’affaire libyenne, l’intermédiaire Ziad Takieddine, déjà ruiné et en cavale après sa condamnation dans l’affaire Karachi, venait de sortir d’une prison libanaise dans un nouveau dossier. Paris Match assure n’en avoir rien su. BFMTV ne le commente pas précisément. En tout cas, les deux médias n’en ont rien dit.
Il est vrai que le récit des circonstances dans lesquels Ziad Takieddine s’est partiellement rétracté – ce qui ne change judiciairement rien au dossier libyen et aux preuves accumulées – était peu compatible avec l’exploitation politique et judiciaire qu’en a fait Nicolas Sarkozy, dès l’annonce, mercredi 11 novembre, de la mise en ligne de cette courte vidéo (32 secondes…) et lors d’un long entretien sur BFMTV, deux jours plus tard.
Dans l’affaire libyenne, Nicolas Sarkozy est mis en examen pour « association de malfaiteurs », « corruption », « recel de détournements de fonds publics » et « financement illicite de campagne électorale ».
Lorsqu’il s’est exprimé, l’intermédiaire au cœur de l’affaire libyenne était en fait visé depuis le 5 octobre par une plainte déposée, à Saïda (Liban), par son ancien avocat Me Hani Murad, pour « association de malfaiteurs », « falsification de preuves », « menaces », « atteinte à la réputation » et même « vol ». Ce dossier, porté par un cabinet d’avocats réputé proche des Républicains, a conduit à l’arrestation de Takieddine, le 26 octobre, deux jours après l’entretien accordé à Paris Match.
Mediapart a obtenu les réquisitions écrites du procureur général du Sud-Liban ordonnant son placement en détention le 2 novembre. Ziad Takieddine a été remis en liberté par la chambre d’accusation du Sud-Liban, et ce, contre l’avis du parquet, le 10 novembre, soit l’avant-veille de la parution de Paris-Match. Il est depuis lors sous contrôle judiciaire.
Joint par téléphone, Ziad Takieddine a curieusement nié l’épisode.
Les faits qui ont conduit l’intermédiaire dans une prison de Saïda paraissent éloignés de l’affaire Sarkozy mais ils ont néanmoins conduit le plaignant à communiquer aux enquêteurs des pièces relatives à des commissions occultes reçues par Takieddine… sur des marchés libyens.
Ziad Takieddine avait en effet chargé l’avocat de centraliser toutes les informations relatives à ses comptes bancaires dans trois établissements bancaires (Fransabank, Blom Bank et Bank Med), avant de révoquer son mandat courant septembre.
Me Hani Murad avait également saisi le procureur général financier de plaintes visant à récupérer des fonds dans plusieurs établissements bancaires. Le président du Groupe Med, Mohamed Hariri, cousin germain de l’ancien président Saad Hariri, a ainsi été entendu le 22 juin par le procureur général financier sur la base des dénonciations de Takieddine.
L’objectif de ce dernier était de se refaire financièrement, en pointant des irrégularités dans plusieurs ventes immobilières qu’il avait lui-même ordonnées – en particulier celle de sa résidence familiale de Baakline qui aurait été bradée – et des sommes prétendument laissées en déshérence sur certains comptes. L’ancien avocat de l’intermédiaire réclame depuis le paiement de ses honoraires, proportionnels au montant des sommes à recouvrir.
Or le cabinet qu’il a désigné pour défendre ses intérêts et poursuivre Takieddine, Ororus Advisors, s’avère lié aux Républicains, le parti de Nicolas Sarkozy. Me Rami Alamé, managing partner du cabinet, l’indique dans sa notice biographique, signalant même qu’il a participé à la rédaction du programme de Nicolas Sarkozy pour la présidentielle de 2012.
« J’ai une affiliation aux Républicains, confirme Me Rami Alamé à Mediapart. Cela fait dix ans que je suis partisan, que je suis proche. Je suis constamment en lien avec les Républicains, mais cela n’a rien à voir avec la plainte contre M. Takieddine. Nous représentons un avocat qui est en conflit avec M. Takieddine. Pour nous, c’est un cas qui n’est pas relié à M. Sarkozy. »
Me Rami Alamé assure que son cabinet a été désigné en raison de la position de son père, Me Saïd Alamé, au Conseil de l’ordre de Beyrouth, et qu’« aucun contact n’a été pris avec les Républicains à ce sujet ».
Sa page Facebook fait apparaître une photo de lui avec Nadine Morano, aujourd’hui conseillère politique du président des Républicains (voir ci-contre), avec hashtags #friends ou #SarkozyPresident, mais il précise qu’il ne l’a pas contactée non plus. Sollicités, ni Nadine Morano ni Les Républicains n’ont donné suite.
La rétractation de l’intermédiaire dans l’affaire libyenne serait donc sans lien avec la pression judiciaire qu’il a subie en octobre. « Il est sorti [de prison – ndlr], il a dit ça, mais c’est à lui d’expliquer pourquoi il a changé de version », commente l’avocat. Son engagement politique n’est qu’une « coïncidence » dans ce dossier, même s’il y a des faits qui ont été « potentiellement reliés à l’histoire en France », reconnaît-il.
Selon Me Saïd Alamé, les documents réunis par Me Hani Murad sont en effet au cœur de son différend avec Takieddine. « Il n’y a rien qui concerne directement M. Sarkozy, déclare-t-il. Il y a des virements d’argent par l’intermédiaire de Ziad […] de la Libye vers le Liban et du Liban, c’est reparti de nouveau. » L’avocat rejette l’idée d’un conflit d’intérêts de son cabinet.
« Je représente le barreau et l’objet de la plainte n’est pas autour de M. Sarkozy, insiste-t-il. Il s’agit des honoraires et des agissements de Ziad Takieddine », poursuit Me Alamé, même si lors de l’enquête, « les documents sont apparus comme la cause de la plainte », car Takieddine voulait les récupérer et dessaisir son avocat.
L’avocat dit avoir découvert ses déclarations aux médias français à sa sortie de prison. « Il a dit que M. Sarkozy n’a rien fait, mais ce n’est pas à notre demande, ni à la demande de Me Murad », souligne-t-il.
Le plaignant, joint par Mediapart, lui, s’est réjoui d’avoir « innocenté Sarkozy », et même d’avoir « prouvé son innocence ». « Ziad a rétracté son témoignage, c’est la plus grande preuve », a commenté Me Hani Murad.
Il précise toutefois qu’il n’a « aucune relation avec Sarkozy et aucun intérêt » et n’avoir « rien envoyé à ses avocats » : « C’est mon cas qui m’intéresse et que la vérité éclate sur la scène locale et internationale, et que la véritable personnalité de Takieddine soit connue », indique-t-il.
Selon une source judiciaire libanaise jointe par Mediapart, il est rare que des contestations d’honoraires ou des révocations de mandat d’avocat fassent l’objet d’une plainte pénale et, plus encore, que les tribunaux du Sud-Liban soient saisis, lorsque les principaux protagonistes – en l’occurrence le plaignant et le mis en cause – sont domiciliés à Beyrouth, la capitale.
Mais trois complices présumés, parmi lesquels un expert immobilier accusé de vol, ainsi qu’une personne résidente à Saïda sont mis en cause. Dans la plainte de l’avocat que Mediapart a pu consulter, Me Hani Murad explique avoir été mandaté par Ziad Takieddine, il y a un an et demi environ pour enquêter sur ses avoirs libanais, et y compris « certains comptes abandonnés », qui sont « reliés à des secrets et des personnalités ». « J’ai réussi à découvrir dix-sept comptes bancaires de Ziad Takieddine au sein de Fransabank, cinq comptes à la Blom Bank et un compte à BankMed », relève-t-il. Sur ces comptes, près de 200 millions de dollars avaient transité, selon l’avocat.
« J’ai commencé à réclamer des rapports aux banques et des détails sur les transactions, poursuit-il. Ce qui m’a conduit à jouer avec le feu avec les plus grandes banques du Liban. […] Ziad Takieddine avait déposé des fonds qu’il avait cachés parce qu’il était poursuivi en France pour des crimes financiers. J’ai commencé à déposer des plaintes avec des dossiers solides et documentés. »
L’un des comptes en question, ouvert à la BankMed, a été au cœur de l’affaire Karachi, puisqu’il avait servi à réceptionner un versement compensatoire à l’arrêt du versement des commissions sur les ventes d’armes du gouvernement Balladur (1993-95) à l’Arabie saoudite et le Pakistan. Ce versement avait été réparti par Takieddine entre différents intermédiaires, mais semble-t-il, pas dans leur intégralité.
Ziad Takieddine avait-il un magot caché au Liban ? Plusieurs de ses proches en doutent vu ses difficultés financières et ses tentatives répétées de vendre des biens immobiliers saisis ou déjà vendus… Son ancien avocat lui-même explique avoir dû l’héberger durant plusieurs semaines, car il n’avait pas eu les moyens de régler son hôtel à Beyrouth.
Me Hani Murad se faisait fort en tout cas de récupérer environ 60 millions de dollars des banques, somme sur laquelle Takieddine lui promettait 30 % en cas de succès. Une promesse finalement annulée par Takieddine avec la révocation de son mandat, courant septembre.
L’avocat déplore la remise en liberté de l’intermédiaire, liée selon lui à un vice de forme.
Cet épisode judiciaire particulièrement trouble, qui éclaire le contexte des déclarations de Ziad Takieddine, a-t-il pu être ignoré par les rédactions de Paris Match et de BFMTV ?
Le directeur général de BFMTV, Marc-Olivier Fogiel, a fait savoir que sa chaîne a rempli son rôle en « donnant une information ». Comprendre l’interview de 32 secondes de Ziad Takieddine. « Nous avons expliqué en plateau ce que nous savions. Si vous avez des nouveaux éléments, nous serions intéressés à les lire », a-t-il ajouté.
Hervé Gattegno, directeur de la rédaction de Paris Match – il est aussi le directeur du JDD, également propriété du groupe Lagardère [voir la Boîte noire] – s’est déclaré « surpris » par nos questions, « qui portent toutes sur des aspects de (son) travail relevant du secret professionnel des journalistes ». « Je n’ai pas l’intention de vous faire part de mes commentaires sur quoi que ce soit. Ne vous en déplaise, nous publions nos reportages quand et comme ils nous semblent devoir l’être », indique-t-il.
S’agissant de l’incarcération de Ziad Takieddine, il a toutefois indiqué, sous la réserve que l’information soit exacte, « l’apprendre » par notre message.
Le lendemain de la parution de l’interview de Takieddine, Hervé Gattegno avait confié sur le plateau de « C à vous » (France 5) que Nicolas Sarkozy l’avait récemment « remercié » pour son travail dans l’affaire libyenne, qui consiste depuis des années à dénoncer une « machination » judiciaire, médiatique et politique.
Rarement la connivence entre un média et un homme politique se sera autant affichée, mais il est vrai que l’ancien président poursuivi dans l’affaire libyenne est désormais membre du conseil de surveillance du groupe Lagardère dont Paris Match est l’un des titres phares.
Comme Mediapart l’a déjà rapporté, les juges de l’affaire libyenne avaient par ailleurs pointé, dans une ordonnance du 31 janvier dernier, la grande proximité entre un autre mis en cause du dossier, l’intermédiaire Alexandre Djouhri, et le journaliste Hervé Gattegno, les magistrats présentant même le premier comme le « donneur d’ordres » du second dans un développement sur la « manipulation de la presse ». Le journaliste avait vivement réagi en dénonçant des « juges sans rigueur ».
Sébastien Valiela, l’auteur du reportage photo pour Paris Match, qui a par ailleurs réalisé la vidéo de 32 secondes diffusée par BFMTV, a indiqué de son côté qu’il était « juste photographe » et qu’il ne pouvait apporter aucune précision avant de répondre aux réquisitions de la police qui lui a demandé les « rushes » de son entretien réalisé à l’I-Phone.
Collaborateur de l’agence Bestimage dirigée par Mimi Marchand, Sébastien Valiela est notamment connu pour être le paparazzi qui avait révélé la liaison de François Hollande avec Julie Gayet en 2014.