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L’historien Benjamin Stora formule, dans un rapport remis mercredi 20 janvier à Emmanuel Macron, des propositions pour rapprocher les deux pays, toujours marqués par la guerre. Le président de la République doit tout faire pour relayer cette impulsion.
Près de six décennies après son dénouement, la guerre d’Algérie continue d’empoisonner à la fois les relations de Paris avec son ancienne colonie et le vivre-ensemble, dans une France où cohabitent ses anciens protagonistes et leurs descendants. A l’amnésie et au refoulement français a succédé une profusion de témoignages oraux ou écrits. Mais, dans un pays dont 7 millions d’habitants (pieds-noirs, harkis, appelés, immigrés) sont liés personnellement ou familialement au drame de cette décolonisation, les mémoires cloisonnées n’ont cessé de se concurrencer, parfois de s’affronter. En Algérie, au contraire, le régime a saturé l’espace d’un récit guerrier glorieux propre à masquer les conflits entre Algériens, à asseoir un récit national et à légitimer son autoritarisme.
Sortir enfin de ce conflit mémoriel est une nécessité à la fois diplomatique (il brouille le message de la France au Maghreb) et politique (il compromet la cohésion nationale, en particulier l’intégration des enfants d’immigrés et de harkis). Convaincus de l’importance de l’enjeu, Jacques Chirac puis Nicolas Sarkozy s’étaient déjà attelés à la tâche. A chaque fois, l’instrumentalisation des questions mémorielles et identitaires à des fins électorales, s’ajoutant aux soubresauts de la situation en Algérie, avait ruiné leurs tentatives.
Une commission « Mémoire et vérité »
Emmanuel Macron, premier chef d’Etat français à être né après l’indépendance de l’Algérie, a fait preuve en la matière d’un volontarisme de bon augure, en demandant à l’historien Benjamin Stora de lui proposer des gestes susceptibles de contribuer « à l’apaisement et à la sérénité de ceux que [la guerre d’Algérie] a meurtris (…) tant en France qu’en Algérie ». Le rapport que l’universitaire devait lui remettre mercredi 20 janvier est à la fois prudent et ambitieux.
Prudent parce qu’il évacue comme une impasse la question de la « repentance », qui n’a cessé d’envenimer le débat, pour se focaliser sur la « reconnaissance » d’événements précis. Ambitieux parce qu’il propose de restituer à l’Algérie certaines archives, de faire la lumière sur les assassinats d’Européens à Oran en juillet 1962, d’identifier systématiquement les disparus de la guerre des deux côtés et de travailler avec les Algériens sur les contaminations consécutives aux essais nucléaires poursuivis par la France dans le Sahara jusqu’en 1966. Suggestion centrale, une commission « Mémoire et vérité » réunissant des responsables et des membres de la société civile des deux pays, impulserait des initiatives mémorielles communes.
Le président de la République doit tout faire pour relayer l’impulsion donnée par les propositions Stora et les mettre en œuvre. Ainsi, faute de pression de sa part sur l’armée pour l’ouverture des archives, le rapport de l’historien risque de n’être qu’un ballon d’essai.
Certes, la tâche apparaît singulièrement ardue sur le plan diplomatique. Pour le régime algérien, toujours dominé par les militaires, la culpabilité coloniale et les conflits mémoriels alimentent une rente toujours utile et l’un des rares leviers à sa disposition dans ses relations avec Paris.
Reste l’enjeu franco-français. A un moment où les fractures sociales se multiplient, un discours et des orientations présidentielles claires pourraient aider à créer des ponts entre des mémoires blessées ou conflictuelles, à sortir des dénis et des mensonges, à admettre la complexité de la guerre d’Algérie. Et à permettre à la société française de reconnaître l’héritage fécond d’un passé enfin dépassé.