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Corinne Lhaïk
Avec la crise sanitaire, les réformes sociales prévues par le Président deviennent plus difficiles. Transformer la France ou l’apaiser? Au temps du virus, il n’est pas sûr que ce « en même temps » soit possible
© Kak
Le 28 novembre, Bruno Le Maire déclare que la réforme des retraites est « une priorité absolue ». Le 2 décembre, Emmanuel Macron affirme que cette réforme, ce n’est « pas maintenant ». Le 13 décembre, Richard Ferrand y voit une « excellente première réforme de deuxième quinquennat ». La ministre du Travail, Elisabeth Borne, poursuit la concertation sur l’assurance-chômage avec les partenaires sociaux. Laurent Berger, secrétaire général de la CFDT, a estimé, le 16 décembre, qu’il « faut repartir d’une feuille blanche sur le sujet ».
Depuis le début de la crise sanitaire, Emmanuel Macron est contraint de mener une politique qui n’est pas son genre : ouvrir les vannes de la dépense publique et distribuer sans réformer. Ce qu’il déteste, lui qui veut transformer le pays et rénover son modèle social pour le faire durer. Le « quoiqu’il en coûte » ressemble à une chape protectrice couvrant, couvant si l’ose dire, tous les Français, avec une seule préoccupation : repérer les trous dans la raquette afin de les réparer.
Qui pourrait contester cette politique alors qu’en mars l’économie a été mise à l’arrêt du fait de la puissance publique ? Emmanuel Macron lui-même. Il estime qu’il n’a pas été élu pour gérer le pays, mais pour le réformer, quitte à le bousculer. Une première crise, celle des Gilets jaunes, le fait tanguer, mais il maintient le cap des réformes. La seconde, celle de la Covid-19, provoque un questionnement plus radical : doit-il faire du 100 % sanitaire ou s’échapper de cette nasse en lançant de nouvelles thématiques ? Il choisit la seconde branche de l’alternative avec le projet de loi confortant le respect des principes de la République. Ou l’annonce d’un référendum destiné à conforter… son assise écologiste.
A l’Elysée, on fait remarquer que les trois menaces actuelles (économique, sanitaire, terroriste) touchent les Français dans leur vie quotidienne. Elles font apparaître un sentiment de vulnérabilité, un besoin de protection. Mais si l’on faisait de la feel good policy (traduisons : une politique de Bisounours), personne ne nous croirait, dit-on dans l’entourage du Président. De même, si l’on ne faisait rien : ce serait très contraire au tempérament du chef de l’Etat et de sa majorité.
Avec le régalien et l’écologie, le social est donc l’autre chantier que la crise ne doit pas interrompre. Mais comment le poursuivre alors que les principes qui inspirent ces réformes sont contredits soit par la nécessité d’apaiser, c’est le cas des retraites, soit par la situation de l’économie, c’est le cas de l’assurance-chômage ?
Richard versus Bruno. Quand Richard Ferrand proclame que la retraite est un chantier qu’il faut réserver à un second quinquennat, il laisse entendre comme une petite musique de : « Je vous l’avais bien dit ». Dès le printemps 2019, le président de l’Assemblée nationale, apôtre de l’apaisement depuis le début du quinquennat, cherche, en vain, à convaincre Emmanuel Macron de ce report. A l’inverse, Bruno Le Maire, ministre de l’Economie et des Finances, l’œil rivé sur la dette, s’inquiète des comptes publics et, dans Le Parisien du 28 novembre, insiste sur la priorité absolue d’une réforme des retraites.
A l’Elysée, on entend ces deux discours. Il arrive même qu’on les pratique. Le 14 juillet, Emmanuel Macron estime que la France ne pourra pas faire « l’économie d’une réforme » des retraites. Le 2 décembre, au cours d’un déjeuner avec Gérard Larcher et les présidents de groupe du Sénat, il affirme que la réforme, c’est : « Pas maintenant. »
Plus que jamais, la question du calendrier est très politique. Sur le fond, l’Elysée défend la pertinence d’une réforme, avec le raisonnement suivant : les Français savent que l’accumulation des dépenses n’est pas soutenable et ils ne veulent pas de hausse d’impôts, d’ailleurs c’est la promesse du Président. Il faut donc maîtriser les dépenses publiques. C’est possible pour celles de l’Etat, impossible pour la santé, il reste les retraites. Il est donc assez logique de dire que l’on va travailler plus.
La logique de l’Elysée risque de ne pas soulever l’enthousiasme des Français. A ce stade, ils peuvent se nourrir de deux certitudes. Primo, le chef de l’Etat ne va pas reprendre le projet de réforme des retraites, adopté à coup de 49-3 en mars dernier. Secundo, le sujet du rétablissement des comptes sera traité de manière séparée de celui de la réforme systémique : prévue par le programme de Macron, elle pose le principe du : « à carrière égale, retraite égale. »
Le reste, c’est-à-dire l’essentiel, se formule en questions : faut-il traiter les déficits dès maintenant ou se donner le temps de faire le distinguo entre dégradation conjoncturelle et structurelle ? Faut-il poser quelques-uns des principes de la réforme systémique avant l’échéance de 2022, voire en adopter certains, les plus plaisants ?
A ce sujet-là, est liée la question de la dépendance. Une cinquième branche de la Sécurité sociale a été créée. Il n’y a plus qu’à la financer ! « C’est un sujet sur lequel notre groupe s’est énormément investi, souligne Gilles Le Gendre, ancien président des députés LREM à l’Assemblée nationale. Avec un intérêt politique évident et un travail de fond impressionnant. Mais c’est un dossier à 10 milliards d’euros. Sans doute difficile de l’ouvrir sans toucher à celui des retraites. Pourquoi ne pas définir avec les partenaires sociaux une méthode mêlant le sucré – financer ce nouveau risque – et le salé, s’attaquer au déficit des retraites ? »
Inciter au travail. A la différence de la réforme des retraites, laissée en plan, celle de l’assurance-chômage a été adoptée en 2019 et a commencé à s’appliquer. Son inspiration, très macronienne, est d’inciter à la reprise du travail à travers deux mesures phare : le resserrement du critère d’éligibilité aux indemnités et la modification du calcul de l’allocation pour éviter que, dans certains cas, le chômage puisse rapporter plus que le travail. L’idée est aussi de décourager les entreprises à multiplier les contrats courts (par un système de bonus-malus) et de résorber le déficit de l’assurance-chômage.
Conçu pour une période de reflux de chômage, le dispositif percute une récession et ses conséquences sur l’emploi. Difficile d’inciter à la reprise du travail quand il n’y en a pas, ou moins. Plusieurs mesures sont donc suspendues, mais l’exécutif semble plus déterminé à continuer ce combat que celui des retraites. Cette réforme est « prioritaire », dit Elisabeth Borne à l’Opinion. La ministre du Travail consulte les partenaires sociaux, il est clair que la réforme sera adoucie pour s’adapter aux nécessités du temps.
Adoucie jusqu’à quel point ? Si Emmanuel Macron veut camper dans la stature du réformateur, il ne peut se contenter de mesures cosmétiques. Mais s’il va trop loin, il risque de provoquer une nouvelle bronca. D’autant que l’interrogation demeure : en 2022, sera-t-il jugé sur sa capacité à transformer les retraites et l’assurance-chômage ou sur sa gestion de la crise sanitaire ?