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Pascal.Boniface, Directeur de l’Institut de relations internationales et stratégiques
1 – un parcours hors du commun
Ce gros pavé de 840 pages est d’une lecture exigeante, mais jamais ennuyeuse. On entre vraiment au cœur de la Maison-Blanche : des tractations politiques aux difficultés à faire passer une loi, des négociations sans fin au parcours personnel de l’ancien Président, l’ouvrage est absolument passionnant.
Les mémoires sont généralement plutôt publiées pour chanter les louanges de celui qui les écrit. Barack Obama ne déroge pas à la règle et cherche à convaincre, à montrer comment il a essayé de changer les États-Unis. Mais la part de sincérité est supérieure à la moyenne de ce type d’exercice.
On imagine aisément le caractère tout à fait particulier dont il doit être doté pour être devenu président des États-Unis. Son père, de nationalité kenyane, a rapidement quitté sa mère après sa naissance. Celle-ci a eu deux enfants avec deux personnes différentes et qui n’appartenaient pas au même groupe ethnique et racial qu’elle. C’était donc une femme de caractère, surtout pour l’époque. Barack Obama a passé son enfance à Hawaï puis en Indonésie. Il a donc dès les premières années de sa vie été sensibilisé aux enjeux de la diversité. Il reconnait qu’il a eu une adolescence pas tout à fait focalisée sur le travail, qu’il aimait bien faire la bamboche. Il s’est ensuite mis au travail, est devenu travailleur social à Chicago et a rencontré sa femme Michelle.
Il aborde évidemment la question de sa vie de famille avec sa femme et ses deux filles. Nombreux sont les hommes politiques qui mettent en avant leur amour des valeurs familiales dans un objectif électoral alors qu’elles sont loin de constituer une priorité pour eux. Chez Barack Obama, on sent une réelle sincérité : tout au long de son parcours, y compris à la Maison-Blanche, Barack Obama a toujours eu pour priorité de protéger sa vie familiale, sa relation avec ses enfants. Ainsi, il interrompait quotidiennement sa journée de travail à 18h30 pour dîner avec ses filles et Michelle pour maintenir avant tout un équilibre familial.
On connaît le charisme d’Obama, on connaît son intelligence hors norme. Ce qui frappe aussi c’est son courage. Alors qu’il n’est pas encore élu sénateur, mais simplement élu à la Chambre de l’Illinois, il s’oppose à la guerre d’Irak dès 2002. S’opposer à la guerre d’Irak tout en s’appelant Barack Hussein Obama, en étant métis et régulièrement soupçonné de ne pas être tout à fait Américain dans l’ambiance ultra patriotique, chauvine et nationaliste de l’époque, est on ne peut plus courageux en plus d’être lucide.
Lors de la campagne des primaires démocrates qui va conduire à sa désignation en tant que candidat, il n’est au départ pas du tout favori, c’est vraiment une surprise qu’il puisse remporter la nomination. Il est alors interrogé sur le fait de savoir s’il accepterait de rencontrer des dictateurs, des despotes comme Castro ou le leader nord-coréen. Barack Obama répond par l’affirmative, estimant qu’il faut pouvoir négocier avec quelqu’un avec qui on est en désaccord. Hillary Clinton, son opposante de l’époque, et tout le camp, y compris démocrate, favorable à l’hégémonie libérale lui tombe dessus en dénonçant sa naïveté et en affirmant qu’il ne serait ainsi pas en mesure de défendre les États-Unis.
Tout au long du livre, Barack Obama constate et s’interroge sur les difficultés auxquelles il a été confronté pour faire passer des réformes et réussir à dépasser les blocages politiques sans trahir ses idéaux. La question qui l’occupe principalement lors de son mandat est celle de savoir comment améliorer la vie des citoyens, raison pour laquelle il a été élu pour cela. Il est élu sur un programme social dont fait partie l’Obamacare, mais aussi pour sortir le pays de la profonde crise économique déclenchée en 2008. Il admet d’ailleurs que c’est au moment où la crise est survenue que les choses ont basculé en sa faveur contre McCain.
Lorsque le 9 octobre 2009, tôt le matin, Barack Obama est réveillé à 6 heures du matin par son assistant qui lui annonce qu’il vient de remporter le prix Nobel de la paix, Barack Obama l’interroge d’un « Pourquoi ? ». Effectivement, lui-même sent que c’est prématuré, mais cette distinction témoigne des immenses espoirs qu’il avait soulevés parce qu’il voulait mettre fin aux guerres déclenchées par George Bush, même s’il n’a pas pu appliquer tout son programme en la matière.
Son combat pour le climat est également un passage important, j’y reviendrai. Il raconte dans les détails le sommet de Copenhague de 2009 et les tractations entre les pays sur les sujets climatiques. Il écrit à ce propos « le réchauffement climatique est un problème face auquel les gouvernements sont notoirement mauvais, car il exige la mise en œuvre immédiate de politiques neuves, coûteuses et impopulaires afin de prévenir des crises futures. » Et cela résume finalement tout le dilemme d’Obama qui fut plutôt un président du « long terme », mais qui dut faire face à des contraintes de court terme concernant le climat, l’Obamacare ou encore les conflits extérieurs.
En période de confinement, cet ouvrage, qui constitue une réflexion profonde à la fois sur l’homme et sur la société, l’ouvrage d’un homme d’État qui a dû faire face à de nombreuses contraintes et difficultés, est extrêmement stimulant intellectuellement.
2 – un patriotisme lucide donc critique
Barack Obama est profondément patriote. Il croit en l’Amérique, il croit dans ses vertus et dans le caractère pionnier et fondateur de cette nation qui donne sa chance à tout le monde. Son patriotisme a été remis en cause parce qu’il est métis et que pour certains, voir un métis, un noir à la Maison-Blanche est inadmissible. Les mêmes n’ont donc cessé de remettre en cause le fait même qu’il soit né aux États-Unis et qu’il ait pu être élu – si on ne nait pas aux États-Unis, on ne peut être élu à la fonction suprême. Donald Trump avait d’ailleurs été l’un des premiers à inventer le mythe autour du lieu de naissance de Barack Obama.
Son opposition à la guerre d’Irak était également présentée par certains comme un manque de patriotisme. Il était accusé de ne pas être assez dur avec les régimes « ennemis des Américains ». Or, en constatant la catastrophe qu’a été la guerre d’Irak pour les États-Unis, c’est plutôt Obama qui avait raison. Être patriote ne signifie pas toujours suivre la ligne majoritaire et le courage en politique appelle parfois à aller à contre-courant. Et cela peut être au bénéfice des États-Unis : qui peut contester le fait que les États-Unis ont été bien plus populaires sous Obama que sous Bush ? Il est clair que le patriotisme de Barack Obama ne peut être remis en cause.
Il évoque également dans ses mémoires, dans de longs passages, ses visites aux soldats, les lettres que les soldats blessés ou mutilés lui envoyaient et les problèmes de conscience que lui posait à chaque fois l’idée d’avoir envoyé des jeunes Américains dans la force de l’âge aller se faire tuer ou mutiler dans une guerre inutile.
C’est justement parce qu’Obama est un vrai patriote américain qu’il peut être aussi critique lorsque son pays s’écarte des règles qu’il a lui-même fondées, des principes qu’il a lui-même proclamés. Dès la préface du livre, il pose explicitement la question : « Nous soucions-nous de faire coïncider la réalité de l’Amérique avec ses idéaux ? Si tel est le cas, croyons-nous vraiment que nos principes – autodétermination, libertés individuelles, égalité des chances, égalité devant la loi – s’appliquent à tout à chacun ? Ou tenons-nous en pratique si ce n’est en théorie à préserver ces grandes idées à quelques privilégiés ? »
Il poursuit « Le monde observe donc l’Amérique la seule grande puissance de l’histoire constituée de personnes venues des quatre coins de la planète, comprenant toutes les races, religions et pratiques culturelles pour voir si notre expérience en matière de démocratie peut fonctionner, pour voir si nous pouvons faire ce qu’aucune autre nation n’a jamais fait, pour voir si nous pouvons nous hisser à la hauteur de notre conviction. »
Bien sûr, cela n’a pas toujours été le cas : Obama rappelle par exemple comment les pays africains notamment, auquel les États-Unis et le FMI ont donné des leçons de bonne gestion, desquels ils ont exigé une réduction des dépenses publiques, ont pu porter un regard plus négatif sur l’Amérique après le grand crash économique de 2008-2009, symbole de la folie de la bourse américaine, des Subprimes, de la gourmandise de Wall Street, qui ont jeté non seulement des millions d’Américains, mais également des dizaines de millions de personnes dans le monde dans la misère.
Il critique l’état d’esprit à Washington de l’ère Bush « l’état d’esprit qui voyait des menaces à tous les coins des rues tirait une fierté perverse de son unilatéralisme et considérait l’action militaire comme une manière presque ordinaire de régler les situations géopolitiques. » Revenant sur la guerre froide, il écrit « Mais hélas, nous avons pris des aspirations nationalistes pour des complots communistes, confondu intérêts commerciaux et sécurité nationale, sabordé des gouvernements élus démocratiquement et pris le parti d’autocrates chaque fois que nous y serions à notre avantage ». Il ne faut pas oublier qu’Obama a vécu en Indonésie où un coup d’État au nom de la lutte contre le communisme a fait des centaines de milliers de morts. Il condamne bien sûr les multiples ingérences américaines dans les affaires des autres pays en écrivant « nous nous mêlions des affaires des autres pays avec des résultats parfois catastrophiques. Nos actes ont souvent été en contradiction avec les idéaux de démocratie et d’autodétermination dont nous nous revendiquions. »
Obama est animé d’un patriotisme conséquent : il a appris que s’il voulait porter haut et loin les couleurs de son pays, il fallait également tenir compte les aspirations des autres peuples. Comment expliquer cela ? Il le dit lui-même : « Exister, être entendu, avoir une identité propre, reconnue et jugée digne d’intérêt. Il me semblait que c’était un désir universel aussi fort chez les nations et les peuples que chez les individus. Si je comprenais mieux cette vérité élémentaire que certains prédécesseurs, c’était peut-être parce que j’avais passé une grande partie de mon enfance à l’étranger et que j’avais de la famille dans des endroits longtemps considérés comme arriérés et sous-développés ou que, étant afro-américain, je savais ce que cela signifiait d’être partiellement invisible dans son propre pays. »
3 -un système politique américain bloqué ?
On ne saura jamais si Barack Obama aurait été élu en l’absence de la grande crise économique et sociale dans laquelle les États-Unis étaient plongés en 2008 du fait de la gourmandise de Wall Street qui avait jeté des millions de personnes en dehors de chez eux parce qu’ils ne pouvaient plus assurer le remboursement des crédits qu’ils avaient accepté, assurés que la valeur de leur maison serait toujours en hausse.
À son arrivée au pouvoir, il doit donc faire face à de nombreux défis. Il regrette de ne pas avoir pu réaliser tout son programme, mais cela s’explique avant tout par les blocages au sein du Congrès et par un système politique américain dont les dérives se révèlent assez inquiétantes. Même une personne aussi brillante et charismatique qu’Obama qui arrive au pouvoir avec une solide majorité n’a pas été en mesure, du fait du système américain, de mettre en œuvre l’ensemble des réformes qu’il voulait mener.
Bien sûr, cela a été encore pire à partir de 2010 puisqu’il a perdu les Mid-terms elections : les démocrates ont perdu la majorité et les républicains sont devenus de plus en plus sectaires. Est-ce que le sectarisme républicain était augmenté du fait qu’il y avait un noir à la Maison-Blanche ? Obama n’est pas loin de le penser. Mais c’en était fini d’accords bipartisans et le chef de la majorité républicaine n’avait de cesse que de chercher à faire perdre Obama. Peu importe si les mesures qu’il proposait pouvaient sauver des emplois ou permettre d’éviter à des gens d’être chassés de chez eux. Le débat était bloqué. L’important était de faire échouer les réformes d’Obama puisque, comme le déclarait un élu républicain, « plus les gens sont en colère, plus de votes pour nous ». Il ne fallait donc pas aider à améliorer les choses puisque la colère était la base de la diminution de la popularité d’Obama et de l’augmentation de la popularité des républicains.
Lorsqu’il arrive au pouvoir, Obama a plusieurs objectifs. Tout d’abord mettre fin à la crise qui vient de complètement ruiner les États-Unis – le chômage est alors au plus haut. Il va globalement réussir à éviter un crash profond de l’économie américaine et il permettra de sauver de nombreux emplois. Ses deux premières années de mandat sont dures, mais chacun s’accorde à dire qu’il a pu permettre la relance de l’économie américaine, notamment celle de l’industrie automobile, et éviter ainsi que plus de gens ne soient jetés dans la misère.
Il a aussi à son arrivée de grands projets concernant l’environnement parce qu’il saisit l’importance de ces enjeux et il est sensible à la Terre qu’il va laisser à ses enfants. Sur ce sujet, il sera très souvent bloqué par les lobbys, notamment celui des énergies fossiles extrêmement puissant aux États-Unis.
Sa réforme de l’Obamacare, qui visait à offrir le minimum de soins à ceux qui ne pouvaient jusqu’ici se soigner a été présentée par ses opposants comme une mesure communiste. Il y a eu beaucoup de désinformations et de fake news sur le sujet, tellement une telle politique suscitait des rejets. Ce n’était bien sûr en rien une mesure communiste ni même socialiste : il s’agissait de donner un minimum d’espérance à tous. Étant fortement combattue, cette réforme n’a pas pu totalement être mise en œuvre.
Il voulait également lancer une grande mesure de désarmement nucléaire avec les autres puissances. Il raconte – et c’est le paradoxe du système américain – qu’afin d’obtenir l’accord d’un sénateur pour obtenir la signature d’un traité de désarmement nucléaire, il a été obligé d’accepter l’augmentation des dépenses nucléaires militaires américaines parce que ce sénateur avait des intérêts dans sa circonscription autour de l’appareil nucléaire militaire américaine. Lorsqu’il parle de la façon dont les républicains ont bloqué au Congrès son plan de relance, il écrit « C’était la première salve d’un plan de bataille que Mcconnell, Boehner, Cantor et consorts allaient déployer avec une impressionnante discipline au cours des huit années à venir. Le refus absolu de travailler avec moi ou les membres de mon gouvernement, quelles que soient les circonstances, quel que soit le sujet sans se soucier des conséquences pour le pays ».
Évoquant la réforme de Wall Street qu’il voulait mettre en œuvre et pour laquelle il a dû systématiquement faire des concessions à tel ou tel sénateur, il écrit la chose suivante « Par moment, je m’identifiais au pêcheur dépeint par Hemingway dans Le vieil homme et la mer, entouré de requins qui grignotaient la prise qu’il s’acharnait à rapporter à terre ». Obama n’a pas les coudées franches : chaque mesure qu’il propose doit être négociée avec ses adversaires, mais également avec des partenaires, des démocrates, dont assez peu ont le courage de leurs convictions. Il s’est bien sûr heurté au puissant lobby militaro-industriel, il écrit d’ailleurs : « Si le président Eisenhower, commandant suprême des forces alliées et architecte du D-day s’était parfois senti impuissant face à ce qu’il appelait le complexe militaro-industriel, il était fort probable que faire passer des réformes soit plus difficile pour un président afro-américain, fraîchement élu, qui n’avait jamais revêtu l’uniforme, qui s’était opposé à un engagement auquel beaucoup avaient consacré leur vie, souhaitait restera le budget militaire et avait certainement perdu le vote du Pentagone avec une marge considérable. » C’est pour cette raison qu’il n’a pas pu mettre fin aussi rapidement qu’il le voulait aux guerres d’Afghanistan et d’Irak, se heurtant au pentagone très régulièrement. C’est en cela que la lecture des mémoires de Barack Obama n’est pas franchement réconfortante. Si Barack Obama, avec son énergie, son intelligence et son charisme ainsi que la solide équipe qu’il avait autour de lui, n’a pas pu mettre en œuvre les réformes qu’il souhaitait, est-ce que Biden pourra le faire ? Ces réformes étaient de l’intérêt général, aussi bien s’agissant de la réduction des inégalités, la protection de l’environnement, la réduction des dépenses militaires. Obama s’est heurté au mur d’intérêts privés, au mur des lobbys, au mur de l’hypocrisie des élus, on peut craindre que Biden ait encore moins de possibilités pour venir les briser.
4 -galerie de portraits
Dans ses mémoires Barack Obama nous livre un certain nombre de portraits, souvent savoureux, avec très régulièrement une ironie cruelle, mais qui sont fondamentalement intéressants d’un point de vue politique.
Il dresse par exemple le portrait d’Hillary Clinton, qui n’a pas été toujours fair-play avec lui, notamment au cours des primaires démocrates qui les ont opposés et que Barack Obama a remportées à la grande surprise d’Hillary Clinton, qui pensait que cette nomination lui était due. Mais Barack Obama a eu l’intelligence de l’associer au cours de son mandat en la nommant secrétaire d’État. Il estime en effet qu’elle disposait du carnet d’adresses et des compétences pour une telle fonction. Il a donc su à son égard jeter la rancune à la rivière et plutôt être dans la réconciliation que de maintenir une querelle ce qui est symptomatique de sa philosophie. Il reconnaît par ailleurs que la partie n’a pas été facile pour Hillary Clinton entre son rôle de première dame, devant suivre la carrière de Bill qui n’a pas toujours été correct avec elle, et les nombreuses attaques qu’elle a reçues, notamment en tant que femme. Lui étant attaqué en tant que noir, il pouvait dans une certaine mesure comprendre la position et les difficultés de H. Clinton au cours de sa vie politique.
La presse française s’est déjà délectée des termes peu amènes que Barack Obama a eus à propos de Nicolas Sarkozy. L’ancien président américain à, en Europe effectivement plus de respect pour Angela Merkel, même s’il lui reproche de ne pas avoir assez investi sur la relance lors de la crise de 2009. Il regrette en ce sens que Nicolas Sarkozy n’ait pas eu assez de poids pour l’aider à faire bouger Merkel à ce moment-là. Il écrit à son propos « Dans la mesure où il n’était pas suffisamment organisé pour définir un projet clair pour son pays, je ne voyais pas comment il allait y parvenir pour le reste de l’Europe. »
Il explique par ailleurs comment il a limité les dégâts de l’intervention américaine concernant la Libye, mais il regrette néanmoins cette opération. Il écrit « j’étais agacé de m’être fait coincer par Sarkozy et Cameron qui cherchaient en partie à arranger leur image dans leur pays et je n’éprouvais que du mépris envers l’hypocrisie de la Ligue arabe. »
Il n’est pas tendre non plus avec Poutine même s’il entend ses récriminations sur la façon dont la Russie a été humiliée dans les années 1990. Il ne balaie pas cet argument d’un revers de la main comme beaucoup de responsables occidentaux. Il admet effectivement que la Russie a été maltraitée, mais il présente Poutine comme « le Premier ministre d’un pays qui avait pris la tête de ce qui ressemblait autant à un syndicat du crime qui a un gouvernement traditionnel, un syndicat dont les tentacules s’enroulaient autour de chaque aspect de l’économie du pays ». Il a un peu plus de respect pour Medvedev qu’il présente comme étant plus ouvert plus pro-occidental, mais en même temps il n’a pas trop d’illusions.
De façon plus surprenante, il n’est pas non plus très tendre avec Lula : « Il était disait-on aussi scrupuleux qu’un boss new-yorkais de la grande époque des magouilles de Tammany Hall [sorte de mafia new-yorkaise] et des rumeurs circulaient à propos du gouvernement faisant état de copinage, d’accords de complaisance, de pots-de-vin s’élevant à plusieurs milliards »
Il estime que le choix de prendre Sarah Palin comme colistière pour McCain était une erreur que lui-même dû regretter par la suite parce qu’autant McCain avait des principes autant elle n’en avait pas. Obama fait démarrer de sa campagne alors, que Palin était sur le ticket avec McCain, le début des fake news. Il écrit « La nomination de Palin était troublante à un niveau plus grave. J’ai remarqué dès le début qu’une très grande majorité de républicains se fichait pas mal de ses incohérences. Chaque fois qu’elle se décomposait face aux questions d’un journaliste, ils semblaient même y voir la preuve d’un complot gauchiste contre elle ». Il poursuit « C’est bien entendu un signe avant-coureur de ce qui allait advenir par la suite. Les prémices d’une réalité plus diffuse, plus sombre dans laquelle les affiliations partisanes et l’opportunisme politique menaçaient de tout occulter : vos précédentes positions, vos principes revendiqués et même ce que vos propres sens, vos yeux et vos oreilles vous disaient pourtant être la vérité. »
Il est également très sévère sur Hosni Moubarak qu’il décrit comme étant totalement coupé de la population, de son peuple, de son pays et comme n’étant plus capable de comprendre les événements. Sa chute était inévitable parce qu’il n’était plus du tout en phase avec les réalités. C’est le fait du phénomène de cour, un phénomène de cour que Barack Obama décrit assez bien et dont il s’est toujours gardé. Effectivement Moubarak, comme de nombreux autres chefs d’État étaient devenus insensibles à la réalité à force d’être entouré de flatteurs.
Il dresse un portrait extrêmement élogieux du Premier ministre indien Singh, qui est au pouvoir lorsque Barack Obama est élu. Il écrit « un homme qui a développé le niveau de vie du pays tout en conservant une réputation d’intégrité parfaitement méritée. Un homme d’une sagesse et d’une droiture morale peu commune. » Mais il évoque les inquiétudes de Singh en même temps concernant l’avenir la démocratie en Inde du fait des attentats fomentés par un groupe aidé en sous-main par les services pakistanais. Singh craignait que l’islamophobie grandissante ne fasse le jeu du premier parti d’opposition le BJP nationaliste hindou, déclarant à Obama « Monsieur le président, dans les moments incertains la tentation de l’actualité religieuse ethnique peut se révéler grisante et il est très facile pour les politiciens d’exploiter ces situations en Inde comme ailleurs ». Effectivement, la dérive nationaliste que l’Inde va connaître par la suite montre bien que Singh avait raison.
Il ne cite personne dans ce passage, mais souligne les mœurs auxquels il a pu être confronté lors d’une visite en Arabie saoudite. Il arrive dans sa chambre il voit « disposé dans un écrin de velours un collier long comme la moitié d’une chaîne de vélo, incrusté de rubis et de diamants qui valait sans doute des centaines milliers de dollars, avec une bague et des boucles d’oreilles. J’ai relevé la tête et regardé Ben Edenis « c’est un petit cadeau pour votre dame » il a expliqué que d’autres membres de la délégation avaient ce type de cadeaux et de montres de luxe dans leur chambre. Apparemment personne n’a parlé aux Saoudiens de notre interdiction d’accepter des cadeaux. »
Last but not least, il fait le portrait de Joe Biden, qu’il évoque à plusieurs reprises et on voit qu’Obama a un réel respect et une réelle amitié profonde pour Joe Biden. Il raconte une réunion avec les chefs d’état-major du Pentagone au tout début de son mandat et Biden lui dit en sortant « « Écoute patron, ça fait peut-être trop longtemps que je suis dans cette ville, mais il y a une chose que je sais reconnaître c’est quand ces généraux essaient de coincer un nouveau président. » Il a approché son visage à quelques centimètres et m’a soufflé « ne les laisse pas t’embrouiller. » »
Il dit dans le chapitre réservé à la traque et à la mort de Ben Laden, « Comme à chaque fois depuis début de ma présidence qu’une décision importante se présentait, j’appréciais la capacité de Joe à faire un pas de côté et à poser des questions qui fâchent, surtout pour me dégager l’espace mental dont j’avais besoin pour mes délibérations intérieures ». Donc Biden a la confiance d’Obama, c’est de bon augure alors que Biden va prendre la présidence. Par contre, lorsqu’il est question d’Anthony Blinken, futur secrétaire d’État de Biden, Obama le décrit comme plutôt du côté d’Hillary Clinton, toujours partisan d’une intervention militaire alors que Biden, qui avait été pour l’intervention militaire en Irak en 2003, s’est par la suite ravisé et était plutôt à ne pas vouloir forcer sur l’hégémonie libérale. On va voir comment les choses vont se passer à l’avenir.
5 Obama et Israël
Barack Obama avait beaucoup d’espoir de parvenir à un accord de paix sur le conflit israélo-palestinien. On peut penser que le comité Nobel lui avait attribué par avance le prix Nobel de la paix dans l’espoir qu’il y parvienne, là où tous ses prédécesseurs avaient échoué. Mais peut-être Barack Obama a-t-il échoué pour les mêmes raisons que les autres présidents américains. Il écrit par exemple que George W. Bush était favorable à une solution à deux États, mais qu’il n’a jamais voulu faire pression sur Israël. Mais Barack Obama n’a pas fait plus en réalité. Il explique un tel échec « nos diplomates se trouvaient contraints à chaque fois de faire le grand écart, en défendant Israël pour des actes auxquels nous nous opposions par ailleurs » et il ajoute « en d’autres termes l’absence de paix entre Israël et les Palestiniens constituait un risque pour les États-Unis ». Mais en même temps, il explique que du point de vue israélien « les Palestiniens demeuraient largement invisibles et leurs problèmes étaient ennuyeux, mais lointains ». Il écrit également « Arafat avait souvent employé des tactiques abjectes, mais tout ceci n’enlevait rien au fait que des millions de Palestiniens étaient privés de leur droit à l’autodétermination et de tant d’autres droits dont jouissaient même des populations de régimes non démocratiques. »
Dans un assez long et robuste passage il explique qu’à sa prise de fonction « la plupart des républicains avaient cessé de faire semblant de s’intéresser au sort des Palestiniens. Au contraire, une majorité importante de protestants évangéliques blancs, le réservoir des voix républicaines le plus consistant, pensait que la création et l’expansion progressive d’Israël réalisaient la promesse faite par Dieu à Abraham et annonçait le retour du Christ. Quant aux démocrates, même les plus progressistes redoutaient de paraître moins pro-Israël que les républicains et du reste une bonne partie d’entre eux étaient juifs ou représentaient des circonscriptions abritant une importante population juive. »
Il poursuit « les membres des deux partis préféraient éviter de s’attirer les foudres de l’American Israel Public Affairs Committee (AIPAC), un puissant lobby transpartisan qui veille à ce que les États-Unis continuent de soutenir inconditionnellement Israël. L’AIPAC pouvait exercer son influence sur presque tous les districts du pays est pratiquement tous les politiciens Washington – compris – en comptaient parmi les plus importants soutiens et donateurs. Autrefois l’AIPAC hébergeait en son sein une pluralité d’opinions concernant la paix au Proche-Orient et il avait pour ligne de conduite que les politiciens cherchant en ce soutien devaient approuver le prolongement de l’aide américaine à Israël et s’opposer aux tentatives d’isoler ou de condamner Israël à l’intérêt au sein de l’ONU ». Puis la politique israélienne s’est décalée à droite et l’AIPAC a suivi. « L’AIPAC continuait à prôner une alliance et le renforcement de cette alliance entre les gouvernements américain et israélien même lorsque les agissements du second entraînaient une contradiction avec la politique du premier. Les parlementaires qui critiquaient Israël un peu fort risquaient de se voir qualifier d’anti Israël et éventuellement d’antisémite et de découvrir en face d’eux à l’élection suivante un adversaire pourvu d’un budget confortable. »
Obama avait demandé l’arrêt ou le gel de la colonisation, Netanyahou n’en a tenu aucun compte parce qu’il savait qu’il faudrait compter sur l’appui du Congrès. Malgré la poursuite de l’aide américaine à Israël et même son renforcement sous Obama, Netanyahou a fait en sorte de présenter ce dernier comme un adversaire d’Israël et Obama reconnait que le Premier ministre israélien a remporté la partie en lui collant cette image. Obama rappelle qu’une « divergence normale avec un Premier ministre israélien même à la tête d’un fragile gouvernement de coalition avait un goût politique sans équivalent dans les relations avec le Royaume-Uni, l’Allemagne, la France, le Japon, le Canada ou n’importe quel autre allié proche. »
Après une énième réunion à la Maison-Blanche entre Moubarak, Netanyahou et Mahmoud Abbas où les choses avaient paru avancer, Barack Obama décrit son sentiment à leur propos : « Je les ai imaginés en train de se serrer la main, après coup, à la façon des acteurs sortis de scène qui se débarrassent de leurs costumes et de leur maquillage avant de retrouver le monde qu’il connaisse. Un monde dans lequel Netanyahou pourrait attribuer l’impossibilité de la paix à la faiblesse d’Abbas tout en s’efforçant de l’affaiblir le plus possible et où Abbas pourrait accuser publiquement Israël de crimes de guerre tout en concluant discrètement des contrats commerciaux avec les Israéliens. Un monde où les dirigeants arabes pourraient déplorer les injustices infligées aux Palestiniens pendant que leurs propres forces de police traquaient sans relâche les opposants et les mécontents. »
Tout ceci permet de conclure qu’il ne faut pas se faire beaucoup d’illusions sur le fait que Biden parvienne à faire avancer un accord de paix entre Israël et Palestine puisque de toute façon les choses sont bloquées, que l’AIPAC exerce un pouvoir sur le Congrès qui est trop important pour que la situation puisse changer.
Source : https://groupegaullistesceaux.wordpress.com/wp-admin/post.php?post=84358&action=edit