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antidémocratique, coup d’Etat, Libertés, loi de 1881, sécurité globale
Philosophe et essayiste, Anne-Sophie Chazaud est l’auteur de Liberté d’inexpression, paru chez L’Artilleur à la rentrée 2020. Dans ce billet d’humeur, elle interpelle chacun d’entre nous quant au climat liberticide qui s’étend en France de semaines en semaines. Jusqu’au point de non-retour ?

Il est important que chacun comprenne bien la gravité de ce qu’il se passe en ce moment.Pendant que la société du Spectacle se repaît d’un procès d’Assises exposé de manière obscène, délibérément mis en avant pour occuper les esprits à la manière d’une série Netflix (le titre de BFMTV, « Daval, la série », témoigne de l’abjection du procédé), tandis que chacun est cantonné chez soi, tandis qu’on allume des contrefeux inessentiels sur Dieu sait quel complotisme dont, dans le fond, on se fiche (par exemple, ma voisine croit aux cartes de tarot et Mitterrand s’appuyait sur la voyante Tessier, sa Raspoutine en jupons, et cela n’occupait pas tout le devant du débat public sous les cris d’orfraie d’une petite-bourgeoisie apeurée), pendant ce temps, donc, il se passe des choses d’une réelle gravité pour notre démocratie.
La casse de notre système de retraites, tout d’abord, qui, pendant qu’aucun mouvement social ne peut avoir lieu – et alors même que beaucoup ne font que songer à survivre économiquement à ce qui leur a été imposé (et dont nous apprenons au passage progressivement par les scientifiques que c’était inutile) -, a été remise sur les rails dans la loi de financement de la sécurité sociale, tranquillou bilou, alors qu’elle faisait la quasi-unanimité de toutes les professions contre elle, des avocats aux éboueurs, des médecins aux artisans.
L’état d’urgence sanitaire permet de faire régner un climat qui se révèle profondément liberticide de la part de l’exécutif qui en profite pour faire passer de nombreux dispositifs.
Il est certes de bon ton, dans le confort ouaté de l’entre-soi médiatico-parisien, tous bords confondus, de dire qu’il n’y a pas péril en la demeure, que non, nos libertés vont très bien et que la dictature ce n’est pas cela etc. etc., il est de bon ton ce faisant de montrer que l’on « en est », que l’on fait partie de la caste au pouvoir, par souci de notabilisation. Pourtant, c’est exactement ce qu’il se passe : nos libertés fondamentales sont en très grave danger. Les essais menés à l’occasion des confinements/déconfinements sur notre liberté d’aller et de venir se sont déjà montrés concluants, nul doute qu’ils pourront resservir.
La loi félonne de sécurité globale (mais rien que le titre devrait faire bondir n’importe quel démocrate se regardant avec sincérité dans une glace et toute la presse unanime devrait être en grève générale !), va être votée par un Parlement godillot, avec l’appui de la droite au quasi grand complet, décidément la plus bête (et coupable) du monde.
Redisons-le : ce texte est une abjection antidémocratique et doit être combattu vigoureusement. Laisser ce combat à la seule « extrême » gauche est une faute politique majeure qui se paiera cher. L’idée même que des journalistes doivent aller se présenter en Préfecture pour être en quelque sorte accrédités afin de couvrir des manifestations est gravissime tout comme l’est le dispositif visant à empêcher d’informer le public sur les dispositifs de maintien de l’ordre.
On se sert de vous, de votre révolte légitime contre l’insécurité et les racailles, contre la délinquance qui est complaisamment laissée en stabulation libre par ceux-là même qui font aujourd’hui mine de vouloir la réprimer, pour retourner contre le peuple ces outils profondément liberticides.
Ce qui est visé, c’est la liberté de la presse d’une façon générale, et la liberté d’expression d’une manière encore plus générale, et, derrière, la liberté politique, la liberté de s’opposer. N’importe quel citoyen doit pouvoir s’exprimer sur ce qui se déroule dans SON espace public, sans en recevoir l’autorisation de la Préfecture.
Ce qui se met en place ne s’appelle plus la démocratie.
Les déclarations de Dupont-Moretti, qui en moins de 24 heures étale sa « détestation » de Marine Le Pen qui, quoi qu’on pense d’elle, représente 10 millions d’électeurs aux dernières présidentielles, et le lendemain s’engage clairement contre la liberté d’expression garantie par la loi de 1881, dans la grande tradition des socialistes de ces dernières années, sont absolument gravissimes. L’on se sert de manière abjecte et perverse de l’assassinat de Samuel Paty pour faire passer des dispositifs qui vont précisément à l’encontre de ce pour quoi il est mort, à savoir la liberté et en particulier la liberté d’expression et de conscience.
Chacun doit avoir bien présent à l’esprit l’état de la situation et ses véritables enjeux. La crise sanitaire sert (par effet d’aubaine) une oligarchie gagnante de la mondialisation à opérer une sorte de coup d’Etat contre les peuples. Des mouvements sporadiques de révolte dans de nombreux pays se déclenchent ici ou là, mais il me semble important que chacun soit alerté et ne puisse pas dire ensuite : « on ne savait pas ».
Une pensée notamment à tous ceux qui ont cru, braves castors, faire barrage contre le fascisme.
Espérons qu’ils ne soient pas trop déçus.