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Dans un entretien à Atlantico, l’ancien député Henri Guaino revient sur l’enquête qui vise Eric Dupont-Moretti, révélatrice d’une justice qui tente de se placer en contre pouvoir vis-à-vis du pouvoir politique. Une tendance dangereuse pour l’ensemble des institutions.

Henri Guaino

Le garde des Sceaux est visé par une enquête de la Cour de justice pour des »prises illégales d’intérêt ». Trois syndicats de magistrat, ainsi que l’association Anticor, en sont à l’origine. Comment analysez vous les attaques dont fait l’objet le ministre de la Justice Eric Dupond-­Moretti de la part de la magistrature ?

Henri Guaino : Ce qui se passe avec Eric Dupond-­Moretti est effarant. Ca n’intéresse personne. Le gouvernement n’ose rien dire. Les opposants disent « c’est bien fait pour le gouvernement ». Est-ce que quelqu’un pourrait s’élever au-dessus de la mêlée pour dire qu’il y a un vrai problème ? Le garde des Sceaux a été avocat. Or, on a quand même une partie de la magistrature qui, tout naturellement, est portée à la guerre contre les avocats. Et les médias sont complices. L’affaire des fadettes, c’est une violation de tous nos principes et du droit de la défense. On a écouté l’ancien président de la République dans ses conversations avec son avocat. Il y a quelque chose qui ne va pas. Les avocats portent plainte. Un de ceux qui ont porté plainte devient ministre. Il abandonne sa plainte et ordonne une enquête administrative, ce qui fait scandale dans la magistrature. Mais dans le pouvoir du garde des Sceaux, il y a celui d’organiser des enquêtes administratives et de vérifier que la justice fonctionne bien. Si on abandonne même ce principe-là, il n’y a plus besoin du garde des Sceaux. On crée un procureur général de la République qui est magistrat, et la justice fonctionne en dehors de tout. Mais ce monstre dévorera tout le reste.

Vous parlez de « monstre ». Les juges ne sont-ils pas capables de s’auto-réguler ?

Quand on regarde la jurisprudence du Conseil national de la magistrature, on voit qu’il faut quand même avoir commis un crime important pour être sérieusement sanctionné. Et quand un citoyen attaque la justice parce qu’un juge a mal travaillé et que les dysfonctionnements de l’action judiciaire sont reconnus, le juge, lui, n’en subit aucune conséquence directe, et c’est le contribuable qui paye une indemnité aux victimes de ces dysfonctionnements. Ce n’est pas tenable.

Que proposez-vous ?

Il faut s’interroger sur la possibilité de pouvoir faire à la fois carrière à la fois dans le parquet et dans le siège. Il faut arrêter avec cette absurdité de l’indépendance totale du parquet. Il faut que le gouvernement puisse prendre ses responsabilités dans la politique pénale jusqu’au bout. Plutôt que de supprimer les instructions individuelles, on peut très bien, c’est aussi le rôle du gouvernement, demander au parquet, dans tel ou tel cas, dans tel ou tel crime, d’être plus sévère dans ses réquisitions. Et il est normal que ces instructions soient publiques et que le gouvernement en prenne la responsabilité politique aux yeux de tous. Croyez-moi, ils utiliseront cela avec parcimonie. Mais au moins, on arrêtera de faire des déclarations martiales sur les crimes, les terroristes, les voyous, et chacun prendra ses responsabilités. Pour les gens, la justice c’est l’Etat. Quand les voyous ne sont pas condamnés, ils disent que l’Etat les abandonne.

L’affaire Eric Dupont-Moretti est un nouvel exemple du pouvoir grandissant des magistrats vis-à-vis du pouvoir politique. Peut encore stopper les magistrats dans les dommages qu’ils infligent à la démocratie française ?

Il ne faut pas prendre le problème dans ce sens. Bien sûr, le fonctionnement actuel de la justice a des conséquences lourdes sur le fonctionnement de la démocratie et sur nos libertés et est un des problèmes centraux de la crise actuelle de la politique et de la démocratie dans la plupart des sociétés occidentales et en particulier dans la nôtre. Mais plutôt que la polémique, il me semble que le plus important est d’essayer d’analyser les engrenages dans lesquels se trouve prise notre démocratie. Même si ce sont les hommes qui font l’histoire, il arrive qu’ils soient eux-mêmes les jouets de quelque chose de plus important qu’eux.

La politisation des juges est un sujet mineur dans cette affaire. Dans beaucoup d’affaires politico-judiciaires de ces dernières années, on a cherché des cabinets noirs, des manipulations, et souvent elles étaient fantasmées. Prenons par exemple l’affaire Fillon. Le pouvoir n’avait pas d’intérêts particuliers dans cette affaire, puisque le président de la République ne se représentait pas. Il ne cherchait pas à détruire son adversaire de la prochaine échéance électorale. On n’a pas trouvé de cabinet noir. Le cœur de l’affaire, il était au parquet financier. Les juges pouvaient avoir chacun leur idéologie, leurs accointances partisanes, leurs préférences, mais à mon sens ils n’étaient pas manipulés par quiconque. De même pour les affaires Sarkozy ou d’autres : personne n’a manipulé le juge Tournaire dans un contexte de complot politique ou de stratégie électorale.

Réduire le problème à cela, c’est passer à côté de l’essentiel. Chaque camp accuse l’autre d’utiliser la justice et cela termine toujours par la revendication de part et d’autre de plus d’indépendance de la justice. Chacun y va de sa réforme sur l’indépendance du parquet puis, arrivé au pouvoir, découvre que ce n’est pas une très bonne idée.

C’est un problème assez général de notre débat public. On est enfermé dans des querelles qui n’ont plus aucune prise sur le système dans son ensemble.

Derrière la problématique des juges, vous dénoncez donc une forme d’État profond ?

Je n’aime pas le terme d’État profond. Je trouve qu’il renvoie à des complots. Le premier problème de la justice aujourd’hui, ce n’est pas l’Etat profond. C’est de savoir quelle est la position de l’autorité judiciaire par rapport à l’État. Est-ce qu’elle est en l’Etat ou en dehors de l’Etat ? Est-ce qu’elle est avec ou contre l’Etat ? C’est ça le vrai sujet. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle, symboliquement, la Constitution de la Cinquième République fait du judiciaire, une autorité, mais non un pouvoir. Une autorité publique fait partie de l’Etat.

Depuis des années, on a laissé l’institution judiciaire se désolidariser de l’Etat. On a enfourché le cheval de la doctrine des contre pouvoirs. Mais dans notre pays, la tradition n’est pas celle des contre pouvoirs. La France a été pensée par l’Etat parce que c’est un pays avec une diversité anthropologique très forte. A ce système anthropologique décentralisé, correspond un État centralisé qui, justement, fait tenir ensemble toute cette diversité. D’ailleurs, on voit, par exemple aux Etats-Unis, que le système de contre pouvoirs a ses limites parce qu’à force d’avoir des pouvoirs qui se combattent les uns les autres, on finit par ne plus avoir d’Etat. Quand l’un des pouvoirs veut prendre le pas sur les autres, il fait toujours appel à cette idéologie du contre pouvoir. Cela donne quelque chose d’assez étrange, assez incohérent. Le juge judiciaire n’est pas là pour contrer le pouvoir exécutif ou même le pouvoir législatif.

Le rôle du judiciaire dans une société, il ne faut pas le perdre de vue, c’est de faire en sorte que les gens ne soient pas tentés de se faire justice eux-mêmes. Ça n’a rien à voir avec le fait d’être le gardien de la démocratie, de la République, etc. Ce n’est pas ça le rôle du juge. Eschyle le décrit bien avec le procès d’Oreste, dans Les Euménides. Le juge n’est ni un pouvoir politique, qui serait l’équivalent du pouvoir exécutif ou législatif, ni un justicier. Il n’est pas là pour dire le bien et le mal. Il est là pour une seule et unique raison : faire en sorte que les gens ne soient pas tentés de se faire justice eux-mêmes.

Son indépendance concerne sa capacité à juger en conscience. Parce que chaque cas est évidemment un cas particulier et qu’il ne doit pas, dans sa façon de juger, être instrumentalisé par quiconque. En réalité, cela devrait lui imposer plus de devoirs que ça ne lui donne de pouvoirs.

Être indépendant, ce n’est pas agir selon ses caprices ni selon ses préjugés, ni selon son idéologie. Cela suppose, pour ceux qui servent les institutions publiques, de se hisser au-dessus de leurs préjugés pour être au service d’idéaux qui concernent tous les citoyens, quelles que soient leurs opinions. C’est très difficile et très exigeant, comme est très exigeant le fait que dans le système français, on demande aux juges d’instruction d’instruire à charge et à décharge. C’est humainement très difficile. Mais l’indépendance, ça ne veut pas dire que le juge qui doit instruire à charge et à décharge a le droit de n’instruire qu’à charge s’il en a envie, sinon, le système ne fonctionne plus.

Ce ne sont pas les règles institutionnelles qui règlent ce type de problème, c’est le comportement et la conscience éclairée de ceux à qui on confie de tels pouvoir qui régulent le système. La preuve que le pouvoir judiciaire n’est pas le grand protecteur des libertés individuelles, c’est que dans l’Histoire, on n’a jamais vu des institutions judiciaires se dresser pour empêcher l’installation d’une tyrannie, d’une dictature, d’un totalitarisme. Le 10 juillet 40, quand Pétain reçoit les pleins pouvoirs, tous les juges de France prêtent serment, à l’exception d’un seul. C’est d’ailleurs bien normal : la limite à la tyrannie, ou à l’abus de pouvoir, qui conduit à la dictature, n’est que dans la tête de ceux qui gouvernent et dans la tête de ceux qui sont gouvernés.

Pourquoi alors dit-on que les juges sont politisés ?

Ils ne sont pas tous politisés. Les juges attaquent aussi bien la droite que la gauche. Il faut arrêter avec la politisation. Ça ne nous avance à rien parce que le sujet le plus grave n’est pas là. Le sujet le plus grave est l’idée que se fait l’institution judiciaire de son rôle et parfois l’ivresse de la toute puissance qui peut en découler chez certains, et qui conduit l’institution à vouloir s’ériger en pouvoir concurrent des deux autres pouvoirs.

La justice n’est pas l’équivalent du pouvoir législatif et du pouvoir exécutif. Ou alors, il faudrait que les juges soient élus. Et je ne suis pas convaincu que ça soit une très bonne idée. Mais en tout état de cause, ce système où ils sont nommés et en plus veulent se nommer entre eux ne peut pas être l’équivalent des deux autres pouvoirs. Cela ne veut pas dire que c’est secondaire, mais ça n’a pas la même légitimité et la même responsabilité. L’institution tire sa légitimité non pas du fait qu’elle a des comptes à rendre à quiconque, mais qu’elle est détentrice d’un idéal du droit et que, au fond, on fait la démocratie par le droit et ils sont dépositaires de cet idéal. Cette espèce de torsion intellectuelle ou idéologique est extrêmement préjudiciable. Le juge n’est pas détenteur de la morale universelle. Cette idée que le judiciaire est là pour combattre les autres pouvoirs conduit à une grande partie de la dérive actuelle.

On sait très bien où conduit ce genre de combat. La France en a fait l’expérience sous l’Ancien Régime avec les parlements. Ils ont détruit l’Etat. On peut dire qu’ils ont accouché de la Révolution, mais ce n’est pas la révolution qu’ils souhaitaient. Les parlements de l’époque n’étaient pas des parlements législateurs mais étaient des cours de justice qui voulaient leur parcelle de pouvoir et sont entrées en lutte ouverte, féroce, frontale contre ce qu’était l’Etat à l’époque.

Il ne faut pas non plus tirer de cette pseudo vocation à être le rempart ultime de la liberté un argument pour donner leur une place et un pouvoir excessif, en particulier le pouvoir de combattre l’Etat.

Est-ce à dire que la justice doit être reprise en main par l’Etat ?

Quand on posait une question à Christiane Taubira, elle répondait « la justice est indépendante ». Mais il ne peut pas y avoir de façon saine dans la société, un corps qui aurait tant de pouvoir sur les personnes et qui n’aurait jamais de comptes à rendre à personne, ni même à sa propre corporation. Cela n’est pas sain et ça attise les dérives.

Le premier problème est donc de nature idéologique avec ses conséquences institutionnelles. Ne croyez pas que les plus grands scandales ont été faits par des militants politiques. Ils ont été faits par des gens qui portaient en eux l’idée qu’ils étaient des justiciers, qu’ils étaient au-dessus du pouvoir exécutif et législatif, qu’ils étaient l’incarnation du bien et les agents d’une sorte de purification du système politique et même de la société. Cette idée de purification mène toujours à la catastrophe.

Vous avez là la clef de beaucoup d’affaires politico-judiciaires qui ont ébranlé la démocratie. On le voit aux réquisitoires de certains parquets, je pense au parquet financier. On peut ne pas aimer François Fillon, penser que ce qu’il a fait n’était pas bien et qu’il devrait être condamné, mais quand les premiers mots du parquet financier à son procès sont « si on était au Moyen-Âge, vous seriez exécuté », on se dit qu’on n’est plus du tout dans le rôle qu’on peut attendre normalement de l’institution. C’est révélateur. On le voit dans toutes les affaires judiciaires et parfois même dans les attendus des jugements. On fait la leçon, on brandit des principes qui ne devraient pas avoir leur place ni dans les réquisitoires, ni dans les jugements.

Ce mouvement a un autre inconvénient : il évince la responsabilité politique au profit de la responsabilité pénale. Comme les citoyens en veulent beaucoup aux responsables politiques, quand on voit bien que cette crise sanitaire est mal gérée, alors on va au pénal. Et il faudrait embastiller les responsables. Mais céder à ce mouvement qui s’explique par l’anti-parlementarisme et le rejet du politique est extrêmement dangereux. On a mis des siècles pour passer de la responsabilité pénale à la responsabilité politique. Jusqu’à une certaine époque, jusqu’au 17ème ou 18ème siècle, quand on voulait se débarrasser de quelqu’un dont la politique ne plaisait pas, on le mettait en accusation. Et soit on l’enfermait à vie, soit on l’exilait, soit on l’exécutait. Cette judiciarisation de la responsabilité des gouvernants et des politiques a détruit la démocratie athénienne puis la République romaine.

N’est-ce pas quelque chose de naturel ?

Il y a beaucoup de choses naturelles que l’on essaye de canaliser. Surfer sur la vague de l’antiparlementarisme et de l’anti-politiques en période de crise, c’est ajouter au danger qu’ils représentent.

On est en train de progressivement substituer la responsabilité pénale à la responsabilité politique. Et ça, c’est un danger. Plus on donne de pouvoir aux juges par rapport à l’exécutif ou au législatif, et moins le politique est en mesure de répondre aux critiques. C’est un désastre. C’est d’une certaine façon le produit démagogique des passions populaires. Les passions populaires, en politique, ne doivent pas être ignorées, mais il faut les canaliser vers ce qu’il y a de mieux, par vers ce qu’il y a de pire. Et là, pour se faire bien voir de l’opinion, chaque pouvoir cède un peu plus de pouvoir à la justice. Par exemple, on est toujours en train de proposer l’indépendance du parquet.

Le résultat, c’est que les ministres se déplacent sur le terrain où il y a des crimes de droit commun ou de terrorisme en expliquant qu’on va poursuivre et punir sévèrement les auteurs. Mais dire ça et en même temps dire qu’on veut l’indépendance du parquet ? Ça n’a pas de sens. Si on veut cette indépendance, on n’a rien à dire sur la façon dont les gens seront poursuivis et condamnés. Au final, le politique aura fait des déclarations qui ne pourront pas être suivies d’effet. Il n’y a rien de pire pour le discréditer. Tout cela s’est fait avec le consentement du politique, qui pour plaire à l’opinion a transféré plus de pouvoir à l’institution judiciaire, ou aux juridictions en général. Cela, en plus, permet aussi aux politiques de ne pas avoir à choisir : c’est pas moi qui décide, c’est l’autre. Chaque fois qu’on fait une loi pour répondre à un scandale, on renonce un peu plus à assumer ses responsabilités pour les transférer à un autre. Et on nourrit cet engrenage terrible. À chaque fois qu’on renforce les lois dont les juges vont pouvoir se saisir pour poursuivre le politique, on répond au malaise des sociétés par la purification. On libère un monstre.

C’est le cas aussi avec la juridiciarisation de certains concepts ?

Oui. La Déclaration des droits de l’homme, en préambule de la Constitution n’avait pas une force juridique. Elle avait en revanche une force morale et politique qui a joué son rôle. À partir des années 70, on a commencé à la faire entrer dans le bloc de constitutionnalité pour juger les lois en fonction de ce texte, qui est un texte philosophique. Quand vous donnez une valeur juridique, constitutionnelle, juridique à des termes philosophiques, vous laissez à la juridiction un pouvoir d’interprétation colossal qui ne relève plus de l’application d’un texte. Cela conduit à des décisions comme celle qui récemment a constitutionnalisé le principe de fraternité. Mais comment peut-on donner une valeur juridique à la fraternité ? La devise Liberté, égalité, fraternité ne peut pas avoir de valeur juridique. Il y a mille façons de traduire le mot liberté. Et ce n’est pas aux juges de décider laquelle.

On a aussi ajouté la Charte de l’environnement avec le principe de précaution. On a dit que ça ne crée pas de droits nouveaux mais en réalité, le principe de précaution se diffuse dans tous les contentieux, dans toutes les jurisprudences. La précaution, c’est un principe philosophique, un principe de comportement qu’on peut juger sain jusqu’à un certain point, mais qui juger de ce certain point ?

Quelles en sont les conséquences concrètes ?

Ça paralyse l’administration parce que le risque de se retrouver face à un juge est réel. Et il faut donc se protéger. Cela explique une partie des absurdités bureaucratiques auxquelles nous sommes confrontés. Le politique va prendre toutes les précautions possibles et imaginables, même si elles sont inapplicables. A celui qui les reçoit de se débrouiller avec. Et après on va à la télé en disant que c’est scandaleux, qu’il y a 50 pages à lire pour se faire vacciner. Mais on ne peut pas vouloir tout et son contraire.

Je suis très critique sur la politique sanitaire du gouvernement, mais je ne veux pas qu’on transfère cette responsabilité politique et morale sur la responsabilité pénale. C’est invraisemblable qu’en pleine crise sanitaire, on ait des perquisitions chez des ministres pour voir s’ils ont bien ou mal gouverné. La responsabilité du gouvernement est engagée devant le Parlement et devant le peuple, mais pas devant les tribunaux.

L’idée d’intégrer la protection de l’environnement dans l’article 1 de la Constitution est la suite logique de cette tendance ?

Cela veut dire que le juge décidera quelles sont les lois qui sont conformes à cet objectif en fonction de l’idée qu’il se fait même de cet objectif. C’est le juge qui a 90% fera la loi. Il décidera « telle loi je la garde, telle loi je l’écarte ». Ça va aller très vite. Là encore, ça se fait avec le consentement du politique qui en est à l’initiative. Et comme personne ne va oser dire « je suis contre », parce qu’on lui dira qu’il est contre la planète, il va être très difficile d’avoir un débat sur les conséquences de ce texte qui n’est pas du tout anodin comme on le dit. Ça a des conséquences, des décisions, des jurisprudences.

Il n’y a donc pas d’engagement « non contraignant » selon vous ?

Il y avait eu ce débat avec l’accord de Marrakech sur les mouvements migratoires. Quand les opposants disaient que c’était dramatique, les autres répondaient « ce n’est pas un traité contraignant, c’est simplement un engagement politique ». Mais si on continue sur cette voie, le juge pourra dire « finalement, moi je considère que c’est contraignant ». Même si ça ne correspondait absolument pas à l’intention du gouvernement ni du législateur. Les juges, dans le dialogue des juridictions, se mettent à fabriquer la loi et à décider celles qui doivent être appliquées et celles qui ne doivent pas l’être. Et ça n’a pas l’air d’émouvoir quiconque.

On voit se dresser un pouvoir concurrent qui, lui, est inattaquable, n’a pas de comptes à rendre, et détient le monopole de l’idéal du droit. C’est devenu, hélas, une véritable guerre.

Atlantico