Bruno Roger-Petit, « conseiller mémoire » du chef de l’Etat, a invité la nièce de Marine Le Pen et figure de l’extrême droite identitaire dans un restaurant parisien.
Le déjeuner a eu lieu le 14 octobre, à la brasserie Le Dôme, à Paris. Bruno Roger-Petit, l’un des plus anciens collaborateurs d’Emmanuel Macron à l’Elysée, et Marion Maréchal, ex-députée (Rassemblement national) du Vaucluse, ont partagé un repas, dans le petit salon confidentiel de cette brasserie de Montparnasse où l’on peut entrer par l’arrière et s’attabler loin des regards indiscrets. C’est là, d’ailleurs, que François Mitterrand donnait rendez-vous à sa fille, Mazarine, dans les années 1980, après l’école, lorsque le grand public ignorait encore son existence.
Selon un habitué du restaurant, qui n’avait pas vu la petite-fille de Jean-Marie Le Pen entrer, le déjeuner s’est terminé à 14 heures. Le conseiller du président a payé l’addition, et ni le compte-rendu des échanges ni la tenue de cette rencontre n’ont filtré hors de l’Elysée. Qu’attendait Bruno Roger-Petit de cette rencontre ? Échanger au sujet de Marine Le Pen ? Prendre le pouls des ambitions politiques de Marion Maréchal ? Passer en revue les candidatures à la « droite de la droite », dont Emmanuel Macron et ses stratèges espèrent qu’elles seront les plus nombreuses possibles ? La jeune directrice de l’Institut de sciences sociales, économiques et politiques, une école privée qu’elle a fondée à Lyon, n’a elle-même pas bien compris pourquoi le conseiller voulait la rencontrer.
Marion Maréchal n’a aucun problème à confirmer le rendez-vous. « Bruno Roger-Petit est passé par un ami pour me proposer de me rencontrer. J’ai accepté : je ne refuse jamais de discuter par principe. Surtout que j’étais assez curieuse de connaître celui qui s’amusait à me traiter de nazie toutes les deux semaines quand j’étais députée. »
Joint par Le Monde dimanche 27 décembre dans l’après-midi, Bruno Roger-Petit n’a pas nié avoir rencontré Marion Maréchal. « A titre personnel », insiste-t-il. « Je voulais savoir ce qu’elle avait à dire et si elle était en résonance avec l’état de l’opinion – ce qui n’est pas le cas. J’ai dû constater que nous étions en désaccord. C’est un peu ce que Xavier Bertrand a fait quand il a rencontré Eric Zemmour », se défend le conseiller d’Emmanuel Macron en comparant ce déjeuner avec celui qu’a tenu récemment le président de la région Hauts-de-France avec le chroniqueur du Figaro.
« Trianguler »
Depuis l’été 2017, le conseiller Bruno Roger-Petit, « BRP » comme chacun l’appelle, n’est sorti dans la lumière qu’une seule fois, un matin de juillet 2018. Alors porte-parole de l’Elysée, il avait été chargé, tâche ingrate, de venir porter en direct la parole élyséenne sur l’affaire Benalla, du nom de cet ancien collaborateur de l’Elysée filmé en train de molester un jeune homme lors d’une manifestation. Désormais « conseiller mémoire » auprès d’Emmanuel Macron, chargé notamment des commémorations historiques, Bruno Roger-Petit continue en réalité de distribuer des éléments de langage sur tous les sujets auprès des journalistes et, surtout, observe à la loupe les thématiques qui émergent, yeux rivés sur les réseaux sociaux mais aussi, matin et soir, sur la chaîne d’information en continu CNews, tout en échangeant régulièrement des textos avec le président.
Trouble dans la majorité
Des membres de La République en marche s’indignent du déjeuner qui a réuni Bruno Roger-Petit et Marion Maréchal, tandis qu’à gauche on ironise sur la porosité d’un gouvernement se voulant « rempart » à l’extrême droite.
Dans la majorité, c’est une marcheuse de la première heure qui a d’abord fustigé ce rendez-vous. « Il y a des gens qu’on ne “sonde” pas “à titre personnel”, on les combat à titre collectif. Marion Maréchal et toute sa clique en font clairement partie », a tranché dans un Tweet Astrid Panosyan, cofondatrice et trésorière d’En marche ! « Incompréhensible, ce déjeuner. Une faute ! », abonde l’ex-sénatrice Bariza Khiari, membre de la direction de La République en marche (LRM).
Le vice-président LRM de l’Assemblée nationale, Hugues Renson, s’est pour sa part fendu d’un rappel : « Avec l’extrême droite, on ne discute pas, on ne transige pas. On la combat. » Un message partagé par le député LRM du Cher François Cormier-Bouligeon qui a listé, à l’intention du conseiller mémoire Bruno Roger-Petit, quelques noms-clés « pour aider à se souvenir de ce qu’est l’extrême droite française : Le Pen père, fille, nièce, Tixier-Vignancour, Pétain, Laval, Maurras, Barrès, Déroulède ». Le député LRM de la Loire Jean-Michel Mis déplore pour sa part une « faute », estime qu’« il n’y a rien que l’on fasse “à titre personnel” quand on a la chance de détenir une fonction éminente dans le premier cercle du pouvoir ».
Dans l’opposition de gauche, le député La France insoumise Alexis Corbière a ironisé : « Le macronisme, face à l’extrême droite, un rempart ? Non, un rencard… », tandis que sa collègue Clémentine Autain ajoutait : « Un rempart ? Plutôt une passoire. » Dans les rangs du Parti socialiste, l’ancienne ministre de la culture Aurélie Filippetti juge que si Bruno Roger-Petit n’est pas limogé séance tenante, « c’est que le prétendu “nouveau” monde est en train de basculer vers du très très rance ». Emmanuel Grégoire, premier adjoint à la maire de Paris, raille pour sa part : « Maurras et Petain n’étaient pas dispo… » « Macron s’invite chez l’extrême droite soi-disant discrètement. Raté. Tout le monde le sait », lance quant à elle la sénatrice Europe Ecologie-Les Verts Esther Benbassa.
A droite, Marie-Claire Carrère-Gée estime qu’« un président de la République ne devrait pas faire ça », avant d’ajouter : « Mais quand votre devise est “en même temps”, tout devient possible. » Une critique qui n’est pas partagée par tous. Ainsi, le député Les Républicains du Vaucluse Julien Aubert, lui-même sur une ligne droitière, s’étonne : « La police des dîners en ville est de retour ? On déjeune avec qui on veut ! »