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Nathalie Segaunes,Ludovic Vigogne
Le président du MoDem va prendre des initiatives afin de changer le scrutin des législatives de juin 2022. Si la plupart des partis y sont favorables, Emmanuel Macron réserve encore sa réponse
Le scrutin majoritaire à deux tours sera-t-il toujours en vigueur pour élire nos 577 députés lors des législatives de juin 2022 ? Dans la majorité, une offensive pour le remplacer par un scrutin proportionnel intégral se prépare. François Bayrou, qui en avait fait une des quatre exigences pour rallier Emmanuel Macron en 2017, est à la manœuvre. « Je trouve sain de poser cette question importante, déclare Richard Ferrand dans Le Parisien. Reste qu’elle peut paraître, à tort, n’intéresser que le seul microcosme politique.»
Sur le front de la proportionnelle, les choses bougent. François Bayrou, qui a entamé des discussions avec beaucoup de partis sur le sujet, s’apprête à prendre des initiatives. « La plus grande partie des formations politiques est favorable à un mode de scrutin plus juste, et cela quel que soit leur bord. Je suis favorable à ce que les partis prennent l’initiative. La règle doit être : “Aide-toi, le ciel t’aidera”. C’est un sujet très important. Le Président est intéressé. Mais je ne suis pas certain que ce soit à lui de prendre une telle initiative, car ça crée de la polémique », assure à l’Opinion le président du MoDem.
Au sein de la majorité, la question d’une modification du mode de scrutin en vue des législatives de juin 2022 est désormais clairement sur la table. De longue date, François Bayrou est un défenseur acharné de la proportionnelle. « Il faut pacifier la démocratie française. Or les démocraties qui sont hyper-majoritaires (les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, la France) créent de l’affrontement et de la violence. Les démocraties plus pluralistes et plus justes (l’Allemagne, le Benelux…) sont plus pacifiques et on peut discuter entre courants, argue-t-il. Il n’est également pas normal que des forces politiques soient éliminées en raison du couperet majoritaire. Comment comprendre que Marine Le Pen fasse 35 % à la présidentielle et 1 % des députés, qu’en 2007, je fasse 19 % et trois députés ou encore que Jean-Luc Mélenchon soit dans la même situation ? C’est tellement injuste que ça décourage les électeurs et favorise l’abstention.»
Au sein de la macronie, de plus en plus de responsables y trouvent aussi un autre avantage. S’ils imaginent le chef de l’Etat réélu en 2022, ils sont plus circonspects sur ses chances de disposer d’une majorité lors des législatives qui suivront. Ils voient nombre de députés LREM, qui se sont révélés peu aptes à la vie politique, au tapis et pensent qu’il faudra en passer par une coalition avec d’autres partis.
« Même s’il est réélu, Emmanuel Macron aura beaucoup de mal à sauver En marche, pronostique un député MoDem. Regardez Paris : en 2017, ils ont fait le grand chelem, sur la gauche comme sur la droite, et trois ans plus tard, il n’en reste plus rien. »
« Chez LREM, ils se disent que c’est le meilleur moyen de faire l’écrémage de leurs troupes », avance un député Agir. « C’est l’intérêt d’Emmanuel Macron de le faire. Cela montre qu’il est conscient que s’il est réélu, il n’aura pas de majorité », estime Jean-Christophe Lagarde, le patron de l’UDI, qui ajoute : « Et si Marine Le Pen est élue, c’est aussi un mode de scrutin qui peut l’empêcher d’en avoir une. »
Scénarios. En 2017, Emmanuel Macron avait promis durant sa campagne l’introduction d’une dose de proportionnelle aux législatives. Au printemps 2019, à l’issue de son grand débat post Gilets jaunes, il avait annoncé que 20 % des sièges à l’Assemblée nationale seraient concernés. Depuis plus rien n’a bougé. Mais aujourd’hui, il n’est plus question d’introduire une dose de proportionnelle. Cela induirait un redécoupage des circonscriptions.
Or, c’est un travail lourd, il n’y a plus le temps de le mener. La proportionnelle ne peut donc plus être qu’intégrale. Au ministère de l’Intérieur, Gérald Darmanin, plutôt convaincu que cela serait une bonne réponse au malaise démocratique actuel, travaille sur plusieurs déclinaisons possibles. Stéphane Séjourné, conseiller politique du Président, le fait également.
Dans tous les cas, la circonscription retenue est le département. Techniquement, une prime nationale (cela avantagerait les petits partis), départementale (cela avantagerait les gros partis) ou régionale pourrait être mise en place. Autre scénario possible : la proportionnelle ne serait appliquée que dans les départements au-dessus d’un certain seuil de députés, les départements ruraux conservant eux le scrutin majoritaire à deux tours. Cette dernière solution s’inspire de ce qui existe au Sénat. Elle a été à l’origine imaginée par le député LREM Guillaume Vuilletet, qui a remis une note il y a un an à l’Elysée et à Matignon.
Le schéma imaginé par le MoDem Jean-Louis Bourlanges, dévoilé cet été, reposant sur un scrutin de liste paritaire à l’échelle d’un ou de deux départements regroupés (avec une moyenne de dix députés par circonscription), n’est en revanche plus sur la table. « Cela se voyait un peu trop que c’était un découpage pour le MoDem », sourit Jean-Christophe Lagarde. De même, le groupe MoDem de l’Assemblée nationale a décidé que la mise en place de la proportionnelle ne serait pas le sujet de la proposition de loi de sa niche parlementaire de janvier, comme il l’envisageait initialement.
Si les choses doivent aboutir, il faut maintenant aller vite. Ce qui fut longtemps une tradition est dorénavant gravé dans le marbre à la suite d’une loi de 2019 : il est interdit de modifier le droit électoral un an avant le scrutin. Pour l’instant, dans le calendrier parlementaire déjà très chargé, aucune fenêtre de tir n’est réservée. L’examen peut néanmoins aller très vite. Les modes de scrutin font l’objet d’une loi simple. « Elle comporterait juste deux ou trois articles », imagine un rouage du Parlement.
« Il faut ambiancer sur le sujet à partir de janvier », souhaite un ministre, pour qui cela doit être d’abord l’affaire des partis. Tous sont favorables à la proportionnelle à l’exception de LR. Mais au sein de la majorité, on pense que même là, les choses ne sont plus si claires. « Bien sûr Christian Jacob sera vent debout, mais je sens la droite plus divisée qu’avant, hume un membre du gouvernement. Elle peut aussi voir un avantage au modèle sénatorial. Si Les Républicains sont forts dans les campagnes, il lui garantit de faire un siège en Seine-Saint-Denis, où ils n’ont pas de député. »
Emiettement. Pour l’instant, Emmanuel Macron veut se tenir en retrait. Mardi, lors du déjeuner organisé à l’Elysée avec les présidents de groupe, Jean-Christophe Lagarde lui a posé la question : « Votre majorité ne bruisse que de la proportionnelle. Votre ministre de l’Intérieur semble travailler sur le sujet. Envisagez-vous un tel changement ? Y a-t-il un calendrier ? » « Cela dépendra des aléas de la Covid et du temps politique qu’il nous reste. Après mai, il ne sera plus possible de le faire », a répondu le chef de l’Etat à l’élu UDI. Ce dernier l’a trouvé « emmerdé »: « Cela se voyait, il ne s’attendait pas à la question », dit-il. Dans la foulée, un des participants a envoyé un SMS à un présent : « Il a menti, il va le faire. »
« Emmanuel Macron n’a pas encore pris sa décision. Il s’interroge », corrige un des convives du dîner de la majorité qui s’est tenu mercredi à l’Elysée, où le sujet a été évoqué. Donnera-t-il son feu vert ? Est-ce vraiment son intérêt ? La proportionnelle intégrale n’émietterait-elle pas un peu plus un système politique déjà éclaté ? Cela n’en ferait-il pas un chef de l’Etat aux mains du Parlement ? « En raison des pouvoirs que la Constitution donne au président de la République, le risque d’un régime d’assemblée qui rende le pays ingouvernable n’existe heureusement plus », assure, lui, François Bayrou.